Science-Fiction

Alliances

Alliances

Titre : Alliances
Auteur : Jean-Marc LIgny
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2020 (février)

Synopsis : Sur une Terre dont le climat a radicalement changé suite à l’emballement climatique, des oasis et des microclimats locaux ont permis à la vie de s’abriter, voire de se développer. Mais quelle place pour l’homme dans un tel écosystème, face à l’émergence probable d’une nouvelle espèce dominante sur la planète ? Il pourrait y avoir des alliances inédites à passer.

 

Mère Nature veut que l’humanité disparaisse ; c’est ce que certains croient. Pour sa part, Tikaani ne prête ni volonté ni conscience à Mère Nature – pas au sens humain en tout cas. Les plus forts, les plus chanceux ou les plus adaptés survivent, les autres meurent. C’est ainsi. Ni bienveillance, ni malveillance, ni pitié, ni cruauté : juste le cycle de la vie, de la mort et de la (re)naissance.

SF et écologie

Dans le milieu de la SF française, cela fait bien longtemps que Jean-Marc Ligny, auteur depuis plus d’une quarantaine d’années et à qui on doit aujourd’hui presque autant de romans, fait figure de référence. Pour ma part, je m’étais jusqu’à présent limitée à quelques nouvelles, sans jamais oser me lancer dans une œuvre plus longue. C’est désormais chose faite avec « Alliances », roman conçu comme un développement de « Semences », ouvrage paru en 2015 mais qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu au préalable pour comprendre les enjeux dont il est question ici (à noter que l’un des chapitres a également déjà fait l’objet d’une précédente parution dans la revue « Solaris » sous le titre « Les guerriers au bord du temps »). Une première rencontre réussie, dans la mesure où j’ai été particulièrement emballée à la fois par les thématiques traitées par l’auteur, mais aussi par sa manière de raconter. Comme dans beaucoup de ses derniers romans, Jean-Marc Ligny s’intéresse de près à la question climatique, puisqu’il est question ici d’une Terre futuriste dans laquelle quelques poches d’humanité survivent tant bien que mal, dans des conditions plus ou moins difficiles en raison de la région dans laquelle ils ont trouvé refuge. L’action se déroule plusieurs générations après l’effondrement et ce que tout le monde appelle communément les « âges sombres » : la nature a repris ses droits à peu près partout, et les conditions climatiques sont particulièrement problématiques. C’est dans ce contexte qu’on va suivre le parcours de deux personnages. Le premier, Tikaani, fait partie d’une petite communauté troglodyte de Reykjavik et n’a qu’une seule idée en tête : voler un jour grâce à l’avion qu’un des membres du groupe est en train de restaurer dans le but de se lancer à la recherche d’autres survivants. La seconde, Ophélie, a vu son village natal dévasté par une horde sanguinaire et a trouvé refuge dans la jungle, où elle tente tant bien que mal de vivre en communion avec la faune et la flore locale. Leur destin a tous les deux va toutefois être bouleversé par le projet fou envisagé par une autre communauté humaine qui pourrait bien rebattre à nouveau toutes les cartes.

L’homme, la nature, les animaux

Le roman met en scène un univers post-apo assez classique : le monde tel qu’on le connaît s’est effondré, et seuls quelques vestiges de nos civilisations actuelles demeurent à la disposition des survivants qui se voient contraints d’adopter un mode de vie plus rudimentaire. Cela n’empêche en rien la curiosité du lecteur d’être immédiatement titillée tant l’immersion est rapide et efficace. Le décor ne sert toutefois pas, comme c’est souvent le cas, uniquement de prétexte à mettre en avant des conditions de vie extrêmes, mais permet plutôt de questionner notre rapport à la nature, et surtout aux animaux. Rassurez-vous, l’ouvrage ne fait absolument pas l’apologie d’une sorte de bien penseuse mièvre et molle du genre « la nature c’est beau » ou « les oiseaux c’est gentil ». Au contraire, l’auteur nous livre de véritables réflexions philosophiques sur les rapports que nous entretenons avec notre environnement et les différentes manières dont nous pouvons interagir avec ce (et ceux) qui nous entourent. Les animaux occupent ainsi une place centrale dans l’intrigue, notamment dans les chapitres concernant Ophélie qui entreprend de communiquer avec les habitants de la jungle, des oiseaux aux serpents, en passant par les mygales ou alligators. Frissons garantis ! Les amoureux des petites bêtes ne seront également pas déçus dans la mesure où l’un des aspects les plus importants du roman concerne une espèce d’insecte mutante, créée génétiquement par les hommes il y a des décennies, et qui en sont venues à développer une intelligence comparable à l’homme : les fourmites. Une espèce fascinante qui questionne et effraie tout au long du roman : sont-elles aussi intelligentes que certains semblent le penser ? Que se passerait-il si elles décidaient subitement de s’en prendre à l’homme ? Sont-elles parvenues à s’implanter dans toutes les régions du monde ? Considèrent-elles vraiment les humains comme des alliés ou comme un garde-manger potentiel ? Autant d’interrogations qui poussent le lecteur à avaler les pages avec une frénésie constante et qui permettent de maintenir une tension permanente durant la totalité du roman.

Jusqu’à présent, Ophélie a connu les deux extrêmes du comportement humain vis à vis de la nature : ceux qui ont décidé qu’elle exigeait l’éradication de l’humanité et l’assistent activement dans ce génocide, et ceux qui prétendent la dompter et la mettre au service de l’homme comme aux Âges sombres. La guérisseuse préfère s’en tenir à une position médiane : en ce monde instable et changeant, l’être humain ne vaut pas mieux – ni moins – qu’un moustique ou un anaconda. Et ses chances de survie ne sont pas meilleures. Pousse ce qui peut pousser, vit ce qui peut vivre, advient ce qu’il doit advenir.

Au programme : émotion et frissons

Le charme du récit tient également à quantité d’autres détails, à commencer par la qualité de la plume de l’auteur qui possède incontestablement un excellent talent de conteur. L’histoire nous est déroulée ici avec fluidité et Jean-Marc Ligny parvient à conserver tout du long un bon équilibre entre action et introspection. On prend ainsi autant de plaisir à suivre les explorations de Tikaani et les nombreuses péripéties qui émaillent sa route, que le quotidien paisible et solitaire d’Ophélie et ses nombreuses tentatives pour entrer en communication avec les espèces d’animaux l’entourent. Le roman séduit aussi par les fortes émotions qu’il suscite, car les personnages ne sont pas épargnés par la vie. Le parcours de Tikaani est particulièrement bouleversant car fait d’une succession de pertes, d’abandons douloureux et de retrouvailles avortées. Certaines scènes sont d’ailleurs particulièrement rudes, notamment dans le second chapitre qui demande sacrément de temps pour être encaissé tant les événements qui y sont décrits sont révoltants et sanglants (je ne suis pourtant d’ordinaire que peu sensible à ce type de description, mais là il m’a fallu un moment pour m’en remettre : âme sensible s’abstenir !). Les personnages, enfin, contribuent évidemment beaucoup au charme du roman, et pas seulement les protagonistes. Les nombreux personnages secondaires mis en scène ici sont en effet au moins aussi intéressants et aussi bien caractérisés que la poignée de héros et héroïnes placés au coeur de l’action. L’auteur ne se prive d’ailleurs pas d’intégrer tout au long du récit de nouvelles figures amenées à devenir centrales comme c’est le cas de Nao, Denn ou Marali (dont les aventures sont apparemment au cœur de « Semences », que je vais donc me faire un plaisir d’aller découvrir).

Jean-Marc Ligny signe avec « Alliances » un roman émouvant et passionnant qui nous entraîne sur les traces de générations futures forcées de survivre dans le semblant de monde qu’on leur a laissé. La question de la relation entre l’homme et la nature et celle des interactions avec les animaux sont au coeur de l’ouvrage qui séduit autant par la subtilité de la réflexion proposée que par le talent de conteur de l’auteur qui nous invite à participer à une folle aventure aux côtés de personnages marquants. Une très belle découverte, que je vous recommande chaudement.

Voir aussi : Semences

Autres critiques : Dionysos (Le Bibliocosme)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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