Fantasy

La Tour de Garde – Capitale du Sud, tome 3 : Les contes suspendus

Titre : Les contes suspendus
Cycle/Série : Capitale du Sud, tome 2 (La Tour de Garde)
Auteur : Guillaume Chamanadjian
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2023 (avril)

Synopsis : Jadis commis d’épicerie, aujourd’hui assassin de deux ducs, Nox a dû quitter une Gemina déchirée par la guerre civile. Accompagné de son ami Symètre, il arrive enfin au domaine de la tour de Garde. Il devra faire valoir ses droits sur cet héritage s’il veut en faire un havre de paix. Mais l’influence d’Iolana s’étend bien au-delà des enceintes de la cité. Nox pourra-t-il protéger son utopie de la duchesse des oreillards ? D’autant qu’il compte une ennemie plus redoutable encore en la personne de sa sœur Daphné…

-J’aime à croire que le petit commis de la maison de la Caouanne est toujours présent en vous, qu’il est encore capable de défendre sa cité. Ou même que le jeune Nohamux a à coeur de prouver que son amour perdu n’est pas mort en vain.

Délocalisation de l’intrigue

Dernier volet de la trilogie de Guillaume Chamanadjian consacrée à la ville de Gemina, « Les contes suspendus » nous offre une avant-dernière incursion dans l’univers de la Tour de Garde. Un univers qu’il partage avec l’autrice Claire Duvivier à qui reviendra donc le mot de la fin lors de la parution en octobre prochain de « L’armée fantoche », ultime volume de sa propre trilogie dédiée à une autre cité, Dehaven. Plutôt léger jusqu’à présent puisque se réduisant à quelques rumeurs concernant la situation politique de chacune des deux villes ou à une poignée de rencontres avec des personnages quittant la première cité pour rejoindre la seconde, le lien entre les deux trilogies se ressert bien plus étroitement ici. On assiste en effet à une imbrication remarquable entre les deux trames narratives du Nord et du Sud, notamment via la rencontre entre les protagonistes de chacune des trilogies, Nox et Amalia. Après avoir quitté le cœur palpitant de la cité pour s’exiler dans l’entre-deux mur dans le tome précédent, voilà que notre héros se retrouve désormais à des kilomètres de Gemina. Les événements narrés à la fin de « Trois lucioles » ont en effet laissé des traces sur Nox qui, par choix autant que par nécessité, s’exile de sa cité, à présent en proie à la guerre civile. Désormais propriétaire du domaine de la Tour de Garde, le voilà prêt à repartir de zéro, toujours en compagnie de son ami Symestre, ce qui n’est pas sans rappeler une partie de l’intrigue du deuxième tome. Le sentiment de redite est toutefois vite balayé par le vent de fraîcheur qui souffle sur ce nouveau décor dans lequel nous allons donc assister à la rencontre tant attendue entre Nox et Amalia. On est vite captivé par ce territoire vierge où tout semble possible, que ce soit en terme d’aménagement et d’architecture grâce au talent de bâtisseur de Symestre, mais aussi d’organisation sociale, aucun des deux protagonistes ne souhaitant reproduire les erreurs politiques qui bouleversèrent respectivement la vie de leur cité et celle de leurs proches. Très vite, Nox va toutefois être rattrapé par les intrigues de Gemina, ses personnalités les plus influentes n’ayant de toute évidence pas digéré son départ et les coups d’éclats qui l’ont précédé, à commencer par sa redoutable et imprévisible sœur.

Intrigues et utopies politiques

L’imbrication des deux trames narratives n’empêche néanmoins pas l’intrigue de ce troisième tome de se suffire à elle-même et de trouver sa propre conclusion. Amalia reste relativement peu présente ici et quitte d’ailleurs complètement la scène dans la dernière partie pour, on le devine, mettre un terme à sa propre partie à Dehaven. En ce qui concerne Nox, son absence de Gemina ne l’immunise pas, et de loin, contre les intrigues des ducs et duchesses, si bien que, en dépit de son exil, le jeune homme va avoir un rôle à jouer dans la guerre civile qui ravage la capitale du sud. Le nouveau décor de la Tour de Garde va également lui fournir l’occasion de se livrer à une sorte d’expérimentation sociale, une utopie en apparence d’une grande simplicité mais qui va se révéler difficile à instaurer et, surtout, à préserver. Ce questionnement politique apparaît en filigrane dans l’ensemble des tomes de la série et invite à réfléchir sur les différents fonctionnements possibles en terme de répartition du pouvoir ou d’organisation sociale, mais aussi sur les inégalités sociales qui sont aussi criantes à Gemina qu’à Dehaven, bien que les systèmes instaurés ne soient pas les mêmes. Sans être particulièrement poussée, la réflexion n’en demeure pas moins bienvenue dans le sens où elle apporte un vent de fraîcheur sur un paysage politique jusqu’à présent très classique reposant sur de puissantes familles se livrant à une guerre sans merci pour le pouvoir. On sort complètement de cet archétype ici, et cela fait du bien d’étudier quelles pourraient être les alternatives possibles, impliquant cette fois l’ensemble du corps social, y compris les plus modestes tels que les réfugiés. Bien que fictionnelle toute œuvre littéraire reste le reflet de son époque, et c’est donc sans surprise que l’on voit ce dernier tome traversé par des problématiques finalement très actuelles, bien qu’ici transposées dans un monde de fantasy, qu’il s’agisse des alternatives politiques à construire ou de l’accueil réservé aux migrants, problématique traitée ici avec beaucoup de tact et d’humanité par l’auteur.

La puissance du récit

L’autre grande thématique qui imprègne ce troisième volume tient à la puissance que peut acquérir un récit, notamment un récit commun fondateur. Guillaume Chamanadjian se livre là encore à une belle réflexion et la met concrètement en pratique dans son histoire, et ce de la plus astucieuse des manières. Ce contexte lié à l’omniprésence des contes et des figures mythiques participe évidemment à renforcer la présence du surnaturel qui occupe ici une place prépondérante dans l’intrigue dans laquelle il parvient à s’insérer de façon très naturelle. Plein de rebondissements, le récit se révèle surprenant et captivant de bout en bout, quand bien même certaines révélations étaient attendues depuis longtemps. C’est notamment le cas en ce qui concerne la Tour de garde, jeu de stratégie populaire aussi bien à Gemina qu’à Dehaven qui donne son nom à la série et dont on présentait depuis le début qu’il allait revêtir un rôle clé dans l’intrigue. Et de ce point de vue là, le lecteur ne sera pas déçu ! Outre la qualité de l’histoire, on peut également saluer celle des personnages, à commencer par Nox qui campe un héros toujours aussi attachant. Un brin naïf, sociable, fin gourmet, le commis d’épicerie charme par son humilité et son empathie, se démarquant là encore d’un certain archétype omniprésent en fantasy. La multitude de personnages qui gravitent dans son entourage est d’ailleurs la preuve de l’intérêt qu’il porte aux autres puisqu’il prend la peine de partager aussi bien ses discussions avec d’influents personnages que ses rencontres avec des individus plus modestes dont le rôle dans l’intrigue se révélera parfois presque anecdotique mais qui, pour une fois, sortent de leur invisibilisation permanente. Un mot, pour finir, sur la plume de Guillaume Chamanadjian qui s’avère toujours aussi plaisante et acquière même ici une plus grande ampleur, peut être justement en raison de la réflexion à laquelle il se livre concernant la puissance d’évocation du conte et les ingrédients qui font qu’une histoire reste dans les mémoires.

Avec « Les contes suspendus » Guillaume Chamanadjian nous livre une belle conclusion à sa trilogie « Capitale du sud » dans laquelle il relate les luttes de pouvoir ayant cours dans la cité de Gemina et dans lesquelles un commis d’épicerie apparenté à une grande famille va se retrouvé mêlé. Ciselée et rythmée, l’intrigue de cet ultime volume séduit à la fois par ses rebondissements que par les nombreuses réflexions que l’utopie en formation de la Tour de Garde font surgir. Nox reste pour sa part un héros comme on en rencontre pas si souvent que cela, l’un de ceux qu’on en vient presque à considérer comme un ami et qu’on éprouve de la peine à quitter une fois la dernière page refermée. La conclusion définitive de la série paraîtra dans quelques mois, mais je crois que l’on peut d’ores et déjà considérer que « La Tour de Garde » est une œuvre qui marquera pour un temps la fantasy française.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2 ; Capitale du Nord : Tome 1 ; Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le dragon galactique ; Le nocher des livres

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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