Science-Fiction

Éversion

Titre : Éversion
Auteur : Alastair Reynolds
Éditeur : Le Bélial
Date de publication : 2023

Synopsis : Qui est Silas Coade ? Où se trouve-t-il ? Et quand ? Un médecin, sans doute, à bord de la goélette Demeter, à l’orée du XIXe siècle, perdu dans les eaux norvégiennes en quête d’un Édifice dont il ignore tout ? Ou plutôt à la fin de ce même siècle, non loin du pôle Sud, sur la trace de ce même Édifice, prêt à rejouer un désastre annoncé ? À moins qu’il ne soit dans les entretoises d’un dirigeable, quelques dizaines d’années plus tard, en route pour le cœur de la Terre, sur la piste, toujours, de cette structure cyclopéenne mystérieuse ? Silas Coade est médecin, et il se peut qu’il ne cesse de mourir à jamais, ici, là ou ailleurs… À moins d’envisager l’inenvisageable, et d’affronter l’impensable.

Un navire et son équipage

Bienvenue à bord du Déméter ! Nous sommes approximativement à la fin du XVIII siècle, et la petite goélette fait voile vers les eaux de l’Arctique avec un équipage réduit à la recherche d’un endroit bien précis. Évoquée par une précédente expédition n’ayant pu aboutir, la rumeur de la présence d’une sorte de forteresse cyclopéenne baptisée « l’Édifice » a en effet attiré la convoitise d’un aventurier russe, persuadé de tenir là l’occasion de rentrer dans l’histoire et de coiffer au poteau tous ses concurrents. Outre le capitaine, les officiers et l’équipage, le vaisseau transporte une poignée de protagonistes qui vont jouer un rôle central dans l’intrigue. Parmi eux, le fameux opportuniste, Topolsky, un jeune mathématicien visiblement surmené, un colonel mexicain chargé d’assurer le bon déroulement de l’expédition, une femme nommée Ada Cossile et dont les compétences dans le cadre de ce voyage en particulier restent un mystère, et surtout un médecin, le docteur Silas Coade, qui va assumer la fonction de narrateur tout au long du récit. Problème : nous avons affaire ici à un narrateur qui rencontre visiblement quelques difficultés pour appréhender la réalité. En effet, si l’action commence bien au XVIIIe à bord d’une goélette naviguant dans les eaux nordiques, elle se poursuit soudainement à bord d’un bateau à vapeur évoluant au sud de la Patagonie et datant de la fin du XIXe. On bascule quelque temps plus tard au milieu du XXe siècle, et cette fois à bord d’un dirigeable plongeant dans une fissure repérée dans le cœur de la Terre. Et ainsi de suite. En dépit de ces grands écarts temporels, certains impondérables demeurent. D’abord, les membres de l’expédition sont toujours identiques et possèdent les mêmes traits de caractères. L’objectif est lui aussi similaire et tourne autour de la découverte et de l’exploration de ce fameux Édifice qui provoque une peur bleue chez le narrateur et dans lequel les membres d’une précédente expédition semble déjà s’être perdus. Enfin, chaque changement de période s’accompagne de la mort tragique de ce bon docteur qui ne garde ensuite que des bribes de souvenirs de son précédent voyage à bord du Déméter.

Aventure, horreur, SF ? Les trois !

Le pitch est alléchant et repose tout entier sur le mystère que représentent ces va-et-vient temporels ainsi que sur la nature de ce médecin, personnage pourtant tout ce qu’il y a de plus ordinaire en apparence. L’intrigue se fonde sur une construction savamment maîtrisée et ne connaît quasiment pas de temps morts, Alastair Reynolds distillant au fil de son récit quantités d’indices qui viennent sans arrêt surprendre le lecteur et relancer son intérêt. On prend dans un premier temps beaucoup de plaisir à tenter de cerner l’époque à laquelle on se trouve puisque, outre l’aspect du vaisseau qui constitue déjà un indice, l’auteur s’est amusé à parsemer son récit de légers clins d’œil historiques dont la plupart tournent autour du parcours du colonel Ramos au Mexique (les figures d’Hidalgo, de Santa Anna ou encore de Trotski sont par exemple évoquées et permettent grosso modo de dater l’action). Outre les références historiques, on trouve également de nombreuses références littéraires plus ou moins affichées. Le narrateur est d’ailleurs lui-même auteur et les rares aperçus que l’on peut avoir de son roman en cours d’écriture fournissent chaque fois un petit indice sur l’allure qu’aura le Déméter lors de la prochaine expédition. La première époque dépeinte par Alastair Reynolds s’inspire énormément des grands récits maritimes, à commencer par ceux des désormais célèbres « Aventures de Jack Aubrey » de Patrick O’Brian auquel Reynolds emprunte, outre le cadre marin, le personnage du sympathique docteur accro aux opiacés. Impossible en effet de ne pas penser à Stephen Maturin, l’un des deux héros des romans d’O Brian, ce qui a pour principal effet de faire partir le lecteur avec un a priori positif sur Silas. L’expédition au cœur de la Terre fait quant à elle abondamment référence à l’imaginaire de Jules Verne, tandis que tout ce qui tourne autour de l’Édifice, dont la forme et les dimensions dépassent l’entendement, évoque plutôt les écrits de Lovecraft, à commencer par « Les Montagnes hallucinées ». Toutes les époques convoquent donc des imaginaires différents liés à l’exploration ou au fantastique, puis à la science-fiction, et c’est ce savant mélange qui fait en partie le charme du roman qui alterne entre récit d’aventure ou d’horreur.

Une construction narrative astucieuse

Le pari tenté par l’auteur était pourtant assez osé, notamment parce qu’on aurait pu craindre que la répétition des mêmes scènes à des époques différentes finirait par provoquer la lassitude. En effet, quelque soit la période à laquelle le docteur se réveille, ce sont toujours les mêmes événements qui se répètent, avec toutefois quelques modifications (parfois infimes) dans le déroulement des faits ou la réaction des personnages. Seules les circonstances de la mort de notre narrateur varient, l’expédition avançant chaque fois de plus en plus loin à mesure que l’on change de temporalité. Ces répétitions n’ont pourtant rien de rébarbatives, bien au contraire. On se prend au contraire à traquer le moindre petit écart entre cette expédition et la précédente, et à analyser les interventions de la seule qui semble avoir un véritable aperçu de la situation, la fameuse Ada Cossile, seule femme de l’expédition qui semble prendre un malin plaisir à asticoter en permanence le brave médecin. L’explication de ces mystérieux saut temporels et du rôle joué par le docteur Coade est quant à elle tout à fait satisfaisante et, en ce qui me concerne, inattendue. Alastair Reynolds étant réputé pour ses romans de hard-SF, je craignais que l’ouvrage ne parte dans des considérations techniques ou mathématiques ultra complexes auxquelles je n’aurais rien saisi, or il n’en est rien (même si une poignée de passages m’ont donné un peu de fil à retordre). La clé du mystère n’a au contraire rien de complexe mais s’avère très élégante, justifiant à elle seule l’intérêt porté au roman.

Avec « Éversion », Alastair Reynolds signe un roman à mi chemin entre le récit d’aventure maritime à la O’Brian et le récit d’horreur d’influence lovecraftienne, avant de basculer dans de la pure SF. Porté par un personnage extrêmement attachant, l’ouvrage repose en grande partie sur la qualité de sa construction narrative dont la clé de compréhension est à la fois surprenante et d’une élégante simplicité. Une belle découverte !

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

4 commentaires

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