La Maison des Jeux, tome 1 : Le Serpent
Titre : Le Serpent
Cycle/Série : La Maison des jeux, tome 1
Auteur : Claire North
Éditeur : Le Bélial (collection Une Heure Lumière)
Date de publication : 2022 (mars)
Synopsis : Venise, 1610. Au cœur de la Sérénissime, cité-monde la plus peuplée d’Europe, puissance honnie par le pape Paul V, il est un établissement mystérieux connu sous le nom de Maison des Jeux. Palais accueillant des joueurs de tous horizons, il se divise en deux cercles, Basse et Haute Loge. Dans le premier, les fortunes se font et se défont autour de tables de jeux divers et parfois improbables. Rarement, très rarement, certains joueurs aux talents hors normes sont invités à franchir les portes dorées de la Haute Loge. Les enjeux de ce lieu secret sont tout autre : pouvoir et politique à l’échelle des États, souvenirs, dons et capacités, années de vie… Tout le monde n’est pas digne de concourir dans la Haute Loge. Mais pour Thene, jeune femme bafouée par un mari aigri et falot ayant englouti sa fortune, il n’y a aucune alternative. D’autant que l’horizon qui s’offre à elle ne connaît pas de limite. Pour peu qu’elle gagne. Et qu’elle n’oublie pas que plus élevés sont les enjeux, plus dangereuses sont les règles…
Le jeu est celui des Rois. A l’intérieur d’un de ces coffrets, vous trouverez des pièces qu’il vous sera loisible de déployer. Chaque pièce représente une personne, quelque part dans la ville, qui ses actes inconsidérés, des paris, des dettes, ou une ambition mal placée, ont rendue redevable envers cette maison. Nous vous transférons désormais sa créance, afin que vous l’utilisiez à votre avantage.
Échiquier politique grandeur nature
Chez la collection Une Heure Lumière du Bélial, on ne compte plus le nombre de pépites dénichées aussi bien parmi les auteurs français qu’étrangers, du « Ormeshadow » de Priya Sharma à « Vigilance » de Robert Jackson Bennett, sans oublier les deux tomes de « Molly Southbourne » de Tade Thompson ou le « Symposium inc » d’Olivier Caruso (pour ne parler que des plus récents). « Le Serpent » de Claire North se hisse sans mal à la hauteur des œuvres précitées, et inaugure une trilogie passionnante mêlant histoire et fantasy. L’intrigue de ce premier tome se déroule à Venise, en 1610, où l’on fait la connaissance d’une jeune femme, Thene, menant une vie morne suite à un mariage malheureux avec un époux qui la méprise et dilapide son argent dans l’alcool et les jeux. Agacé par l’apparente indifférence de son épouse, et désireux de l’humilier encore davantage en lui faisant assister au gaspillage de sa fortune, le mari l’entraîne régulièrement dans une institution vénitienne fort prisée mais aussi fort mystérieuse, la Maison des Jeux. Divisée en deux espaces, la Basse et la Haute Loge, l’endroit offre la possibilité de tester toute sorte de jeux, des plus anodins aux plus stratégiques, pour des enjeux d’importance là aussi très variable. Incitée à jouer à son tour par un étrange personnage qu’elle affronte nuit après nuit, la jeune femme se découvre très vite un talent pour le jeu, ce qui lui permet d’accéder à la très select Haute Loge, dans laquelle se déroule des parties bien différentes. Pour y être admise à titre définitif, Thene va devoir s’opposer à trois adversaires dans une partie d’échec grandeur nature. En effet, une place d’inquisiteur au Tribunal Suprême vient tout juste de se libérer à Venise, et quatre candidats de force plus ou moins égale briguent le titre. Chaque joueur se voit alors attribuer un prétendant, mais aussi des pièces qui correspondent à de véritables habitants de la ville, tous d’anciens joueurs ayant contractés une dette auprès de la Maison des jeux et que Thene et ses homologues vont pouvoir utiliser à leur guise pour que leur « roi » puisse remporter la partie. Que le meilleur gagne !
-Suis-je une ennemie ?
-Nous sommes tous les deux des joueurs.
-Mais vous livrez une autre partie, n’est-ce pas ?
Deux parties, deux enjeux
L’intrigue tourne essentiellement autour des luttes de pouvoir auxquelles se livrent de puissantes familles, une thématique somme toute assez classique en fantasy mais dont l’intérêt se trouve ici renforcé par l’aspect « jeu d’échec ». La partie à laquelle se livre l’héroïne est captivante, pleine de rebondissements et de coups de théâtre inattendus, et permet au lecteur de profiter d’une splendide visite dans cette Venise du début du XVIIe. Mais davantage que le décor, ce sont les personnages qui suscitent avant tout la curiosité. Spadassin volubile mais implacable, gratte-papier à priori insignifiant mais connaissant tous les potins qui agitent la ville, religieuse au passé trouble ou prostituée de luxe ayant des oreilles partout : les différentes « cartes » mises à disposition de Thene sont toutes intrigantes et participent, à la fois par la diversité de leur profil mais aussi par leur association facilement identifiable avec une figure de jeu traditionnelle, à renforcer l’originalité du récit. L’intérêt que l’on porte à l’histoire va croissant à mesure qu’on réalise qu’une seconde partie est en cours, et que les enjeux de celle-ci vont bien au-delà de la simple obtention d’une place prestigieuse dans une petite ville italienne. Le mystère qui entoure la Maison des Jeux et son étrange propriétaire participent évidemment eux aussi à maintenir le lecteur en haleine, et on devine sans peine qu’il s’agit là du fil rouge qui guidera les trois tomes de la trilogie, la partie d’échec en cours n’étant qu’un coup parmi d’autres dans une autre partie, bien plus vaste et bien plus longue. La plume de l’autrice, elle, est agréable et un peu nerveuse, ce qui permet de souligner encore davantage la tension qui imprègne le récit à partir du moment où Thene entame sa partie. De même, le choix de confier la narration à un personnage inconnu, qui semble observer toute la partie en surplomb, et s’adresse régulièrement à l’héroïne par le biais du « tu », renforce le sentiment d’oppression du lecteur, ainsi que sa conviction de l’existence d’enjeux et de règles pour le moment tenus secret mais d’une importance capitale. Thene est pour sa part une héroïne peu ordinaire, distante et froide et pourtant attachante, le lecteur aspirant plus que tout à la victoire finale de cette jeune femme dont le prétendant figure pourtant parmi les plus mal loti en terme d’influence et d’alliés.
Appliquant de façon tout ce qu’il y a de plus littérale l’expression « échiquier politique », Claire North nous offre ici un premier tome captivant mettant en scène une partie d’échec grandeur nature impliquant des joueurs retors, des rois ambitieux en concurrence pour exercer une charge prestigieuse dans la Venise du XVIIe, et des individus/pièces qui doivent être utilisés à bon escient. Il en résulte une intrigue qu’on suit avec un plaisir immense, plaisir qu’on est ravi de pouvoir bientôt prolonger via les autres volumes de cette trilogie de « La Maison des jeux » qui vient rehausser encore un peu plus la qualité (déjà excellente) de la collection « Une Heure Lumière ».
Voir aussi :
Tome 2 ; Tome 3
Autres critiques :
Celinedanaë (Au pays des cave trolls)
Dionysos (Le Bibliocosme)
L’Épaule d’Orion
Le nocher des livres
Les Chroniques du Chroniqueur
Ombrebones (Chroniques de l’imaginaire)
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