Science-Fiction

Afrofuturisme

Titre : Afrofuturisme – L’avenir change de visage
Auteurs/Autrices : Rivers Solomon (Soif de sang) ; Sara Doke (Léopard cha-cha) ; Sofia Samatar (Demande de prolongation de contrat de travail à bord du Clarity) ; Richard Canal (Miss Washington) ; Raphaël Granier de Cassagnac (Itinéraire d’une migrante martienne) ; Yann-Cédric (Agbodan-Aolio) ; Charlotte Bousquet (L’amour est source de vie) ; Alex Evans (La tête d’Olokun) ; Michael Roch (La paraphrase du masque) ; Sylvia Saeba (Les ciseaux de sang) ; Floriane Soulas (Souvenir organique) ; Lionel Davoust (Dans les matongo de coton et de polymère) ; Laura Nsafou (De l’autre côté de la nuit) ; Ketty Steward (Blanche Neige et le triangle quelconque) ; David Bry (Plus que la Terre encore) ; Emilie Querbalec (Venus Requiem) ; Christophe Gros-Dubois (Nine Inch Man) ; Corinne Guitteaud (La Reine égarée) ; Nadia Chonville (Twati an vè a)
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2022 (mai)

Synopsis : Les auteurs, dont beaucoup sont afrodescendants, nous entraînent dans des mondes qui ont déjà changé de base (Blanche Neige et le triangle quelconque, Dans les matongo de coton et de polymère, Miss Washington, La Paraphrase du Masque). D’autres évoquent le moment où tout bascule (Les Ciseaux de sang, De l’autre côté de la nuit, Nine Inch Man, Twati an vè-a). D’autres encore nous emmènent dans l’espace (La Tête d’Olokun, Venus Requiem, Itinéraire d’une migrante martienne, Plus que la terre encore) ou dans les arcanes du temps (Reine égarée) ; ils évoquent aussi une utopie (Le Nombril du monde), une alternative au renoncement (L’Amour est source de vie), la façon de sortir d’un piège (Souvenir organique) ou Patrice Lumumba, héros de la décolonisation (Léopard cha-cha). Mouvement culturel profondément original, l’afrofuturisme nous offre d’autres visages de l’avenir.

Grandir en Europe, être une lectrice façonnée par la littérature et la culture occidentale, c’est avoir nourri son imaginaire de puissantes et inspirantes histoires, mais aussi de clichés à abattre. Il y a pourtant pire que ces clichés : il y a les absences, les angles morts. (Valérie Lawson)

Hommage à un courant littéraire qui a le vent en poupe

En 2022, le festival des Imaginales d’Épinal fêtait ses vingt ans et adoptait pour thématique « l’afrofuturisme », ce mouvement littéraire en plein essor qui entend mettre fin à l’invisibilisation des Noir.es dans la science-fiction en proposant des futurs afrocentrés. L’anthologie qui accompagne comme toujours la tenue du festival comporte ainsi dix-neuf textes se revendiquant de ce courant, la plupart écris par des afrodescendants parmi lesquels on retrouve plusieurs auteurs et autrices dont les œuvres ont rencontré de beaux succès ces dernières années, à l’image de Rivers Solomons (« Les abysses » ; « Sorrowland »), Sofia Samatar (« Un étranger en Olondre »), Ketty Steward (« L’évangile selon Myriam ») ou encore Michael Roch (« Te Mawon »). On retrouve aussi des habitués du festival à l’image de Sara Doke, Lionel Davoust, Raphaël Granier de Cassagnac, Charlotte Bousquet ou encore David Bry. Revenir sur chacune des nouvelles du sommaire me paraît fastidieux, d’autant que, comme dans toute anthologie, la qualité varie considérablement en fonction des textes. Si certains se sont avérés peu surprenants et un peu bancals, d’autres en revanche ont livré de belles surprises, aussi vais-je me focaliser avant tout sur ces derniers. Globalement il s’agit néanmoins d’une anthologie de qualité, avec des nouvelles qui nous font systématiquement sortir de notre zone de confort et nous permettent d’explorer des futurs pas toujours désirables mais qui ont le mérite de proposer des alternatives jusqu’ici inexploitées en raison de notre regard européo-centré. Cette focalisation sur l’Afrique permet aux auteurs et autrices de mettre en lumière des pans méconnus de l’histoire de ce continent pour les lecteurs occidentaux, mais aussi de s’affranchir des clichés qui collent depuis trop longtemps à la peau des personnages de fiction noirs, et notamment des femmes qui occupent ici un rôle de premier plan dans la plupart des nouvelles.

Cultures et histoires africaines

Parmi les textes qui m’ont le plus enthousiasmée, plusieurs se penchent sur différents moments marquants de l’histoire de l’Afrique ou des afro-descendants. Chez Rivers Solomon c’est l’esclavage qui est au coeur de « Soif de sang », nouvelle en charge d’ouvrir l’anthologie. Le texte est rude et violent, puisqu’il met en scène une jeune fille qui, après avoir tué ses maîtres, donne littéralement naissance à une multitude d’esprits avec lesquels elle partage une histoire commune. L’angle est original et permet à la fois de souligner la violence de l’esclavage et les traumatismes qu’il engendre, tout en dotant l’héroïne d’un pouvoir immense et porteur d’espoir. Floriane Soulas, elle, explore avec succès l’histoire des populations noires américaines pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Dans « Souvenir organique », elle met en scène une jeune femme ayant accepté de prendre part à un programme de recherche gouvernemental afin de tester toute sorte de protocoles médicamenteux. L’argent qu’elle gagne, elle l’envoie à sa fille, qu’elle n’a pas vu depuis six ans. Alors lorsqu’on lui propose un tout nouveau protocole consacré à la mémoire et basé sur l’archéopsychée qui lui permettrait de retrouver plus vite sa petite, elle accepte. La voilà plongée dans les souvenirs de l’une de ses ancêtres, Sarah, qui a vécu aux États-Unis et que l’on va suivre lors de trois moments : l’un à la fin des années 1930 où elle écoute pour la première fois la chanson « Strange fruit » de Billie Holliday, l’autre au début des années 1940 où elle découvre la musique d’une autre artiste afro-américaine, Rosetta Tharpe, et enfin 1965, lors de l’une des fameuses marches de Selma à Montgomery dans le cadre de la lutte pour les droits civiques. La nouvelle est très réussie et permet de mettre en lumière des figures ou des événements aujourd’hui encore particulièrement mobilisateurs en terme d’émancipation. Dans « La Reine égarée », Corinne Guitteaud choisit de situer son histoire au Bénin en 2030 où une jeune archéologue pense avoir trouvé le lieu de la dépouille des premières reines du Dahomey, un puissant royaume africain du XVIIIe. Parallèlement à cette découverte, on suit justement le parcours de l’une de ces reines qui tente de préserver son trône de l’ambition de son frère. Habilement construit, le récit nous familiarise avec une partie de l’histoire africaine à laquelle il rend ici un bel hommage tout en se dotant d’une construction narrative astucieuse.

Des futurs désirables et afrocentrés

Il n’est toutefois pas question que du passé dans cette anthologie résolument tournée, au contraire, vers le futur. Des futurs pas toujours très attrayants mais néanmoins souvent porteurs d’espoir. C’est le cas de celui dépeint par Laura Nsafou dans « De l’autre côté de la nuit », un très beau texte mettant en scène un jeune homme issu d’une famille privilégiée rencontrant un technicien venu installer dans la demeure de ses parents des projecteurs aux lumières progressives. C’est que, dans cet univers, une nuit presque totale a recouvert le monde et que les ressources permettant de créer de la lumière sont par conséquent ardemment recherchées et privatisées. Cette rencontre va lui permettre de découvrir les fondements de la pensée des Ensoleilleurs, un groupe de militants tentant de garantir une meilleure répartition de l’accès à la lumière. Elle va aussi l’obliger à faire un choix entre se conformer aux conventions sociales telles qu’attendues par son ambitieuse famille, ou à laisser libre court à ses désirs. L’action de « Twati an vè a » de Nadia Chonville se déroule quant à elle aux Caraïbes, dans un futur indéfini. On comprend que les femmes sont parvenus à mettre à bas le patriarcat et à instaurer une société égalitaire, avant qu’un coup d’état ne restaure le pouvoir des hommes et ne cantonne à nouveau les femmes à des lieux et des tâches bien précis. Mais la révolution est en marche… Bien rythmée et bourrée de rebondissements, cette nouvelle ouvre là encore de belles perspectives et permet d’explorer un imaginaire afrocentré et féministe captivant. Le texte de Christophe Gros-Dubois, « Nine Inch Man », est quant à lui plus ambivalent puisqu’il met en scène le parcours hors norme d’une jeune femme originaire d’une petite île des Caraïbes partie faire fortune aux États-Unis. Là, elle connaît un succès phénoménal sur internet et rencontre un entrepreneur milliardaire pionnier du voyage interstellaire. Malgré une succession de drames improbables et une vie loin d’être idyllique, ce petit bout de femme va susciter l’empathie et l’admiration de ses anciens concitoyens, et surtout concitoyennes, qui savent voir au-delà des apparences.

Des textes aux tons et atmosphères très variés

Les autres nouvelles qui m’ont le plus marquée abordent des thématiques plus variées. Dans l’excellent « Blanche Neige et le triangle quelconque » Ketty Steward évoque Brigitte, une secrétaire médicale en apparence tout ce qu’il y a de plus banal, et sa nouvelle collègue qui commence à se poser des questions sur elle depuis qu’elle multiplie les remarques sur les « Français de souche » et qu’elle a constaté qu’elle fréquentait un forum aux relents carrément racistes. Elle est loin de se douter de la profondeur de la radicalisation de sa collègue… Dans « Les ciseaux de sang », Sylvia Saeba nous fait suivre le fantôme de Maïssa, une jeune fille décédée il y a des années dans un village dans lequel on ne trouve désormais plus aucune femme en âge de procréer. Le cadavre de l’une d’elle a toutefois été préservé et continue à assurer ses fonctions reproductrices. Le texte comporte des scènes très difficiles à supporter puisqu’il met l’accent sur les violences subies par le corps des femmes que d’autres s’approprient impunément. Outre le viol et l’inceste, il évoque aussi la question de l’excision, traumatisme dont la jeune fille a été victime et qu’elle se remémore en croisant le chemin de la Vieille Abîmée, une vieille femme responsable de sa mutilation. Enfin, sur un ton plus léger, Alex Evans nous entraîne dans « La tête d’Olokun » aux côtés d’un couple d’experts en art en route pour la propriété spatiale d’une riche collectionneuse vendant une pièce de choix et ayant réussi à attirer de nombreux amateurs du monde entier. Seulement la vente ne va pas du tout se dérouler comme prévue. La nouvelle est sympathique et adopte la forme d’un thriller mêlé d’utopie puisque le futur dépeint ici par l’autrice met en scène des poches de sociétés alternatives ayant fleuri partout dans le monde et possédant chacune leurs propres particularités.

« Afrofuturisme » est une anthologie de bonne facture regroupant dix-neuf textes mettant en scène un futur désirable ou en tout cas porteur d’espoir mettant essentiellement en scène des personnages noirs et le continent africain. Toutes les nouvelles ne sont évidemment pas du même niveau, mais les textes de Rivers Solomons, Floriane Soulas, Corinne Guitteaud, Laura Nsafou, Nadia Chonville, Ketty Steward ou encore Sylvia Saeba valent le coup d’œil et ouvrent d’intéressantes perspectives pour le futur de la SF.

Autres critiques : Le nocher des livres

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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