Fiction historique

Le chant des déesses, tome 1 : Pénélope, reine d’Ithaque

Titre : Pénélope, reine d’Ithaque
Cycle/Série : Le chant des déesses, tome 1
Auteur/Autrice : Claire North
Éditeur : Hauteville (label de Bragelonne)
Date de publication : 2023 (avril)

Synopsis : Le roi Ulysse est parti il y a de nombreuses années en guerre contre Troie, emmenant tous les hommes en âge de combattre de l’île d’Ithaque. Pénélope, sa femme, dirige le royaume en l’attendant. Mais, lorsque des rumeurs circulent sur la mort de son mari, les prétendants commencent à frapper à sa porte. Or aucun homme n’est assez puissant pour revendiquer le trône vide d’Ulysse. Si Pénélope choisit l’un d’entre eux, Ithaque plongera dans une guerre civile sanglante. Seuls la ruse et son réseau d’espionnes lui permettront de maintenir l’équilibre délicat du pouvoir nécessaire à la survie du royaume. À Ithaque, tout le monde surveille tout le monde, et il n’y a pas un coin du palais où l’intrigue ne règne pas en maître. Le plus grand pouvoir des femmes est celui dont elles s’emparent en secret.

Maintenant il lui apparaît – et ce n’est pas la première fois – qu’elle a été une femme seule et en deuil pendant bien plus longtemps qu’elle n’a été une épouse heureuse partageant le lit de son mari. Qu’elle a passé plus de temps à froncer les sourcils à la mention de son nom, à prendre un air de profond chagrin pour complaire à ceux qui la regardaient, qu’à sourire en sa présence. Que, lorsqu’elle prononce son nom, c’est pour accomplir quelque acte politique, plutôt que parce qu’elle y entend son mari.

Ithaque menacée

Si je n’ai rien contre un peu de mythologie grecque, bien au contraire, je dois avouer que c’est avant tout le nom de Claire North (autrice de l’excellente trilogie « La maison des jeux ») qui m’a incitée à me plonger dans la lecture de ce roman. Premier tome de la trilogie « Le chant des déesses », l’ouvrage met en scène le personnage de Pénélope, l’épouse d’Ulysse traditionnellement présentée comme attendant désespérément le retour de son époux et tentant à tout prix de décourager les nombreux prétendants qui se bousculent à la cour d’Ithaque afin de prendre et sa main et le trône. Vous vous en doutez, la version proposée ici par l’autrice n’est pas tout à fait la même. L’histoire nous est narrée à la première personne par Héra, déesse du mariage réputée pour sa jalousie et la cruauté de ses malédictions mais aussi protectrice des femmes, et notamment des reines. A ce titre, la souveraine d’Ithaque bénéficie de son discret soutien, et ce d’autant plus que Pénélope ne correspond pas tout à fait au profil type de la reine soumise et effacée qui prédomine dans la Grèce de l’époque, ce qui n’est pas sans plaire à la déesse sans cesse bafouée par son propre époux et à laquelle on ne laisse que des miettes de pouvoir. En effet, dans l’objectif de protéger son île et ses habitants, la souveraine s’intéresse de près à la situation géopolitique en Méditerranée, mais aussi au maintien de la prospérité et surtout de la paix de l’île, menacée de sombrer dans la guerre civile tant les conflits latents entre les prétendants et leur mécontentement croissant devant le refus de Pénélope de se choisir un époux parmi eux créent les conditions d’une véritable poudrière. Si la supposée veuve prend toujours bien garde à ne jamais laisser le moindre signe de son intelligence ou de sa détermination être décelé en public, c’est bel et bien elle qui, dans le secret de ses quartiers et avec pour seule aide celle des femmes d’Ithaque, est à la manœuvre pour éviter à l’île d’Ulysse de sombrer dans le chaos et pour résister aux velléités d’expansion de l’ambitieux Ménélas.

Une réinterprétation féministe

Bien que l’histoire narrée par Claire North soit archi connue et ait déjà fait l’objet de nombreuses réappropriations, cette nouvelle interprétation ne s’en avère pas moins rafraîchissante, et ce à plus d’un titre. On prend d’abord un plaisir certain à se replonger dans quelques uns des plus célèbres des mythes grecs, avec leur lot de métamorphoses, de trahisons, de ruses ou d’histoires d’amour tragiques. La narration étant assurée par une déesse, cette dernière n’hésite pas à faire références à de vieilles histoires, la plupart du temps afin de démontrer le côté partial des poètes et souligner l’invisibilisation permanente des femmes. Héra n’est de plus pas la seule divinité à entrer en scène, puisque l’autrice met également en scène d’autres déesses, protectrices d’autres personnages évoluant dans l’entourage plus ou moins direct de Pénélope, à commencer par Athéna ou encore Artémis. On entend également beaucoup parler de la guerre de Troie qui, on le comprend, a constitué un véritable traumatisme qui a profondément marqué l’ensemble des territoires grecs qui se sont vus dépeuplés de la quasi totalité de leurs hommes en âge de se battre. Les seuls restants sont ainsi soit de rares vétérans du conflit, soit ceux qui étaient trop jeunes ou trop vieux lorsque Ménélas et Agamemnon ont battu le rappel des troupes. Si les mythes ne l’évoquent jamais, il va donc de soi que, en l’absence des hommes, les femmes soient parvenues à se ménager davantage d’espaces de liberté et jouissent d’une indépendance nouvelle, bien que toujours très relative. A ces sujets déjà passionnants s’ajoute celui qui va constituer le fil rouge de l’histoire, à savoir l’arrivée sur Ithaque de pirates étrangers semant la terreur dans les villages côtiers et menaçant à la fois la prospérité et l’autonomie de l’île, mais aussi l’intégrité de la reine elle-même. Bien ficelée, l’histoire se déroule sans accroc et nous invite à étudier les nombreuses implications de chaque événement et à tenter d’en cerner les enjeux : un jeu de réflexion et d’analyse auquel on se prête de bon cœur.

De beaux portraits de femmes

L’enthousiasme soulevé par le roman vient aussi du regard féministe que Claire North pose sur des personnages qui, traditionnellement, se voient constamment relégués au second plan. Les femmes occupent ainsi une place prépondérante dans le roman qui met en lumière des profils ou des personnalités sur lesquels on ne s’attarde guère d’habitude. C’est le cas par exemple d’Héra, déesse occupant une position clé sur l’Olympe mais dont on fait pourtant rarement grand cas dans les mythes qui ont tendance à la cantonner au rôle de l’épouse jalouse et aigrie. Bien consciente de cette représentation, la divinité revient ici avec beaucoup d’acuité sur la façon dont les femmes sont considérées par les héros et les dieux grecs et sur le peu d’options qui leur sont offertes, tout en laissant entrevoir une personnalité forte et audacieuse ne demandant qu’à être débridée. Elle ne cherche jamais non plus à cacher les violences, notamment sexuelles, dont elles sont victimes, et ce quelque soit leur statut social. Cela concerne ainsi aussi bien les simples servantes que les reines grecques, protégées d’Héra, qui occupent aussi une place de choix et sont campées par des personnages ambivalents. C’est le cas notamment de Clytemnestre, la femme d’Agamemnon, célèbre pour avoir régné seule pendant que son mari était à Troie et pour l’avoir ensuite assassiné à son retour, ou encore de leur fille, Electre, jeune femme à la fois inquiétante et fascinante. Les esclaves aux services de la reine d’Ithaque sont elles aussi constamment visibilisées, de même que leurs sentiments auxquels personne, à l’exception de la déesse, ne prête (à tort) attention. Claire North convoque ainsi une belle galerie de personnages, et elle le fait par le biais d’une plume élégante et toute en subtilité, capable de nous transporter autant par la justesse de ses mots que par la qualité de ses non-dits.

Premier tome de la trilogie « Le chant des déesses », « Pénélope d’Ithaque » est un roman remarquable dans lequel Claire North propose une réinterprétation moderne et féministe de l’une des figures les plus consensuelles de l’Odyssée. Porté par une très belle plume, le récit met en scène une galerie de personnages féminins aux profils variés et qui permettent, chacune à leur manière, d’interroger la place des femmes dans la mythologie, ce qui permet ensuite à l’autrice d’en dynamiter en partie les codes. A lire !

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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