Fantasy

La descente ou la chute

Titre : La descente ou la chute
Auteur : Basile Cendre
Éditeur : Les Moutons Électriques
Date de publication : 2021 (février)

Synopsis : Au bord du précipice, Loup hésite. Il doit choisir entre la Descente ou la Chute. Sauter pour sombrer dans la brume ou descendre de son perchoir et dégringoler les montagnes de décombres, de ferrailles enfouies et hostiles. Peut-être atteindre les profondeurs obscures où dorment les titans, ces géants corrompus au sommeil éternel… et tourmenté. Il lui faudra éviter les chuchotements vicieux de la brume, l’étreinte froide et violente des Oubliés, et la tentation troublante du vertige. Mais Loup le sent, il y a un secret en bas, une liberté que le ciel plombé des hauteurs lui refuse.

La noirceur est dans ta caboche, je te le dis, tas de viande. Ainsi que dans tout ce grand fatras de chair qui te sert d’enveloppe. Elle dort comme les titans, et comme les titans, son sommeil est fragile.

Une pépite atypique

Après avoir découvert les deux pépites mises en avant par ActuSF (« La Machine ») et Mnémos (« Diamants ») à l’occasion de la rentrée de la fantasy 2021, je me suis attelée à la lecture de celle promue par Les Moutons Électriques. Signé par un auteur qui fait son entrée sur la scène de l’imaginaire francophone, « La descente ou la chute » est sans doute le moins abordable et le plus atypique des trois. Jugez plutôt : le récit commence par le choix d’un homme, Loup, banni de son village pour une raison que l’on ignore. Délaissant la chute au profit de la descente, notre héros s’engage dans le gouffre dans lequel il a passé une partie de sa vie en tant que ferrailleur, mais cette fois sans espoir de retour. A l’abri dans les hauteurs, les « perchés » échappent en effet à la majorité des effets néfastes de la brume, substance terrifiante qui hante les profondeurs et transforme en coquille vide de souvenir et d’âme celui ou celle qu’elle corrompt. En dépit de ses nombreux talents, Loup a peu de chances d’échapper à son influence néfaste, de même qu’il lui faudra se méfier des oubliés (ceux pris par la brume) ou des bêtes d’ombres qui pullulent dans les niveaux inférieurs. Ce qui se trouve tout en bas du gouffre, nul ne le sait, même si des légendes circulent concernant la présence de titans endormis dont les exhalaisons remonteraient jusqu’aux hauteurs. C’est donc un voyage vers l’inconnu qu’entreprend Loup, comme avant lui quantité d’autres bannis, avec l’espoir fou de retrouver la trace de l’un d’eux, une femme, qui fut son amie et amante et dont il ne peut croire au trépas. Relié par un fil composé d’une étrange matière dont les secrets se sont aujourd’hui perdu, le voilà réduit à descendre, palier par palier, arrimé à l’inflexible et attentionné Gaston, ami de toujours, a qui il communique par l’intermédiaire de ce même fil les détails de sa progression. Il est des romans dans lesquels les auteurs/autrices immergent peu à peu le lecteur afin de ne pas trop l’effaroucher, et d’autres où l’on se retrouve propulsé directement dans le grand bain sans autre forme de procès. Le roman de Blaise Cendre est de la deuxième catégorie, ce qui refroidira peut être une partie du public.

Descente vertigineuse dans les profondeurs du monde

La quatrième de couverture fait mention d’une « fantasy post-apo », mais les références qui viennent étayer cette hypothèse sont relativement minces. En réalité on ignore complètement où et quand on se trouve, et c’est en partie ce qui fait le charme du récit. L’auteur ne s’encombre pas de grandes explications pour planter le décor ou mettre à l’aise le lecteur en lui exposant par le menu les enjeux dont il sera question : il faut se résoudre à prendre le train en marche et se montrer patient en collectant et en tentant de donner un sens à tous les petits indices amassés au fil du périple de Loup. Tour à tour source de frustration ou d’excitation, ce mystère savamment entretenu participe évidemment à l’étrange fascination qu’on ne manque pas de ressentir à la lecture de l’avancée du personnage dans les ténèbres. D’une verticalité oppressante, le décor élaboré par Blaise Cendre a de quoi donner le vertige et intrigue autant par son absence de familiarité que par son dépouillement. Le roman est rythmé par les différentes rencontres ou découvertes que va réaliser Loup, l’immense gouffre dans lequel il a plongé étant loin d’être inhabité. On traverse ainsi avec lui plusieurs paliers où des êtres vivants se sont autrefois installés ou vivent encore, chacun avec un mode de vie bien différent de celui des « perchés ». Chaque découverte amène son lot de surprises et d’interrogations, et il faut accepter de voir une partie d’entre elles demeurées sans réponse, la conclusion se révélant aussi avare en révélations que le reste du roman. Le rythme, lui, est sans doute le plus gros point faible du récit qui, malgré de fréquents rebondissements permettant de relancer l’intrigue, a tendance à stagner en raison de longueurs et du sentiment d’oppression communication du héros. Les chapitres intermédiaires, consacrés aux rêves de Loup, et dans lesquels l’auteur revient sur les souvenirs d’enfance du personnage font alors figures de véritables bouffées d’air frais, permettant momentanément au lecteur d’échapper à la noirceur des bas-fonds et de ses habitants.

Noirceur et lumières

Ces sortes de flash-back écrits à la première personne sont aussi l’occasion de mieux cerner les personnages, à commencer par Loup, notre guide des profondeurs, qui se montre le reste du temps très pudique sur son histoire et ses motivations. Une pudeur qui créé malheureusement une certaine distance avec le lecteur qui pourra cependant reporter son affection sur les personnages secondaires, plus lumineux et surtout moins renfermés. C’est le cas de Gaston, chargé d’assurer Loup tout au long de la descente et dont la tendresse maladroite émeut. Il en va de même d’Auria, ferrailleuse défiant le vide et seule à même de percer la carapace du protagoniste, mais aussi de la bavarde et impertinente petite Marlène, ou encore de Brénard, mentor de Loup et conteur hors paire ayant égayé son enfance. Et puis il y a ces personnages ou créatures mystérieuses qui évoluent plus ou moins discrètement en périphérie du récit et dont les rencontres avec Loup s’avéreront aussi marquantes que dérangeantes : Rosemonde, dernière représentante de la race des hôtes, la créature de brume qui hante la descente du héros, l’inflexible contremaîtresse ou encore l’ambivalent et inquiétant Lutin. A l’image des lieux dans lesquels ils évoluent, tous mettent mal à l’aise le lecteur par leur étrangeté ou leur éloignement plus ou moins grand avec ce qu’on pourrait appeler l’humanité, que ce soit en raison de la brume, de la folie ou d’une ambition dévorante. Un mot, pour finir, concernant l’écriture de l’auteur qui possède une plume élégante et lyrique qui participe grandement à la fascination empreinte d’inquiétude éprouvée par le lecteur tout au long de la chute du personnage.

« La descente ou la chute » est un roman atypique dans lequel Basile Cendre brouille les repères du lecteur et l’entraîne dans une descente angoissante dans les bas-fonds d’un monde tout en verticalité au côté d’un personnage hanté et secret. Le rythme du récit se révèle fluctuant, alternant entre passages immersifs et intrigants et longueurs monotones qui refroidissent un peu la curiosité du lecteur. La belle plume de l’auteur et l’affection que l’on porte aux personnages secondaires, de même que le désir impérieux de réunir enfin toutes les pièces du puzzle incitent toutefois à la patience et l’indulgence. Une expérience de lecture atypique, à découvrir.

Autres critiques : ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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