Essai

C’est la nuit surtout que le combat devient furieux – Une ambulancière de la Commune, 1871

Titre : C’est la nuit surtout que le combat devient furieux – Une ambulancière de la Commune, 1871
Auteur : Michèle Audin (d’après le témoignage d’Alix Payen)
Éditeur : Libertalia
Date de publication : 2020 (mars)

Synopsis : Née dans une famille bourgeoise et fouriériste, Alix Payen (1842-1903) a 29 ans lorsqu’elle s’engage dans le 153e bataillon de la garde nationale. Ambulancière et infirmière, elle participe à la défense du fort d’Issy, qui protège Paris contre les assauts de l’armée versaillaise, puis à celle du fort de Vanves. Pendant les rares moments de calme, elle écrit à sa mère. Alix Payen a peu attiré l’attention des historiens. Pourtant, elle a participé à la lutte avec courage et détermination, et elle a décrit avec sensibilité les combats violents, souvent furieux – et la vie du bataillon sous les obus. Ce livre est formé de lettres, dont beaucoup sont inédites. Ces documents ont été rassemblés et présentés par la romancière Michèle Audin

 

Subitement et de part et d’autre cet infernal vacarme cessa et le silence semblait plus profond après ces horribles détonations. Tout à coup, au milieu de ce calme, un rossignol s’est mis à chanter. Le contraste entre ce joli chant si pur, si doux, et ce que nous venions d’entendre était frappant. Pour moi, les larmes me vinrent aux yeux ; il me semblait comprendre le rossignol : il chantait la paix, l’amour, la famille. 

Dans le cadre des 150 ans de la Commune de Paris, découvrez nos différents articles sur le sujet : « La Commune de Paris » de Sebastian Haffner ; « Louise Michel, la Vierge rouge » de Mary et Bryan Talbot ; « Dans l’ombre du brasier », d’Hervé Le Corre (à venir « Les damnés de la Commune » de Raphaël Meyssan)

Une contemporaine de la Commune témoigne

« C’est la nuit surtout que le combat devient furieux » est un ouvrage qui propose de revisiter le témoignage d’une certaine Alix Payen, ambulancière pendant la Commune de Paris en 1871. Ses écrits sont ici retranscrits et contextualisés par Michèle Audin (fille du tragiquement célèbre Maurice) et ont déjà été édités précédemment par le frère de la jeune femme, Paul Milliet. La version proposée ici a cependant été réactualisée et augmentée grâce à des inédits conservés par l’arrière-petite nièce d’Alix. L’ouvrage alterne entre les lettres envoyées par cette jeune femme pendant la Commune à ses parents, et des passages de la main de Michèle Audin qui approfondit un point particulier de son récit, ou replace les événements mentionnés dans leur contexte. L’ouvrage n’a donc rien d’une synthèse historique, il vise à mettre en avant le témoignage d’une contemporaine de ce moment marquant du XIXe siècle, et, pour cette raison, nécessite d’avoir quelques connaissances de base sur l’époque et ses protagonistes. Nous sommes donc en 1871 : la France est en guerre contre la Prusse depuis plusieurs mois, après que Napoléon III se soit brouillé avec Guillaume Ier sur la question de la succession du trône d’Espagne. Les armées françaises essuient défaite sur défaite, le point culminant de l’humiliation étant atteint à Sedan, bataille au cours de laquelle l’empereur lui-même est capturé. A Paris, on profite de l’occasion pour proclamer la fin du Second Empire et le début de la IIIe République. Un gouvernement provisoire est formé, et des élections ont lieu. Celles-ci, qui opposent partisans de la poursuite de la guerre (majoritairement républicains) et ceux avides de faire la paix (majoritairement à droite), conduisent à l’élection d’une majorité de députés royalistes qui envisagent une trêve avec la Prusse en échange de lourdes sanctions. Entre les mois de mars et mai, la population parisienne, refusant de baisser les armes contre les Prussiens, se soulève et proclame la Commune de Paris (d’autres communes verront d’ailleurs le jour ailleurs en France à la même époque, mais le mouvement sera immédiatement réprimé).

Les hommes sont très convenables et même très aimables pour moi. Je mange avec eux. Je les aide à éplucher les légumes pour la popotte. J’en suis récompensée par le plaisir que j’ai à les entendre causer, il y a tant d’esprit naturel, des réparties si drôles chez ces ouvriers parisiens ; ils m’ont vite prise en amitié et rient et plaisantent devant moi ; une chose m’étonne, c’est la convenance parfaite de leur conversation quand je suis là. Si l’un d’eux laisser échapper un juron, il est vertement repris par son voisin.

Une source atypique

C’est cette période extrêmement courte (soixante-douze jours) qui nous intéresse ici, et ce d’autant plus que les témoignages consacrés à l’événement se font rare, tant à cause de sa brièveté que de l’enfermement des protagonistes, mais aussi en raison de la répression sanglante qui s’est abattue sur les survivants. Le témoignage d’Alix est d’autant plus précieux que son profil est pour le moins atypique : issue d’une famille bourgeoise très engagée à gauche, la jeune femme a vingt-neuf ans lorsqu’elle devient infirmière dans le bataillon de son mari, membre de la garde nationale (troupes constituées de citoyens ayant accepté de prendre les armes pour défendre la ville). Les lettres écrites par Alix à son père et sa mère ont été ré-organisées ici de telle manière qu’elles permettent d’élargir progressivement l’horizon du lecteur qui découvre d’abord le contexte familial particulier de la famille Payen, puis se familiarise avec les événements du siège de Paris (de septembre 1870 à janvier 1871), avant d’enfin pouvoir entrer dans le vif du sujet avec la Commune, suivie de la semaine sanglante. Le témoignage d’Alix est passionnant pour plusieurs raisons, la première étant qu’on possède peu d’écrits d’acteurs de la Commue en général, et de femmes en particulier. L’occasion de rappeler que celles-ci ont joué un rôle essentiel lors de l’événement, participant activement au débat politique, revendiquant la possibilité de prendre les armes et servant souvent comme cantinière ou ambulancière. Le fait qu’il s’agisse de lettres destinées à des proches nous permet de plus de rentrer au plus près de l’intimité d’Alix dont les préoccupations et le caractère nous font souvent oublier qu’elle a vécu il y a un siècle et demi. La jeune femme parle de son mari en des termes touchants et fait preuve d’un grand courage, sans chercher à se mettre en avant. Elle relate également par le menu les rapports qu’elle entretient avec les soldats qui constituent le bataillon de son mari, et qui la traitent tous avec déférence et affection (elle mentionne les petites attentions discrètes qu’ils ont pour elle au quotidien comme lui déposer un bol d’eau au réveil pour qu’elle puisse de laver ou lui réserver un coin un peu plus douillet pour dormir).

On ne nous relèvera pas encore aujourd’hui. Il y a du mécontentement chez les hommes, à cause de la mauvaise administration, de l’excès de fatigue, et surtout parce que les tranchées sont très mal défendues, il y a le quart des hommes qu’il faudrait.

Le regard critique de Michèle Audin

L’intérêt de l’ouvrage réside également dans le fait que Michèle Audin entreprend lors de ses interventions rythmant les différentes lettres de confronter le témoignage d’Alix à d’autres écrits de contemporains qui se rejoignent souvent mais se contredisent aussi. Le récit de la jeune femme permet en tout cas de se faire une bonne idée des conditions de vie des soldats et des citoyens à Paris pendant le siège de la ville par les Prussiens, puis lors des combats contre les Versaillais. Elle relate le rationnement, la pluie, la boue, le froid, l’inconfort, la mauvaise gestion des bataillons et des armes… Ses lettres permettent également de revenir sur des idées reçues concernant la Commune mais aussi sur les représentations parfois erronées que l’on se fait des combats. Alix parle des états-d’âme des soldats, de leur ras-le-bol, de leurs familles, de leur talent, aussi (certains sont poètes, d’autres chanteurs, d’autres des vétérans de précédentes batailles, à l’image du zouave Mercier…). Enfin, son témoignage permet d’avoir l’avis d’une contemporaine sur certaines grandes figures historiques (Trochu est par exemple dépeint avec hostilité quand Gambetta semble avoir les faveurs de la jeune femme). Les annotations de Michèle Audin permettent chaque fois de préciser un point un peu flou du témoignage ou de confronter les dires d’Alix à ceux d’autres sources historiques, ce qui permet de se faire une idée plus précise de cette période foisonnante et pourtant mal connue. A noter que les lettres et annotations sont accompagnées d’autres types de sources, comme des cartes des lieux des combats, un portrait de la jeune femme, des laisser-passer (qui permettent de suivre le déplacement de la famille pendant cette période) ou encore les cachets des lettres (qui nous donnent cette fois des indications concernant la manière dont des lettres pouvaient parvenir à destination hors de Paris en plein blocus militaire).

En proposant une nouvelle version augmentée et commentée du témoignage d’Alix Payen, ambulancière pendant la Commune de Paris, Michèle Audin nous permet de revivre les événements par les yeux d’une contemporaine, et ainsi de nous faire une vision d’autant plus précise de la période que l’autrice exerce un regard critique sur sa source, soulignant des approximations, erreurs ou contradictions. A noter que la lecture nécessite d’avoir, au préalable, quelques connaissances sur cet événement marquant du XIXe sur lequel l’autrice apporte ici que des précisions : il ne s’agit pas d’un ouvrage de vulgarisation ou d’un essai. Avis aux amateurs d’histoire, donc…

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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