Fantastique - Horreur

Ormeshadow

Titre : Ormeshadow
Auteur : Priya Sharma
Éditeur : Le Bélial (Une Heure Lumière)
Date de publication : 2021 (avril)

Synopsis : Ère victorienne. Angleterre. Les temps sont durs, et les revers de fortune légion. Ainsi en est-il pour Clare et John Belman, contraints de quitter Bath, sa modernité et ses milieux culturels sophistiqués, pour l’antique ferme familiale d’Ormesleep, dans la région d’Ormeshadow. Au regard de Gideon, leur fils unique, c’est le pire des déracinements. D’autant qu’Ormesleep est le domaine de Thomas, son oncle paternel, figure tyrannique implacable, personnage aigre et brutal. Dans ce nouveau contexte dépourvu d’horizon, alors que les adultes nouent leur propre drame mortel, les fabuleux récits narrés par son père à propos des environs constituent l’unique échappatoire de Gideon. Des récits qui font écho à une légende familiale tenace au sujet d’un dragon endormi sous la falaise, dragon dont l’un des membres de la famille Belman, génération après génération, aurait la garde… À l’heure où son univers s’écroule, quand fantasme et réalité s’entrechoquent, le chemin qui fera du jeune Gideon un homme s’annonce des plus périlleux.

Il avait l’air d’un roi dépouillé de tout, hormis de son trône – lequel n’était qu’un fauteuil ornemental sculpté d’animaux imaginaires. Il pleurait. C’était la première fois qu’il le voyait pleurer et cette vision l’affolait. Il était cloué au sol par le froid qui engourdissait ses pieds. Froid qui le garda prisonnier jusqu’à ce que John quitte les lieux en fermant derrière lui la porte de la ferme. Gideon se précipita dès qu’il put bouger, soudain plus effaré par l’absence de son père que par ses larmes. « -Papa ? » C’était trop tard.

Un drame familial mêlé de fantastique

Vingt-neuvième « Une Heure Lumière » publié par Le Bélial, « Ormeshadow » réunit à nouveau tous les critères qui ont fait la renommé de cette prolifique petite collection : l’ouvrage met à l’honneur un sous-genre de l’imaginaire (ici le fantastique), sa longueur n’excède pas celle d’une novella et il a été récompensé par un prestigieux prix littéraire (le Shirley Jackson 2019). Cette fois c’est une autrice inconnue en France que la collection a choisi de mettre en avant puisqu’il s’agit du premier ouvrage publié chez nous par Priya Sharma. La novella (un peu plus longue que la plupart des autres « Une Heure Lumière ») se déroule dans l’Angleterre victorienne et met en scène une famille, les Belman, qui, après des déboires sur lesquels l’autrice lèvera le voile au fur et à mesure de l’intrigue, a choisi de regagner la ferme familiale du père à Ormesleep. Là, c’est une vie radicalement différente qui attend Gideon, enfant de sept ans qui ne comprend pas très bien les tensions qui règnent désormais entre ses parents et qui, surtout, a toujours été habitué à évoluer dans un environnement urbain. Le travail à la ferme y est rude, et ce d’autant plus que le garçon et ses parents ne sont pas seuls, puisque vivaient déjà sur les lieux son oncle et sa famille. Un oncle tyrannique qui dirige sa famille et sa ferme d’une main de fer et qui semble garder rancune au père de Gideon, d’un naturel beaucoup plus doux, d’avoir choisi le métier des lettres plutôt que celui de l’élevage. Les seules bouffées d’air frais de notre héros résident dans les légendes que lui conte son père concernant la région d’Ormeshadow et qui prétendent que le village aurait été construit sur le corps d’un gigantesque dragon dont la famille Belman serait la gardienne et qui se réveillera un jour prochain.

Magnifique visuellement, bouleversant émotionnellement

Après « L’homme qui mit fin à l’histoire » de Ken Liu, « Vigilance » de Robert Jackson Bennett ou encore « Les meurtres de Molly Southbourne » de Tad Thompson, voilà que « Ormeshadow » s’invite dans la liste des « Une Heure Lumière » qui m’auront le plus marquée. Le drame familial relaté ici par Priya Sharma est en effet bouleversant et séduit autant par ses retournements de situation inattendus que par la justesse avec laquelle l’autrice dépeint les sentiments de ses personnages. Ces derniers constituent incontestablement le plus gros point fort du roman, qu’il s’agisse du doux et sensible Gidéon ou de son père, auxquels on voue immédiatement une grande affection, mais aussi de l’oncle du jeune garçon pour lequel le lecteur en vient à entretenir une fascination presque malsaine tant l’homme se révèle perturbant. Le décor bucolique participe également au charme du texte qui rappelle par certains côtés les romans d’auteurs comme Thomas Hardy ou, pour rester dans le domaine de l’imaginaire, de Jo Walton (et notamment de son « Pierre-de-vie », en plus tragique). Difficile en effet de ne pas être sensible à la beauté tranquille de cette campagne anglaise où la vie rebute parfois par sa rudesse mais séduit aussi par sa simplicité. Un paysage qui apporte un contraste saisissant avec la violence (psychologique plus que physique) qui règne dans la petite ferme oppressante des Belman. Le surnaturel, lui, est finalement très peu présent, presque anecdotique avant la toute dernière partie, si bien que c’est loin d’être l’aspect du récit que l’on retiendra le plus. Le style, lui, n’a rien de bien notable : la plume de l’autrice est fluide et sa sensibilité permet de faire naître des émotions fortes chez le lecteur qui a de grandes chances de sortir chamboulé de cette lecture.

« Ormeshadow » de Priya Sharma caracolera désormais en tête des ouvrages de la collection qui m’auront le plus enthousiasmée. L’imaginaire y occupe une place relativement marginale, l’autrice préférant se pencher sur un drame familial classique mais néanmoins émouvant et impliquant des personnalités ambiguës qui provoquent des réactions épidermiques très fortes chez le lecteur. Une belle découverte, que je vous recommande chaudement.

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Baroona (233°C) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Jean-Claude Rouquet (Les Chroniques d’Arrakis) ; Tigger Lilly (Le dragon galactique)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

6 commentaires

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