Fantasy

La Tour de Garde – Capitale du Nord, tome 1 : Citadins de demain

Titre : Citadins de demain
Cycle/Série : La Tour de Garde – Capitale du nord, tome 1
Autrice : Claire Duvivier
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2021 (octobre)

Synopsis : Amalia Van Esqwill est une jeune aristocrate de Dehaven, issue d’une puissante famille : son père possède une compagnie commerciale et sa mère tient un siège au Haut Conseil. Progressistes, ils lui ont offert, à elle et à d’autres enfants de la Citadelle, une instruction basée sur les sciences et les humanités. Jusqu’au jour où le fiancé d’Amalia se met en tête de reproduire un sortilège ancien dont il a appris l’existence dans un livre. Au moment précis où la tension accumulée dans les Faubourgs explose et où une guerre semble prête à éclater dans les colonies d’outre-mer, la magie refait son apparition dans la ville si rationnelle de Dehaven. Et malgré toute son éducation, Amalia ne pourra rien pour empêcher le sort de frapper sa famille et ses amis.

Peut-être l’échec est-il encore plus profond. Peut-être n’avions-nous pas en nous ce que nos parents y avaient vu, peut-être n’étions-nous pas les citadins de demain qu’ils espéraient façonner. Quoi qu’il en soit, cela ne méritait pas la punition qu’ils en recevraient.

De Gemina à Dehaven

Après une entrée fracassante sur la scène de l’imaginaire français avec son premier roman « Un long voyage », Claire Duvivier signe en cette fin d’année un nouvel ouvrage, premier tome d’une trilogie elle-même amenée à s’inscrire dans une série plus vaste. Écrite en collaboration avec Guillaume Chamanadjian, « La tour de garde » a en effet vocation à rassembler dans un univers commun deux trilogies consacrées chacune à une cité phare de ce monde de fantasy : Gemina, la capitale du Sud, dans le cas de Chamanadjian, et Dehaven, la capitale du nord, dans celui de Claire Duvivier. Après avoir laissé son compagnon d’écriture inaugurer la série avec « Le sang de la cité » en début d’année (récompensé récemment par le Prix Imaginaire de la 25e Heure du Mans), c’est désormais au tour de l’autrice de livrer le premier tome de son histoire qui, si elle ne nécessite absolument pas d’avoir lu l’introduction à « Capitale du sud », n’en demeure pas moins étroitement liée à aux événements se déroulant parallèlement à Gemina. On change toutefois totalement d’ambiance, quittant une ville fortement inspirée des cités italiennes de la Renaissance pour débarquer dans une capitale plutôt d’inspiration nordique, type Amsterdam. Là, le lecteur fait connaissance avec une nouvelle héroïne, Amalia Van Esqwill, jeune fille originaire d’une famille noble pour laquelle les parents ont misé sur une éducation plutôt originale, à base d’expérimentations concrètes et de liberté plutôt que de théories et d’isolement. Inséparable de ses deux compagnons d’étude avec lesquels elle a passé son enfance (un autre noble et un roturier repéré par les Van Esqwill car particulièrement vif d’esprit et dont la famille a su se montrer utile), la jeune fille se retrouve de plus en plus tiraillée entre la philosophie émancipatrice inculquée durant ses études et les contraintes de plus en plus fortes liées à son rang d’héritière de l’une des familles les plus aisées de la capitale. D’autant qu’une série d’incidents laissent à penser que celle-ci s’apprête à connaître un nouveau bouleversement qui risque de mettre à mal la stabilité de ce paisible et prospère comptoir commercial.

Un univers partagé en construction

Si l’ambiance de ce premier tome de « Capitale du nord » n’a rien à voir avec celle du « Sang de la cité », on retrouve tout de même un certain nombre de similitudes qui témoignent de la volonté des deux auteurs de livrer deux trilogies complémentaires formant un tout harmonisé. Outre la jeunesse du héros ou de l’héroïne (tous deux ne sont pas encore tout à fait sortis de l’adolescence) et le trio amical qu’il/elle forme avec deux autres compagnons, on retrouve plus ou moins la même construction narrative, avec notamment une grosse première moitié consacrée à la déambulation des personnages dans la cité dont on se familiarise ainsi avec le découpage des quartiers, les spécialités culinaires ou encore les règles tacites ayant cours dans les espaces publics et qui nous instruisent souvent sur l’histoire et les évolutions politiques au sein de la cité. Loin de se révéler ennuyeuse, cette phase permet au contraire une immersion en profondeur du lecteur dont la curiosité n’en est que plus titillée lorsqu’arrive la seconde partie de l’histoire, plus rythmée et bien plus inattendue. Comme dans le roman de Chamanadjian, le point de bascule est lui aussi lié à la découverte d’un objet en apparence anodin mais qui va faire basculer le récit dans le surnaturel (un livre dans le cas de Nox, un miroir dans celui d’Amalia et ses amis). Et c’est là qu’il devient intéressant (mais néanmoins non indispensable) d’avoir en tête l’intrigue du roman précédent puisqu’on retrouve à nouveau des similitudes entre les expériences vécues par nos héros dans cette sorte de cité parallèle à la leur dont ils ne parviennent pas encore à comprendre tout à fait l’origine ou le fonctionnement. Des considérations d’ordre plus politiques viennent également s’inviter dans l’intrigue de cette seconde moitié et font apparaître un certain nombre de failles dans l’apparente unité affichée par les habitants qui ne vont en fait pas tarder à se diviser sur une question déterminante pour l’avenir de la cité (le percement d’un canal dans le cas de Gemina, la gestion coloniale dans celui de Dehaven).

Deux cités sur le point de basculer

Les thématiques traitées, elle aussi, se ressemblent, avec notamment une volonté de mettre en lumière les rapports de domination s’exerçant au sein des deux cités entre les différents groupes sociaux qui la composent (un aspect déjà bien présent dans le précédent roman de l’autrice). Ainsi, notre héroïne aura l’occasion d’être confrontée à plusieurs reprises à des contradictions entre les discours officiels véhiculés sur la disparition de la noblesse et de leurs privilèges, et plusieurs événements qui vont mettre en lumière la perpétuation d’un ordre social ancestral. Le sujet est notamment abordé par le biais du personnage de Yonas, le jeune roturier ayant eu l’opportunité d’étudier en compagnie d’Amalia et Hirion, mais dont les perspectives d’avenir sont bien moins reluisantes, de même que par les tensions qui commencent à naître entre les officiels de la cité et les représentants de leurs colonies, ou bien entre les membres de la ligue de commerce et les travailleurs des docks. Le roman tourne tout de même beaucoup autour des rapports entretenus entre notre jeune trio dont les membres sont tous aussi attachants les uns que les autres, à commencer par Amalia, jeune fille intelligente et avec la tête sur les épaules mais néanmoins désireuse d’échapper aux conventions propres aux personnes de son rang et qui ne rechigne jamais à faire son autocritique. Les autres personnages sont moins élaborés mais tous aussi réussis, qu’il s’agisse des parents de la jeune fille, de son demi-frère ou encore des autres femmes de son entourage. On constate d’ailleurs que ces dernières occupent un rôle important dans la cité, à égalité avec les hommes, et qu’elles ne sont pas contraintes par les mêmes règles qu’à Gemina, beaucoup plus classique sur la répartition genrée des rôles (la mère et la grand-mère d’Amalia occupent par exemple une position influente au sein de la cité, quand les hommes de la famille se livrent davantage à l’oisiveté, tandis que les questions relatives au sexe ou aux relations hors mariage paraissent moins tabous).

Tu es capable d’utiliser une grue pour briser une grève et envoyer une corporation de débardeurs dans les cordes. Chacun s’accorde à dire que ce n’était pas la solution la plus évidente, ni la plus efficace, mais sans aucun doute celle qui avait le plus de… panache. Pourquoi ne mets-tu pas à profit ne serait-ce qu’un quart de ce panache pour toi, et non pour t’attaquer aux ennemis qu’on te désigne… L’idée ne t’a même pas travers l’esprit, n’est-ce pas ? De dire non ?

Une plume et un sens du coup de théâtre remarquables

Il est également intéressant de parler du style de Claire Duvivier qui se révèle aussi soigné et fluide que dans « Un long voyage », avec tout de même une petite particularité, à laquelle on s’habitue bien vite : la majorité des personnages s’expriment au passé simple, chose dont on a peu l’habitude mais qui a malgré tout du sens puisqu’on a essentiellement affaire ici à des jeunes issus de la noblesse et qu’il est donc peu étonnant de les voir utiliser un registre de langue plus soutenu. On accepte d’ailleurs d’autant plus facilement ce formalisme dans la plupart des échanges que nos héros (et Amalia notamment) ne se privent pas par moment d’employer un vocabulaire beaucoup plus familier, voire ordurier, ce qui tranche agréablement avec la retenu et l’élégance qui priment d’ordinaire (on passe en effet de temps à autre de « lorsque nous nous rendîmes à… » ou « vous fûtes… » « à « connard » ou « petite merde »). La vivacité d’esprit dont font preuve les trois personnages (et qui les pousse régulièrement à remettre en question les enseignements de leurs tuteurs) ainsi que les taquineries auxquelles ils se livrent régulièrement participent également à rompre avec l’apparence de froideur induite par l’utilisation du registre soutenu. Un mot, pour terminer sur la conclusion de ce premier tome qui se termine par une scène ahurissante laissant le lecteur sidéré et profondément frustré de ne pas avoir aussitôt la suite à se mettre sous la dent. En attendant la parution de « Que crèvent les geais » (prévue pour octobre 2022), on pourra heureusement se rabattre sur le deuxième tome de « Capitale du sud » de Guillaume Chamanadjian, (« Trois lucioles ») annoncé, lui, pour le printemps 2022. Car, quand bien même on y retrouvera certainement pas l’héroïne de Claire Duvivier, il est à parier que les événements qui viennent d’avoir lieu à Dehaven ne manqueront pas d’avoir des répercussions à Gemina, de même qu’il se pourrait qu’on recroise une tête connue ou deux (plusieurs personnages sont en effet évoqués dans les deux trilogies). Espérons en tout cas que chacune des suites apportera quelques réponses aux mystères astucieusement évoqués dans les deux tomes introductifs de cet univers dont le nom provient d’un jeu (la tour de garde) pour le moment évoqué de façon assez marginale mais qui devrait nous livrer quantité d’enseignements par la suite.

Après un premier voyage alléchant organisé par Guillaume Chamanadjian dans la capitale du sud de l’univers de « La Tour de garde », Claire Duvivier nous offre une promenade toute aussi captivante dans Dehaven, l’équivalent nordique de Gemina. Porté par une plume élégante et évoluant selon un rythme allant crescendo, le roman séduit aussi bien par la qualité de son intrigue que par celle de son décor, même si ce sont surtout les personnages qui tirent leur épingle du jeu, à commencer par l’attachante Amalia, qui nous sert ici de guide. Inutile de préciser que j’attends la suite avec beaucoup d’impatience !

Voir aussi : Capitale du nord : Tome 2 ; Tome 3 ; Capitale du sud : Tome 1 ; Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques : Celinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Fantastinet ; Le nocher des livres

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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