Fantasy

Comme un diamant dans ma mémoire

Titre : Comme un diamant dans ma mémoire
Auteur : Guy Gavriel Kay
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2023

Synopsis : « J’ai connu jadis une femme qui avait l’éclat du diamant et deux hommes que je n’oublierai jamais. J’ai joué un rôle dans une histoire en des temps féroces, sauvages, venteux. C’est à moi. Pour toujours. Je suis ici et ces souvenirs seront miens aussi longtemps qu’il me sera accordé de vivre. » Séresse, Acorsi, Macera, Avègne, Remigio, Firente… Dans un monde inspiré de l’Italie de la Renaissance et des condottieres, soit à la frontière des XIVe et XVe siècles, Guy Gavriel Kay parsème une intrigue romanesque foisonnante de réflexions émouvantes sur la nature de la mémoire, les choix opérés au fil de l’existence et le rôle joué par la roue de la fortune.

Quoi qu’il en soit… nous tournons la page et nous nous évadons une fois de plus. Et, dans ce profond abandon, il nous arrive de nous trouver nous-mêmes, ou de changer parce que les histoires qui nous sont racontées deviennent une part de ce que nous sommes, participent à notre compréhension de notre propre existence.

Cités-états et condottieres

L’annonce de la sortie d’un nouveau roman de Guy Gavriel Kay est sans doute l’un des événements littéraires les plus à même de me procurer une joie immense tant ses précédentes œuvres se sont avérées marquantes. Considéré comme l’un des principaux maîtres de la fantasy historique actuelle, l’auteur se plaît dans chacun de ses romans à déployer une intrigue ancrée dans une période historique bien particulière et dont les principales caractéristiques sont décortiquées avec un soin minutieux. La Reconquista pour « Les lions d’Al-Rassan », les dynasties Song et Tang pour « Les chevaux célestes » et « Le fleuve céleste », le règne de l’empereur Justinien dans « La mosaïque sarantine »… : les choix de Guy Gavriel Kay se portent sur un large choix d’époques et de zones géographiques et reposent sur une documentation toujours extrêmement solide qui permet de s’immerger pleinement dans la période évoquée, quand bien même les noms utilisés ne sont pas les mêmes. C’est, en partie, pour cette raison que les ouvrages de l’auteur ne sont pas catalogués comme des romans historiques mais bien de la fantasy. A cela s’ajoute une petite touche de magie plus ou moins légère en fonction des romans mais qui suffisent pour le faire basculer dans le surnaturel. Dans le cas de « Comme un diamant dans ma mémoire », le surnaturel occupe justement une place extrêmement marginale, voire carrément anacdotique. Tout se passe en Batiare, une péninsule constituée d’une nuée de petites cités-états plus ou moins puissantes se livrant à des guerres permanentes qui empêchent toute stabilité dans la région depuis des décennies. Vous aurez bien évidemment reconnu l’Italie du XVe siècle, et, de manière générale, identifier le modèle dont s’est inspiré l’auteur pour la plupart de ses cités se révélera assez aisé (Séresse est évidemment Venise, Firente Florence, Rhodias Rome ou encore Bischio Sienne). Parmi les condottieres qui louent leur talent stratégique et leurs hommes aux différentes cités, il en est deux qui, à cette époque bien précise, bénéficient d’une réputation également excellente : Folco d’Acorsi et Teobaldo Monticola (inspirés de deux condottieres véritables que sont Federico Montefeltro et Sigismondo Malatesta). Deux chefs de guerre au profil et au talent identique, et qui se vouent une haine viscérale pour des raisons liées à leur histoire familiale respective. C’est l’affrontement larvé entre ces deux seigneurs de guerre qui va ici constituer le cœur de l’intrigue.

L’Italie, à nouveau source d’inspiration

Ce n’est pas la première fois que Guy Gavriel choisit de situer son action en Italie. « Tigane », par exemple, mettait déjà en scène la péninsule, et ce à une époque seulement un peu plus avancée que celle du présent roman. De même, une partie de l’intrigue de « Enfants de la Terre et du Ciel » se situe à Venise à la même époque, aussi n’est-il guère surprenant que la fin de « Comme un diamant dans ma mémoire » prenne la forme d’une sorte de préquelle au roman consacré aux cités balkaniques de la fin du XVe. Toutes les œuvres historiques de l’auteur se déroulent en effet dans le même univers et, s’il n’est jamais nécessaire d’avoir lu au préalable un roman avant un autre, les clins d’oeil et références à des intrigues ou des personnages évoqués dans d’autres volumes sont légion (c’est notamment le cas ici avec la « Mosaïque sarantine » que j’ai relu il y a peu et auquel l’auteur multiplie les allusions). Si l’Italie a d’ores et déjà servi de cadre à de précédentes intrigues, les aspects de la période sur lesquels Kay a voulu insister ici sont toutefois totalement différents de ceux évoqués dans « Tigane » ou « Enfants de la Terre et du Ciel ». Tout tourne ainsi autour des activités guerrières menées par les condottieres et des stratégies déployées par les plus puissantes cités pour perpétuellement étendre leur zone d’influence. Le roman met ainsi en scène une région en état de guerre permanent qui pourrit le quotidien des habitants et entraîne une instabilité constante dans la plupart des cités-états. Celles-ci sont d’ailleurs régies selon des modes de gouvernement extrêmement variés dont l’auteur nous explique de façon fort ludique les spécificités. Ici, c’est la ville de Bischio (Sienne) qui se trouve au coeur du conflit à venir, cette dernière ayant attiré sur elle l’attention indésirable de la puissante Firente, bien décidée à annexer sa voisine pour profiter des taxes et impôts qu’elle lui versera une fois soumise. En filigrane de ce conflit et de la lutte que se livrent Folco (représentant Firente) et Teobaldo (engagé pour défendre Bischio), l’auteur nous livre le récit de l’un des événements les plus marquants de l’époque : la prise de Sarance (Constantinople) par les Asharites.

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Les femmes au coeur de l’intrigue

Outre ces considérations géopolitiques et stratégiques, Guy Gavriel Kay revient également sur trois grandes thématiques qui traversent la totalité de son œuvre et participent à rendre ses romans aussi immersifs. La première est l’état de la médecine à l’époque étudiée, et l’ouvrage ici présent n’y coupe pas puisqu’on y trouve à nouveau un personnage de médecin (une, en l’occurrence) qui permet à l’auteur d’évoquer les pratiques chirurgicales ou médicinales alors communément admises ou en développement. Le second grand sujet concerne la place des femmes dans chacune des civilisations et des périodes évoquées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les romans de l’auteur possèdent tous des personnages féminins mémorables, de l’impératrice Alixana à la médecin Jehanne, en passant par la troubadour Lisseut. Ici, c’est une jeune femme indomptable désireuse de s’affranchir temporairement du carcan lié à son sexe qui occupe pendant un temps une partie de l’intrigue : Adria Ripoli de Macera. Certes, les héroïnes dépeintes par l’auteur ont une forte propension à revendiquer leur indépendance dans un environnement pourtant généralement hostile à leur genre, toutefois ce dernier prend toujours bien soin de limiter leurs options et leurs aspirations au contexte de l’époque. On découvre ainsi, par exemple, qu’intégrer un couvent prestigieux avec la quasi certitude de succéder à Mère supérieure peut être considéré comme une situation très enviable pour une jeune femme de bonne famille voulant jouir d’une certaine liberté. On en apprend également plus sur ces femmes partageant la vie des ducs ou condottieres ayant parvenu à se hisser à la tête de petites cités et qui n’ont de cesse de chercher à assurer la pérennité de leur condition.

De la richesse d’un univers et de personnages

Le troisième grand thème sur lequel l’auteur se focalise pour donner un aperçu le plus riche possible de la période qu’il dépeint est à chercher du côté de l’art et du divertissement. A ce sujet rien n’égalera sans doute le travail réalisé dans « La mosaïque sarantine », mémorable diptyque dans lequel Kay se livrait à des envolées bouleversantes et captivantes sur les techniques des mosaïstes du VIe siècle ou sur les courses de chars disputées par les auriges des deux grandes factions de Sarance. Rien de surprenant par conséquent à ce que l’auteur ait choisi ici de consacrer le deuxième tiers de l’ouvrage à une course de chevaux célébrée chaque années à Bischio, bien évidemment inspirée de la fameuse course du Palio de Sienne. On pourrait croire que consacrer plus d’une centaine de pages aux préparatifs d’une course et à son déroulement serait une monumentale erreur et provoquerait le désintérêt du lecteur, or c’est tout l’inverse. Que cela tienne à la qualité de la plume de l’auteur ou à son talent de conteur, en tout cas j’ai rarement lu de moment aussi intense et aussi épique que cette course opposant des chevaux et des cavaliers tirés au sort pour représenter les différents quartiers de la ville et dont l’auteur nous révèle le moindre secret (combines des quartiers, techniques des cavaliers, organisation des paris, lutte des autorités contre la triche, spécificités du terrain…). La peinture, évidemment, occupe aussi une place importante dans le roman (avec notamment l’ombre de Piero della Francesca qui plane sur certains passages), de même que la philosophie (avec l’évocation du personnage de Vicorin de Feltre et de son école de Mantoue) ou encore les savoir-faire liés à la fabrication de livres. Tous ces aspects contribuent évidemment à donner de l’épaisseur à l’univers et font en grande partie le charme du roman. Il est toutefois un dernier point qu’il convient d’évoquer, et qui explique là encore la qualité des romans de Guy Gavriel Kay, à savoir le soin apporté à ses personnages. Certes, toutes et tous ne sont pas aussi marquants que les précédents héros de l’auteur, mais beaucoup imprimeront néanmoins durablement leur marque dans l’esprit du lecteur, que ce soit par leur finesse d’esprit, leur intelligence retorse, leur détermination ou tout simplement leur humilité et leur bienveillance, à l’image de celui qui assume ici en partie le rôle de narrateur. Même les simples figurants se voient doter d’une histoire, d’une personnalité et d’une profondeur que je n’ai retrouvé nul par ailleurs et qui rendent chacun des acteurs du récit, petits ou grands, inoubliables.

Avec « Comme un diamant dans ma mémoire » Guy Gavriel Kay renoue avec la fantasy historique qu’il affectionne tant et nous livre le récit d’une guerre sans merci livrée par deux condottieres dans la péninsule italienne du XVe siècle. On y retrouve tous les ingrédients qui font le sel des romans de l’auteur, à commencer par des personnages profonds et attachants, ainsi qu’une documentation impressionnante permettant une immersion et une compréhension des enjeux de la période incomparables.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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