Alliances
Titre : Alliances
Auteur : Jean-Marc Ligny
Éditeur : L’Atalante (La Dentelle du Cygne) [site officiel]
Date de publication : 27 février 2020
Synopsis : Herbe bleue
Arbres jaunes
La centrale nucléaire fuit
Sur une Terre dont le climat a radicalement changé suite à l’emballement du réchauffement climatique, des oasis et des microclimats locaux ont permis à la vie de s’abriter, voire de se développer.
Mais quelle place pour l’homme dans un tel écosystème, face à l’émergence probable d’une nouvelle espèce dominante sur la planète ? Il pourrait y avoir des alliances inédites à passer.
Tikaani, l’Inuit, parti d’Islande à bord d’un avion solaire, Ophélie, la guérisseuse tapie dans sa jungle au Canada, Denn et Nao, qui ont quitté leur tribu cavernicole du désert qu’est devenue la Californie : tous sont à la recherche de survivants, certains rêvent de redonner sa place à l’humanité. Mais ils vont apprendre que ce qui reste des hommes peut encore nuire à la planète…
Le dernier opus du maître français de la climate fiction.
En ce monde instable et changeant, l’être humain ne vaut pas mieux – ni moins – qu’un moustique ou un anaconda. Et ses chances de survie ne sont pas meilleures.
Après AquaTM en 2006, Exodes en 2012 et Semences en 2015, Jean-Marc Ligny poursuit son cycle de romans indépendants ayant pour point commun d’imaginer une Terre où le climat s’est déréglé, la technologie a périclité et les humains mettent en péril leur survie du fait de leur propre action. Voici donc Alliances, toujours chez les éditions L’Atalante pour 2020 !
Survivre et innover
Que ce soit par les yeux de Tikaani, enfant d’immigrés inuits débarqués en Islande, qui apprend l’art de faire fonctionner un petit avion, ou bien ceux d’Ophélie, qui voit son village assailli et dévoré par des brigands, la Terre est devenue une collection de lieux hostiles après la conjugaison du réchauffement climatique, de la prolifération nucléaire et la transformation chimique des milieux marins et terrestres. De l’Islande au Canada, en passant par le Groenland et des plaines côtières de ce que furent les États-Unis, nous marchons, naviguons, volons et roulons avec des personnages en lutte quasi constant pour leur survie matérielle et psychologique. Cela fait des centaines d’années que des civilisations entières ont été englouties soit par le bouleversement climatique, soit par des incidents technologiques ; les survivants font ce qu’ils peuvent dans des communautés particulièrement restreintes soit pour réinventer des technologies essentielles à leur survie, soit pour retrouver ce qui leur semble être des artefacts d’un temps révolu. En un temps qui se souvient que très partiellement des siècles précédents, les Âges Sombres, faut-il forcément avoir envie de retrouver cette période-là ou mieux considérer qu’il n’y aura plus jamais de retour en arrière ?
Des individualités dans un monde multiple
Jean-Marc Ligny met en scène une galerie de personnages restreinte, mais qui tisse une toile cohérente. Le titre Alliances est très bien choisi, car chaque personnage est amené à en nouer de plus ou moins bon gré. Les protagonistes subissent le plus souvent des événements atroces, parfois dans des mises en scène choquantes, mais soit y sont déjà habitués par le fonctionnement de leurs sociétés, soit comptent bien laisser le temps faire son œuvre pour espérer oublier. Dans tous les cas, l’auteur s’attache d’abord à présenter ses personnages par leurs besoins primaires : manger, boire, aimer, se reproduire. Alors même que du progrès technologique semble encore à portée de main et d’esprit, l’espèce humaine en est revenue à une survie de tous les instants : Tikaani face aux aléas climatiques, Ophélie face à la nature hostile, et finalement tous contre l’envie d’à nouveau trop contrôler leur environnement.
Alliances et mésalliances
L’éditeur parle de « climate fiction », ce n’est pas faux, même s’il faudrait se calmer sur la « catégorisite » aigüe. Ici, en effet, pas de science à proprement parler au centre de l’intrigue, mais le climat n’est pas pour autant la principale clé de lecture du roman. Comme tout bon récit, ce sont les relations entre personnages qui portent l’intrigue ; encore une fois, le titre Alliances transcrit bien l’esprit du roman. Ainsi, un protagoniste en rencontre un autre et chacun aide l’autre à progresser, rien que de très classique jusque-là. Cela devient intéressant quand ces « alliances » varient un peu du schéma habituel pour proposer des accords plus ou moins tacites entre un ou une humaine et un autre animal (on croise de tout ici au sein du règne animal, des gros reptiles aux insectes multiples et dévoreurs) : il y a des accords de survie, certains de « bon voisinage », de bonne entente, d’autres encore sont dans une optique plus guerrière, conquérante. Toutes ces interactions sont faites pour nous amener à questionner les chances de l’espèce humaine qui persiste encore à arpenter la surface de la planète. Son inéluctabilité est-elle si évidente ?
Pour ceux qui l’ignorent, une centrale nucléaire est une usine qui fournit de l’électricité en cassant, dans un réacteur, les atomes d’un minerai rare qui s’appelle l’uranium. Cette fission produit énormément d’énergie, mais aussi des résidus radioactifs qui s’attaquent aux tissus vivants et les font muter, provoquant des maladies comme le cancer, la stérilité ou des malformations congénitales. Aux Âges Sombres, il y avait dans le monde des centaines de centrales nucléaires et des milliers de machines fonctionnant avec des réacteurs nucléaires. Toutes ont été plus ou moins bien arrêtées et sécurisées au cours du chaos qui a suivi les Âges Sombres, ou auraient dû l’être, mais en vérité beaucoup d’entre elles ont été purement et simplement abandonnées, avec leur combustible encore actif à l’intérieur. Sans parler des déchets également laissés à tous les vents. En trois siècles de bouleversements climatiques, tout ça a eu le temps de fuir, suinter, fondre, exploser, disperser dans le sol, l’air, l’eau, les organismes vivants, des particules radioactives qui resteront virulentes pendant des milliers d’années. Voilà pourquoi nous mourons jeunes de maladies et faisons peu d’enfants, qui sont souvent mort-nés ou mal formés. C’est un autre héritage invisible et mortel des Âges Sombres.
Alliances est donc un roman porteur d’espoirs intéressants, mais surtout d’une envie folle pour la planète de passer à autre chose après l’ère humaine. Selon l’auteur, dans ce roman, cela passe par des interactions complètement renouvelées, à charge pour nous de cajoler les bons alliés et pas nos pires ennemis.
Autres critiques :
Boudicca (Le Bibliocosme)
Rémi Royon (L’Obs)