Fantasy

La Maison des Jeux, tome 2 : Le voleur

Maison des Jeux 2 Le Voleur

Titre : Le voleur
Cycle/Série : La Maison des Jeux, tome 2
Auteur : Claire North
Éditeur : Le Bélial (collection Une Heure Lumière)
Date de publication : 2022 (septembre)

Synopsis : Bangkok, 1938. Remy Burke, membre madré de la Haute Loge, qu’il pratique depuis un demi siècle, reprend conscience dans la moiteur de sa chambre d’hôtel après une nuit trop arrosée. Beaucoup trop. Il s’est fait manœuvrer et a accepté le défi du redoutable Abhik Lee. Avec en guise d’enjeu le plus précieux des biens : sa propre mémoire, misée dans une partie de cache-cache à l’échelle de la Thaïlande toute entière. Les règles sont simples : Lee dispose d’un mois pour dénicher Burke, après quoi, en cas d’échec, les rôles seront inversés. Une partie qui commence maintenant, tout de suite. Burke doit désormais courir… Éperdument.

 Il m’arrive de jouer. C’est tout.
-A quel genre de jeu ?
-Cache-cache.
-Comme les enfants ?
-Exactement comme les enfants. Je me cache. Quelqu’un d’autre me cherche. Quand il m’attrapera, on échangera les rôles et je chercherai. Le vainqueur est celui qui reste caché le plus longtemps.

Après les échecs… le cache-cache !

« Les gouvernements tombent, les empires tournent : ceci est la Maison des Jeux, où l’humanité est un symbole, le monde un objet – venez jouer si vous l’osez ; entrez à la Maison des Jeux. » Il est un endroit présent dans tous les pays du monde, un lieu qui semble s’affranchir des limites du temps et de l’espace, dans lequel des joueurs de partout se rencontrent. Jeux de cartes, jeux de stratégie, jeux de dés… : tout est possible et aucun n’est pris à la légère. La Basse Loge regroupe les joueurs standards et les enjeux des parties y sont plutôt classiques. La Haute Loge, en revanche, rassemble des joueurs jugés exceptionnels par la maîtresse des lieux, et les enjeux de chaque parties sont exorbitants, qu’il s’agisse d’années de vie, de souvenirs, d’un sens ou même d’une famille. Dans le premier tome de sa trilogie, Claire North mettait en scène une jeune femme vivant à Venise au XVIIe siècle et ayant accepté de livrer une partie d’échec grandeur nature, chaque joueur se voyant attribuer des cartes (des personnes plus ou moins influentes ayant contracté des dettes auprès de la Maison des Jeux) ainsi qu’un roi à mettre sur le trône (métaphoriquement, puisqu’il s’agissait là seulement de le faire accéder à une charge prestigieuse). Pour ce deuxième volume, l’autrice opte pour une partie de cache-cache. Nous sommes à la fin des années 1930, à Bangkok, où Remy Burke, joueur chevronné de la Haute Loge, vient de prendre une décision particulièrement stupide : accepter, ivre mort, de livrer une partie de cache-cache avec un autre joueur (plus jeune mais en pleine ascension) avec pour enjeux… ses souvenirs. ! Or il apparaît très vite que le jeu, pourtant comme toujours contrôlé mystérieusement par les arbitres de la Maison des Jeux, est déséquilibré. D’abord, Rémy Burke est un occidental, ce qui, dans le contexte géopolitique tendu actuel, le rend visible comme le nez au milieu de la figure en Thaïlande. Pour un cache-cache, c’est tout de même un sacré handicap ! Et puis son adversaire se voit confier une main exceptionnelle, avec des pièces toutes extrêmement influentes, capables de quadriller le pays d’un bout à l’autre, ville comme campagne, temples comme villages. Qu’à cela ne tienne, notre joueur va devoir livrer sa partie quand même ! Et, s’il parvient à se cacher suffisamment longtemps, peut-être trouvera-t-il le temps de découvrir pourquoi le redoutable Abhik Lee l’a pris pour cible, et, surtout, pourquoi la Maison des jeux a accepté un pari aussi déséquilibré, aux mépris de ses propres règles.

Le Serpent

Un choix de narration audacieux

La collection Une Heure Lumière du Bélial compte déjà plus de quarante ouvrages et regorge de pépites, parmi lesquelles il faudra désormais ajouter la trilogie de Claire North. Le premier tome avait été une excellente surprise, la suite se révèle plus réussie et plus addictive encore. Cela tient, d’abord, à la nature du jeu mis en scène ici, la tension étant inhérente au cache-cache. Le héros passe donc son temps à bouger, ne pouvant faire confiance à personne ni rester au même endroit trop longtemps, tout en essayer d’anticiper les manœuvres de son adversaire ainsi que les atouts dont il dispose. La nervosité, voire même la paranoïa, du personnage sont bien sûr contagieuses, si bien qu’ il est presque impossible de lâcher le récit une fois commencé tant la tension est forte. La construction narrative choisie par l’autrice joue aussi beaucoup puisque la novella se compose d’une succession de mini chapitres très courts qu’on est par conséquent tenté d’enchaîner à toute vitesse. Le mode de narration adopté par Claire North est lui aussi original et contribue également au caractère presque addictif du récit. L’histoire nous est en effet racontée non pas du point de vue de Remy Burke, mais de celui d’une personne omnisciente qui regarde la partie se jouer sous ses yeux, en ayant accès aux mains des deux joueurs. Très vite, on comprend qu’il doit s’agir, comme dans le premier tome, d’un arbitre de la Maison des jeux. Mais un arbitre loin d’être neutre puisqu’il semble avoir une affection particulière pour le pauvre Burke, et qui observe avec amusement l’affrontement entre les deux hommes, n’hésitant pas à interpeller directement le lecteur pour lui signaler l’audace de tel choix ou le danger de tel autre. On a donc affaire à un narrateur qui n’intervient jamais directement dans le récit et qui n’a donc aucune interaction avec les personnages mais qui connaît tout d’eux et de tout le monde (il se permet par exemple des apartés pour rapporter au lecteur quel sera le futur de figurants croisés par le héros (leur descendance, leur gloire ou leur mort). Le pari est audacieux car il aurait pu entraîner une certaine prise de distance entre le lecteur et les personnages, or il n’en est rien puisqu’on sent vite une même complicité nous unir à la fois au narrateur et au joueur dont on admire la pugnacité.

Je pourrais vous parler des parties que j’ai jouées – des châteaux que j’ai pris et tenus, sept mille hommes sous mes ordres pour protéger de mon adversaire un drapeau ! Des rois que j’ai hissés sur le trône ou renversés ; des monuments que j’ai érigés, des risques que j’ai courus sur les marchés financiers, propulsant le joueur que j’étais vers un monopole du pétrole, du bois, du fer, des hommes.

Une partie dans une partie

Le contexte n’a donc plus rien à voir avec celui du premier tome puisqu’il se déroule trois siècles plus tard en Thaïlande. La situation géopolitique de l’époque est rapidement évoquée par l’autrice, en tout cas suffisamment pour que l’on comprenne les tensions qui traversent le pays, inquiet de voir les puissances anglaise, française et japonaise étendre leur influence dans la région. Par petite touche, l’autrice brosse ainsi le portrait du pays. Dans sa fuite, Burke passe par toute une palette de paysages, de la grande ville cosmopolite aux petits villages reculés en passant par des zones montagneuses ou forestières sauvages ou encore des temples aux mains de religieux aux pratiques très diverses. On découvre alors différents types d’architecture, différents usages mais aussi différents modes de vie. Si le décor est agréablement posé, le jeu, ou plutôt la nécessité pour le héros de remporter la partie, occupe malgré tout la plus grande partie de l’histoire. D’autant qu’on se rend rapidement compte qu’une autre partie, bien plus vaste et plus complexe, est sans doute en train d’être livrée, et ce depuis des siècles, entre la maîtresse de la Maison des jeux et un très vieux joueur, déjà rencontré dans le premier tome. Chacun regroupe ses cartes, prépare ses coups, mais on ignore encore quand se jouera vraiment la dernière manche de cette partie cruciale, ni quel sera son plateau. Il serait toutefois erroné de croire que la novella se limite à des échanges de coups tactiques ou à une course poursuite car celle-ci accorde également une place importante à la psychologie de ses personnages, et aux relations qu’ils peuvent tisser les uns avec les autres. La chute de la novella est, comme précédemment, parfaitement maîtrisée : inattendue mais finalement tout à fait logique. Un jeu se termine, mais de nombreux mystères persistent encore, si bien qu’on est tout de même impatient de connaître la suite.

Claire North signe avec « Le voleur » un roman addictif et parfaitement maîtrisé, un véritable page-turner plein de tension, de nervosité mais aussi d’émotions. Le concept de la Maison des jeux exploité ici se révèle encore une fois très efficace et ouvre de folles perspectives pour la suite qui devrait paraître l’an prochain. A mettre entre toutes les mains !

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 3

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Dionysos (Le Bibliocosme) ; Ombrebones (Chroniques de l’imaginaire)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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