Fiction historique

Louise Michel, la vierge rouge

Titre : Louise Michel, la Vierge rouge
Scénaristes et illustrateurs : Mary et Bryan Talbot
Éditeur : La librairie Vuibert
Date de publication : 2016

Synopsis : Louise Michel (1830-1905) a eu un destin hors du commun : combattante politique, féministe avant l’heure, aventurière de la liberté… Dans ce roman graphique, Mary et Bryan Talbot font revivre l’héroïne de la Commune de Paris et nous transportent à ses côtés, des rues de la capitale pendant le siège de 1870 aux plages de Nouvelle-Calédonie où elle fut exilée. De combats en arrestations, de victoires en défaites, de fusillades en moments de partage, nous sommes plongés avec elle au plus près du petit peuple de Paris qui lutte pour ses droits, puis des Kanaks se battant pour leur émancipation.

Si vous êtes las de végéter dans l’ignorance et la pauvreté, si vous souhaitez que vos enfants puissent un jour profiter du fruit de leur labeur plutôt que d’être réduits au rang d’animaux d’usine, à faire la fortune d’un exploiteur, alors faites preuve d’intelligence. Nous devons en finir pour toujours avec la propriété privée. Nous devons garder le contrôle des moyens de production. Nous devons tenir bon !

Dans le cadre des 150 ans de la Commune de Paris, découvrez nos différents articles sur le sujet : « La Commune de Paris » de Sebastian Haffner (à venir : « Dans l’ombre du brasier » d’Hervé Le Corre ; « C’est la nuit surtout que le combat devient furieux », témoignage d’Alix Payen retranscrit par Michèle Audin et « Les damnés de la Commune » de Raphaël Meyssan)

Figure emblématique de la Commune

22 janvier 1905. A Paris, un cortège funèbre réunissant plusieurs milliers de personnes encadrés par un cordon de police marche dans les rues. Il s’agit du dernier hommage rendu par la population parisienne à Louise Michel, figure révolutionnaire et féministe emblématique de la Commune qui eut lieu trente-quatre ans plus tôt. Charlotte Perkins Gilman est quant à elle une écrivaine réformiste américaine qui s’est livrée au début du XXe a de nombreuses conférences partout en Europe sur la question du féminisme (son ouvrage « Women and Economics » a notamment connu un important retentissement). Le parcours de ces deux femmes n’a, à priori, pas grand-chose à voir, pourtant c’est la visite de la seconde dans la capitale française qui fournit ici l’occasion à Mary et Bryan Talbot de nous faire découvrir en parallèle le parcours peu commun de celle que l’on surnomme parfois la « Vierge rouge ». Au fur et à mesure des ses pérégrinations parisienne, la féministe américaine va en effet se faire raconter par une amie proche de Louise et sa fille le parcours de cette institutrice révoltée, de sa participation à la Commune de Paris aux combats menés à la fin de sa vie, sans oublier bien sur ses années d’emprisonnement et de déportation. Composé d’une centaine de pages, l’ouvrage se révèle relativement dense et parvient à trouver le bon équilibre entre l’exposition des spécificités du parcours de Louise Michel et la contextualisation inévitablement nécessaire aux lecteurs peu aux faits des évènements de la fin du XIXe siècle français. Les dessins sont pour leur part soignés et se concentrent essentiellement sur les visages, très expressifs, des personnages. Le choix du noir et blanc ajoute à la gravité du sujet également renforcé par les occasionnelles touches de rouges qui apparaissent ici ou là au détour d’une planche, sang versé ou foulard arboré en signe de ralliement aux révoltés.

Une vie de révolte

Mais qu’a-t-elle de si particulier, cette Louise Michel, pour qu’on lui dédie des livres et qu’on renomme des rues ou des stations de métro à son nom ? C’est d’abord son rôle lors de la Commune de Paris qui l’a rendu célèbre : la nuit du 18 mars, c’est elle qui trouve une sentinelle blessée par les troupes de Thiers, venus récupérer discrètement les canons de la garde nationale mis en sécurité par la population sur les hauteurs des quartiers populaires (Montmartre, notamment). Une foule ne tarde pas à se rassembler et fait échouer l’opération : les soldats fraternisent avec les habitants et refusent de tirer, le gouvernement de Thiers fuit la ville dans la foulée et des élections sont organisées afin d’élire les membres de la Commune de Paris. L’ouvrage revient ici de manière concise mais claire sur les grandes étapes de cet événement qui marqua durablement l’histoire de France : la guerre contre la Prusse et le siège de Paris, la capitulation du gouvernement provisoire et l’insurrection du 18 mars, sans oublier la Semaine Sanglante qui vit le massacre d’une grande partie de la population. Les auteurs s’attardent évidemment sur le cas de Louise Michel et nous livrent plusieurs anecdotes révélatrices de son caractère : sa générosité envers les plus démunis est abondamment mise en avant, de même que son éloquence, son excentricité, et bien sûr sa volonté de combattre l’injustice, quelles qu’en soit les victimes. Après la Commune vient la déportation, et il s’agit sans doute de l’aspect le plus intéressant de l’ouvrage car le moins connu. Condamnée à être déportée au bagne sur une île isolée de Nouvelle-Calédonie, Louise Michel y retrouvera quantité d’anciens compagnons de lutte et se démarquera à nouveau par son intérêt pour la culture kanake et par sa virulence pour condamner le traitement qui leur est réservé sur leur propre terre par les Occidentaux. Son retour en France sera moins mouvementé, même si plusieurs événements la marqueront durablement : la construction du Sacré Coeur visant à « expier les crimes de la Commune », celle (sous un jour plus positif) de la tour Eiffel, ou encore sa tentative d’assassinat.

Le XIXe politique et artistique

L’ouvrage est instructif sur le fond et agréable sur la forme même si, comme la plupart des récits biographiques, il n’échappe pas au principal travers propre à ce type d’exercice, à savoir la tentation de dépeindre l’objet d’étude de manière trop hagiographique. Certes, Louise Michel était sans aucun doute une femme exceptionnelle de part son parcours et ses prises de position dont la modernité ne peut que nous la rendre sympathique, mais Mary et Bryan Talbot en font parfois un peu trop dans la mise en scène grandiloquente (notamment lorsqu’elle est présentée s’exprimant seule à la tribune pour haranguer les foules). Le portrait dressé de Charlotte Perkins Gilman est, pour sa part plus nuancé, ses positions ouvertement racistes n’étant pas passées sous silence. Outre les deux femmes, on croise également tout au long de ce périple dans la fin du XIXe d’autres figures historiques qui ont tourné, brièvement ou durablement, autour de Louise Michel : Victor Hugo (avec lequel elle entretint pendant longtemps une correspondance), le journaliste révolutionnaire (puis boulangiste et maurrassien…) Henri Rochefort, mais aussi Clemenceau (maire de l’arrondissement de Montmartre en 1871) ou encore l’artiste Albert Robida. L’art, et notamment la littérature, occupe en effet une place de choix dans l’ouvrage qui, au delà du parcours de Louise Michel, s’interroge sur l’idée d’utopie et sur les futurs idéalisés pensés fin XIXe – début XXe. Des références qui plairont aux amateurs de science-fiction, puisqu’il s’agit évidemment du genre littéraire de prédilection pour aborder cette thématique. L’occasion pour les auteurs d’évoquer les travaux de Wells, Robida ou encore Jules Verne.

Mary et Bryan Talbot signent avec ce roman graphique un ouvrage complet et bien documenté aussi bien sur le personnage de Louise Michel que sur le contexte dans lequel sa légende s’est forgée. La solide reconstitution historique permet ainsi aux lecteurs de plonger dans la France de la fin du XIXe, avec inévitablement une large part accordée à la Commune de Paris et sa répression. Une bonne initiation pour ceux que la période intéresseraient et un beau portrait consacré à une figure majeure du mouvement ouvrier, toujours populaire aujourd’hui.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

2 commentaires

  • Tigger Lilly

    Heureuse de découvrir qu’il existe une bd sur Louise Michel, ça a l’air pas mal du tout (je note bien le côté grandiloquent de la bd, pour apaiser un peu le truc à la lecture). Je connais Louise Michel de nom et un peu ce qu’elle a fait, mais au final assez peu, je trouve que la bd est un moyen idéal de se plonger dans des figures historiques, bien moins rébarbatif qu’un essai biographique. Bref, je l’ai mis en wish bd ^^

    • Boudicca

      Ah chouette ! Oui je trouve que la BD permet de découvrir de manière ludique un personnage ou une époque, qu’on est libre d’aller explorer plus en détail ensuite. Contente que cet ouvrage t’intrigue 🙂

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