Les damnés de la Commune [Tomes 1, 2 et 3]
Titre : Les damnés de la Commune
Cycle/Série : Les damnés de la Commune : A la recherche de Lavalette ; Ceux qui n’étaient rien ; Les orphelins de l’histoire
Auteur : Raphaël Meyssan
Éditeur : Delcourt
Date de publication : 2017 – 2019
Synopsis : Découvrez cette incroyable bande dessinée, réalisée exclusivement à partir de gravures de l’époque de la Commune, qui nous raconte la quête d’un Parisien pour exhumer l’histoire de son voisin communard.Parti à la recherche de Lavalette, le narrateur rencontre Victorine, dont le témoignage bouleversant l’accompagne dans sa quête. Tandis que sa ville se charge peu à peu d’histoires, il découvre les années de tourments qui ont conduit à la révolution de 1871. Témoignage exceptionnel sur la Commune de Paris, ce roman graphique, réalisé à base de gravures du XIXème siècle, présente la manière dont l’époque se voyait elle-même.
De cette première réunion du comité central à l’Hôtel de Ville, il n’existe aucune archive. Personne n’a pensé à rédigé un compte rendu. Pourtant, de cette réunion est sortie la décision la plus importante et la plus surprenante du Comité, celle qui va fonder la Commune de Paris. Depuis des mois, ses membres rêvaient de l’Hôtel de Ville. A présent, ils y sont. Ils ont le pouvoir. Leur première décision est de le rendre. A la fin du jour, une affiche annonce l’organisation d’élections à la Commune de Paris.
Dans le cadre des 150 ans de la Commune de Paris, découvrez nos différents articles sur le sujet : « La Commune de Paris » de Sebastian Haffner ; « Louise Michel, la Vierge rouge » de Mary et Bryan Talbot ; « Dans l’ombre du brasier », d’Hervé Le Corre ; « C’est la nuit surtout que le combat devient furieux – Une ambulancière de la Commune» » – Témoignage d’Alix Payen retranscrit par Michèle Audin
Paris en 1871 comme si vous y étiez
A l’occasion de l’anniversaire des 150 ans de la Commune de Paris, on a beaucoup parlé ces dernières semaines de la diffusion sur Arte d’un documentaire retraçant l’avènement et la sanglante répression de l’événement. Mais avant le film, « Les damnés de la Commune » est avant tout une série de bandes dessinées réalisées par Raphaël Meyssan (également à l’origine de l’adaptation) et dont les tomes ont été publiés entre 2017 et 2019 : « A la recherche de Lavalette » ; « Ceux qui n’étaient rien » et « Les orphelins de l’histoire ». Outre le fait qu’elle se focalise sur une période généralement occultée et mal connue de l’histoire de France, la spécificité de l’œuvre réside dans le choix de l’auteur de faire une bande dessinée… sans dessin. Ou du moins sans dessin de sa main. Chaque tome est en effet illustré uniquement grâce à des reproductions de gravures datant de l’époque, la plupart publiées à l’origine dans des journaux. Le pari était osé : d’abord parce qu’il a fallu trouver une unité de ton entre des dessins réalisés par des dizaines d’artistes différents, ensuite parce que les goûts esthétiques d’hier ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui, si bien que l’auteur courrait le risque de voir sa bande dessinée rebuter par son aspect. Il n’en est heureusement rien, et le résultat est absolument bluffant, tant visuellement qu’en terme de narration. Car pour le scénario non plus, Raphaël Meyssan ne fait pas dans le conventionnel : plutôt que de relater simplement la succession d’événements qui ont abouti à la proclamation de la Commune, l’auteur préfère relater son enquête pour retrouver la trace d’un Communard en particulier, un dénommé Lavalette, qui a habité dans son immeuble en 1871. D’archives en archives, en passant par les articles de presse, les témoignages de contemporains, les rapports de police, les lettres ou encore les comptes rendus de débat à l’assemblée, l’auteur remonte la piste de son voisin communard, et nous plonge avec lui dans le bouillonnement du Paris de 1870-1871. L’immersion est totale, non seulement grâce aux illustrations mais aussi aux textes qui alternent entre « voix-off » de l’artiste qui contextualise, enquête, questionne (le fond des bulles de texte est alors de couleur marron orangé), et retranscriptions de sources contemporaines (sur fond blanc). Le procédé est astucieux et permet de mêler l’émotion suscitée par les témoignages d’époque et l’analyse proposée par l’auteur. Difficile compte tenu de la masse d’informations collectée de ne pas être admiratif de l’érudition dont fait preuve ici Raphaël Meyssan, pourtant parfait néophyte en histoire communarde lorsqu’il se lance à la poursuite de son voisin d’un demi-siècle.
Nous nous émancipons pour qu’il n’y ait plus de sauveur, car un peuple ne peut être sauvé que par lui-même.
Une oeuvre impeccablement documentée
L’enquête est incroyable et pleine de rebondissements tant la figure de ce Lavalette s’avère difficile à saisir, et paradoxalement présent à chaque moment clé. Avec Raphaël Meyssan, on découvre donc le parcours atypique de ce presque anonyme qui aura suivi de près toutes les grandes figures révolutionnaires de cette fin de XIXe : « Si j’avais inventé un personnage de fiction, un héros de roman, présent à chaque moment de l’histoire, ayant connu tous ces grands personnages, aurais-je été crédible ? Lavalette est partout. » Et force est de constater que c’est vrai. En 1870, il gravite autour d’une des figures les plus emblématiques de l’opposition au Second Empire, le journaliste Henri Rochefort ; il participe ensuite de près à l’insurrection du 31 octobre 1871 (au cours de laquelle la Commune sera une première fois proclamée) ; il fait aussi évader de prison Gustave Flourens, chef des francs-tireurs de Belleville et figure phare de la Commune ; il prend la tête du 159e bataillon de la garde nationale, succédant ainsi au bras-droit d’Auguste Blanqui, l’Enfermé, le révolutionnaire le plus célèbre du XIXe (arrêté la veille de la proclamation de la Commune de Paris). Oui, Lavalette est partout. Et pour les milieux qu’il ne fréquente pas, les grands événements dont il est absent, il y a le témoignage de Victorine. Victorine, c’est la seconde grande figure de ce triptyque : une femme du peuple, qui a servi comme ambulancière dans un bataillon de la garde civile (comme beaucoup de femmes, à l’image d’Alix Payen dont je vous parlais récemment et dont le témoignage est ici aussi retranscrit en partie), et qui a, elle aussi, assistée à tout : le siège des Prussiens, la reddition par l’assemblée bordelaise, la nuit du 18 mars, les combats contre les Versaillais, et enfin la Semaine sanglante et ses suites. Son témoignage est bouleversant, et témoigne à la fois de la misère dans laquelle vivaient les classes populaires de l’époque, mais aussi l’enthousiasme incroyable qu’aura suscité l’avènement de cette Commune de Paris. Tour à tour galvanisantes ou tragiques, les retranscriptions de sources contemporaines permettent au lecteur de s’immerger pleinement dans l’ambiance et donc de vivre une expérience de lecture d’une intensité difficile à égaler. On s’émeut des deuils successifs qui frappe la pauvre Victorine, on se prend à rêver à cette république sociale qui anime les plus radicaux des insurgés, on verse d’amères larmes de rage de voir cet idéal si violemment réprimé, et on rit, parfois, notamment lorsque l’auteur se met lui-même en scène dans les gravures de l’époque, cherchant dans la foule Lavalette ou Victorine (et tombant même sur un autre dessinateur bien connu du grand public lors d’une scène d’anthologie).
Quand les filles, les femmes, les mères combattront à coté de leurs fils, de leurs maris, de leur pères, Paris n’aura plus la passion de la liberté, elle en aura le délire. Et ces soldats que l’on trompe seront bien forcés de reconnaître que ce qu’ils ont en face d’eux n’est pas un parti de factieux, mais un peuple entier dont la conscience, soulevée contre l’oppression ignoble, crie par la voix des femmes aussi bien que des hommes : mort ou liberté.
Des témoignages émouvants et instructifs
A travers les trois tomes, le lecteur se voit expliquer par les contemporains de l’époque aussi bien que par l’auteur tous les tenants et aboutissants de la guerre franco-prussienne et de ses suites. On voit défiler toutes les grandes figures qui ont marqué la période, certains connus (Léon Gambetta, Adolphe Thiers, Victor Hugo, Auguste Blanqui, Louise Michel…), d’autres moins (le général Trochu, Jules Favre, Felix Pyat, Henri Rochefort, Gustave Flourens…) et d’autres encore qu’on ne s’attendait pas forcément à trouver là parce que leur heure de gloire viendra plus tard et qu’on oubliera qu’ils étaient aussi contemporains de ces événements (Clemenceau, Jules Ferry, Émile Zola….). Grâce à la diversité des témoignages, l’ouvrage se focalise aussi bien sur les grands événements et personnages que sur la réalité de la vie quotidienne de l’époque pour la population parisienne. Les informations fournies sont colossales, et pourtant à aucun moment le lecteur n’éprouve de lassitude ou n’a l’impression de se perdre dans cette masse de noms, de lieux ou de dates. Le tout est présenté de manière extrêmement ludique par l’auteur qui, en plus de multiplier les sources, change régulièrement d’angle d’approche (procédant à des focus ou au contraire des élargissements pour mieux cerner les enjeux, ou s’attardant sur le portrait d’un personnage en particulier) et fournit au lecteur quantité d’annexes (intégrées à la narration ou présentes en fin de volume, c’est selon) qui permettent de se repérer visuellement dans le Paris de 1871 ou d’identifier telle ou telle figure (chaque tome comporte ainsi une magnifique carte de la capitale de l’époque, avec des encarts synthétisant les grandes dates, lieux et événements décrits, ainsi qu’une impressionnante liste de références bibliographiques). Raphaël Meyssan revient aussi régulièrement sur les idées reçues qui polluent l’imaginaire populaire concernant l’histoire de la Commune. Loin des clichés d’une révolution sanglante et égoïste menée par des Parisiens déconnectés du reste du pays, la Commune telle que dépeinte ici par l’auteur constitue une formidable expérience démocratique au cours de laquelle quantité de réformes de justice sociale furent prises en compagnie d’autres mesures qu’on ne retrouvera que bien plus tard ou qui paraissent aujourd’hui encore plutôt radicales : possibilité pour les électeurs d’imposer un mandat impératif aux élus, abolition de l’armée permanente et affirmation de l’importance de la garde nationale dont les officiers sont désormais élus et révocables, séparation des églises et de l’état (les églises servent à la messe la journée, aux clubs la nuit), reconnaissance de l’union libre, pension alimentaire pour femmes séparées et reconnaissance de droits aux enfants non légitimes… Difficile de ne pas être contaminé par l’enthousiasme qui transpire du témoignage de Victorine et des autres, même s’il serait erroné de croire que l’auteur se livrerait ici à une opération réhabilitation sans nuance. Raphaël Meyssan aborde aussi les aspects les moins reluisants de la Commune (comme les persécutions anticléricales ou l’exécution d’otages après l’entrée des Versaillais dans la ville) et interroge aussi bien les sources pro-Commune que celles laissées par les conservateurs, les modérés, les observateurs étrangers ou encore les journalistes.
-Quelle est votre profession ?
-Serviteur de Dieu.
-Où habite votre maître ?
-Partout.
-Greffier, écrivez : « Ducoudray, serveur d’un nommé Dieu, en état de vagabondage.
Avec les trois volumes des « Damnés de la Commune » Raphaël Meyssan réussit plusieurs tours de force. D’abord, celui d’avoir réalisé une bande dessinée uniquement illustrée par des gravures d’époque, ce qui ne rend l’immersion du lecteur que plus intense. Ensuite, celui de réunir une masse d’informations et de sources impressionnantes sur le sujet, ce qui lui permet régulièrement de s’effacer au profit d’un ou d’une autre narrateur/narratrice qui ont directement vécu les événements. Enfin, celui de faire comprendre toute la complexité d’une époque et d’analyser les événements avec recul tout en laissant régulièrement la place aux émotions du lecteur qui ressortira bouleversé, presque hébété par ce douloureux mais magnifique voyage dans le passé. Une expérience de lecture qui ne se refuse pas, que vous soyez connaisseur de l’époque ou non, amateur de BD ou non, héritiers des Communards et Communardes ou non.
Voir aussi : Les chroniques de Dionysos sur le tome 1 ; le tome 2 et le tome 3
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