Essai

Winter is coming – Une brève histoire politique de la fantasy

Titre : Winter is coming – Une brève histoire politique de la fantasy
Auteur/Autrice : William Blanc
Éditeur : Libertalia
Date de publication : 2023 (réédition de l’oeuvre de 2019)

Synopsis : Grande fresque épique de fantasy inspirée des romans de G. R. R. Martin, Game of Thrones est l’une des séries les plus célèbres au monde. Cette fascination pour un univers médiéval, dont les protagonistes craignent la venue d’un long hiver apocalyptique, fait écho aux angoisses contemporaines concernant le dérèglement climatique causé par l’activité humaine. G.R.R. Martin n’a pas été le premier auteur à utiliser la fantasy pour parler des dérives du monde moderne et d’écologie. À bien y regarder, le genre du merveilleux contemporain développé à la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne a constamment servi d’outil pour critiquer la société industrielle. De William Morris à J.R.R. Tolkien en passant par Ursula Le Guin, Robert E.Howard ou Hayao Miyazaki, ce petit ouvrage invite à questionner la généalogie politique de la fantasy.

« Ils peuvent garder leur paradis. Quand je mourrai, je préfère aller en Terre du Milieu. » G. R. R. Martin

Hobbits, dragons… des « créatures politiques » ?

« Winter is coming », expression empruntée à l’œuvre iconique de G. R. R Martin « Game of thrones », est le titre d’un essai au sous-titre plus évocateur : « Une brève histoire politique de la fantasy ». L’historien William Blanc y revient sur la dimension politique de ce sous-genre de l’imaginaire généralement cantonné à de la littérature d’évasion, mais aussi sur les liens étroits que la fantasy entretient avec le Moyen Age et surtout une certaine critique de la modernité. Très accessible et instructif, l’ouvrage se compose de trois grands chapitres, chacun consacré à une œuvre en particulier qui permet d’illustrer le propos de l’auteur : « The House of the Wolfings » de William Morris ; « Le seigneur des anneaux » de J. R. R. Tolkien et « Game of thrones » de G. R. R. Martin. Suivent ensuite plusieurs petits articles consacrés à des personnages ou des thématiques récurrentes dans ces œuvres pour lesquels l’auteur propose une grille de lecture. On en apprend ainsi un peu plus sur l’évolution de la figure du dragon en fantasy qui devient de moins en moins négative à mesure que se développe la sensibilité écologique des lecteurs pour qui ces derniers incarnent désormais le merveilleux. L’auteur y aborde aussi l’omniprésence dans les œuvres de fantasy (et encore plus dans « Game of thrones ») de la métaphore saisonnière qui induit là encore une critique de la modernité et se révèle être un motif médiéval récurant. L’ouvrage revient aussi sur l’essor des pratiques ludiques en lien avec la fantasy à partir des années 1960, un processus de « démocratisation de l’imaginaire », ou encore sur l’existence du courant de « christianisme musculaire » dans lequel s’inscrit pleinement le héros Conan de Robert Howard. Enfin, l’exemplaire dont je dispose étant une réédition récente de l’ouvrage paru initialement en 2019, la nouvelle version s’accompagne d’une sorte de postface dédiée aux usages politiques de la fantasy ces quatre dernières années. L’essai comporte aussi une section « iconographie », avec des illustrations de couvertures ou d’affiches commentées, ainsi qu’une bibliographie thématique.

Critique de la modernité chez William Morris

William Blanc consacre son premier chapitre à un auteur sans doute moins connu du grand public que Tolkien ou Martin mais dont de nombreuses œuvres s’inscrivent dans ce courant littéraire qui n’en est qu’à ses balbutiements à la fin du XIXe. L’auteur revient ici sur l’empreinte laissée par l’imaginaire médiéval qui, loin de ne séduire que les conservateurs, est aussi réutilisé par les artistes romantiques qui critiquent la révolution industrielle. C’est le cas du mouvement préraphaélite fondé au milieu du XIXe et qui parvient à attirer de grandes figures de l’imaginaire. C’est le cas de Lewis Caroll mais aussi de William Morris, auteur qui rejette les formes d’arts élitistes, propose de rendre accessible à tous des légendes médiévales qu’il réécrit et publie, tout cela dans une volonté de « démocratisation de l’accès à la beauté ». En 1889, il écrit « The House of the Wolfings » qui « constitue dans doute l’une des premières œuvres annonçant la fantasy moderne » et s’inscrit dans son engagement très marqué à gauche. Le roman relate le conflit opposant l’empire romain à des tribus germaniques, ce qui n’a rien d’un hasard puisque, comme l’auteur le rappelle, de nombreux auteurs socialistes ou anarchistes du XIXe voient dans les sociétés « barbares » « des modèles de communisme primitif ». Des représentations idylliques et non pas historiques, mais qui inspirent Morris et font de ses héros « de quasi-socialistes avant l’heure ». Là encore pour des raisons idéologiques, l’auteur accorde une grande importance à l’architecture. Le « hall » ou le « toit » communautaire, notamment, occupe une place centrale et sert de « métaphore à l’utopie ». Les bâtiments qu’il imagine sont beaux, éloignés des standards utilitaristes du capitalisme, et proches de la nature. Il s’inscrit en cela dans un courant de la gauche révolutionnaire de l’époque qui dénonce la ville industrielle. Pour l’historien, écrire de la fantasy comme le fait à l’époque Morris « c’est donc déjà préparer les masses à l’avenir. »

Critique de la guerre et des ravages de l’industrialisation chez Tolkien

Dans sa deuxième partie, William Blanc s’intéresse à l’œuvre de Tolkien, toujours du point de vue d’une dénonciation de la modernité. Il rappelle que Tolkien va dans un premier temps mobiliser l’imaginaire pour dénoncer la guerre puisqu’il écrit « La chute de Gondolin » après être revenu du front de la Somme. Il y dépeint la chute d’une ville conquise par un esprit du mal, et le contraste est marquant entre un « ost féerique médiéval défendant une cité, et des escadrons équipés d’armes industrielles détruisant tout sur leur passage. » William Blanc souligne qu’il n’est pas le seul artiste à avoir tenté d’exorciser ses souvenirs de la Grande Guerre par le biais de l’art ou de l’abstrait. Il s’agit ici de « faire semblant d’échapper à la réalité pour mieux en parler ». Vingt ans plus tard, il rencontre le succès avec Le Hobbit (1937) puis le Seigneur des Anneaux, une œuvre qu’il ne considère pas comme une « allégorie de la lutte contre le nazisme », mais dans laquelle on retrouve néanmoins la même inquiétude concernant la course aux armements et la déshumanisation qui attend les combattants. Ces deux œuvres dépeignent elles aussi une sortie d’utopie, celle de la Comté, dont les habitants vivent en harmonie avec la nature et sans aucune volonté de dominer ni leur environnement de leur prochain. Ainsi, Tolkien porte lui aussi par le biais de l’imaginaire une critique de la modernité et des villes industrielles. Le discours écologiste continue ensuite d’influer sur les auteurs d’imaginaire dans les années 1960, les mouvements contestataires de l’époque se réappropriant alors massivement l’œuvre de Tolkien. Cet aspect va être renforcé par l’arrivée de la fantasy au cinéma, avec de grands succès comme « Avatar », « La guerre des étoiles », « Harry Potter » et bien sûr « Le seigneur des anneaux », autant de films mettant en scène des personnages oppressés par la ville ou la technologie et trouvant refuge dans de grands espaces, des planètes sauvages ou des forêts qui permettent un réenchantement du réel.

Allégorie du réchauffement climatique chez Martin

Dans son dernier chapitre, l’historien revient sur l’œuvre de G. R. R. Martin, auteur qui revendique ouvertement considérer la fantasy comme un outil permettant de « s’opposer au monde industriel et marchandisé », bref, pour lui, « la fantasy est par essence politique. » On retrouve dans son œuvre la même critique de la société industrielle et la même fascination pour le MA et son esthétique. Son propos politique réside toutefois plutôt dans l’idée qu’il n’y a pas de camp du bien ou du mal « mais des actions que les gouvernants doivent assumer » L’auteur rapproche l’œuvre de Martin d’un mélange entre la fantasy et Machiavel : il est bel et bien question de politique, mais sans idéalisme. La dimension écologique du texte est maintenant clairement établie, les divisions des royaumes du Sud ne permettant pas de lutter efficacement contre la menace venue du nord contre laquelle l’humanité doit pourtant être totalement unie si elle veut espérer la vaincre. Des responsables politiques ou des militants se mettent alors à utiliser le parallèle avec l’oeuvre de fantasy pour parler du réchauffement climatique comme c’est le cas de Pablo Iglesias (l’un des responsables de Podemos), de Greenpeace (« Winter is not coming »), ou même des acteurs de la série. Cette allégorie qui fait consensus aujourd’hui n’a pourtant pas toujours été revendiquée comme telle par l’auteur, ce qui laisse à penser qu’il ne s’agissait pas d’une volonté consciente de sa part. L’auteur admet aujourd’hui que cette interprétation est cependant valide, la signification de l’oeuvre ayant donc été transformée par une appropriation collective de celle-ci par ses lecteurs. Pour l’auteur, on retrouve ici le même processus utilisé par Tolkien pour évoquer la Première Guerre mondiale : « Cent ans plus tard, les téléspectateurs du début du XXIe siècle doivent eux aussi passer par l’échappatoire de la fantasy pour formuler leurs craintes face à l’importance dramatique des bouleversements qui s’apprêtent à frapper notre planète. »

Usages politiques récents de la fantasy

Si les courts chapitres consacrés aux dragons, aux saisons ou au jeu de rôle sont intéressants, c’est la postface intitulée « Faire face aux orcs ! » qui se révèle la plus marquante dans la mesure où elle se penche sur des réappropriations très récentes d’œuvres de fantasy dans un cadre politique. L’auteur revient à ce propos sur le final de la série Game of thrones, remarquant que les militants écologistes continuent d’utiliser l’oeuvre pour sensibiliser à la question du réchauffement climatique et à l’urgence qu’il représente. Il revient aussi sur la réappropriation par les Ukrainiens du vocabulaire de Tolkien, les Russes étant qualifiés d’ « orcs », y compris par Zelensky lui-même. La grille de lecture consistant à considérer la fantasy comme une mise en scène d’héroïques résistants face à une puissance totalitaire n’est pas nouvelle et perdure encore aujourd’hui (l’auteur rappelle que, bien que Tolkien s’en défende, la trilogie du Seigneur des anneaux a longtemps été perçue par l’URSS comme une critique du stalinisme). William Blanc explique toutefois que d’autres aspects de l’oeuvre sont aussi utilisés par les Russes, rapportant notamment une anecdote étonnante qui m’avait échappée concernant la distribution par Vladimir Poutine à huit présidents d’anciennes Républiques soviétiques de huit anneaux, le neuvième lui étant réservé. Ambiance… L’auteur voit dans ces réappropriations récentes une confirmation que l’essor de la fantasy est lié à une évolution de notre façon de voir le monde. On est désormais loin de l’âge d’or de la SF dont les ouvrages proposaient une vision optimiste du futur et positive de la technologie. « Alors que la fantasy monte désormais au front, jamais nos ailleurs médiévalistes, ces là-bas forgés autour de jadis fantasmés, n’ont été tant d’actualité ici et maintenant. »

Avec « Winter is coming », l’historien William Blanc tente d’analyser la fantasy selon un prisme politique. D’abord par le biais de l’étude de trois œuvres majeures qui partagent une même fascination pour l’imaginaire médiéval et une même volonté de dénoncer la modernité et les effets délétères de l’industrialisation. Ensuite en étudiant comment ces œuvres de fantasy sont aujourd’hui réutilisées pour aborder des actualités aussi brûlantes que la guerre ou le réchauffement climatique. Un ouvrage accessible et instructif, donc, qui montre bien que « les dragons et les Hobbits ont donc toujours été des animaux politiques. »

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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