Ou ce que vous voudrez
Titre : Ou ce que vous voudrez
Auteur : Jo Walton
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2022 (septembre)
Synopsis : À soixante-treize ans, Sylvia Harrison est une autrice à succès ayant déjà publié plus d’une trentaine de romans. Le prochain se déroulera à Thalia, une cité qui ressemble beaucoup à Florence et qu’elle a imaginée pour la trilogie qui a lancé sa carrière. Afin de nourrir son inspiration, elle se rend en Italie et va, une nouvelle fois, faire appel à lui. Lui ? Il apparaît dans presque tous ses romans. Il a été dragon, voleur, guerrier et même dieu. Il est celui grâce à qui Sylvia a créé ses personnages les plus marquants. Celui à qui elle parle en son for intérieur depuis des décennies. Celui qui l’a sauvée, qu’elle a chassé, qu’elle a accueilli de nouveau. Celui qui s’éteindra avec elle, lorsqu’elle décédera. S’éteindre ? Ça, il ne peut l’accepter.
-Dans le monde extérieur où je vis, il me faudra bien… mourir un jour ou l’autre.
-Quand ce jour-là arrivera, vais-je devoir mourir avec toi ?
-Tu survivras dans mes histoires, répond-elle sans trop de conviction.
-Alors invente-moi une nouvelle histoire, celle de tout ce que je suis.
Un roman dans la droite lignée de « Morwenna »
C’est en 2014 que le public français découvre pour la première fois Jo Walton avec « Morwenna », un roman atypique adoptant la forme du journal intime d’une adolescente fan de SF/Fantasy et dotée de la capacité de voir des créatures merveilleuses. Plusieurs œuvres, plus anciennes, ont alors suivi, certaines faisant la part belle à l’uchronie (à l’image de « La trilogie du subtil changement »), d’autres à la « fantasy of manners » (« Les griffes et les crocs » dépeint une bonne société anglaise dans laquelle les humains ont été remplacé par des dragons), mais tous mettant en avant des thématiques similaires : la famille, la perception du temps, et surtout la place des femmes dans la société (l’ouvrage le plus abouti sur le sujet étant l’émouvant « Mes vrais enfants »). « Ou ce qui vous voudrez » est quant à lui paru en 2020 en version originale et, bien qu’on y retrouve la plupart des thématiques évoquées plus haut, celui-ci se rapproche davantage de « Morwenna » que de n’importe lequel des autres romans de l’autrice. En ce qui me concerne cela tombe mal, puisqu’il s’agit du seul ouvrage de la biographie de Jo Walton a m’avoir laissée de marbre. En cause, une construction narrative brouillonne, une énumération d’ouvrages littéraires provoquant, à terme, l’overdose, et une intrigue tellement atrophiée que je serais bien en peine aujourd’hui d’évoquer la moindre scène ni même la moindre péripétie. Quoique moins négatif, le bilan reste mitigé pour ce nouveau roman certes plus ambitieux en terme d’intrigue mais néanmoins confus. L’ouvrage met en scène une prolifique autrice de fantasy, Sylvia Harrison, récemment endeuillée par la mort de son mari et décidée à écrire un dernier roman dans son univers de prédilection, librement inspiré de la ville de Florence à la Renaissance. L’écrivaine a également pour particularité d’être habitée par une entité indéfinie mais consciente dans laquelle elle puise l’essentiel de son imagination. C’est ce personnage étrange qui va ici nous servir de narrateur, relatant tour à tour l’évolution de sa relation avec Sylvia et leurs œuvres, mais aussi des événements déterminants de leur vie commune, ou encore l’avancée de son plan visant à survivre à la mort imminente de celle qui l’abrite dans sa tête depuis toujours.
Un roman fourre-tout
Le premier reproche que l’on pourrait formuler à l’encontre du roman concerne son manque de structure. Le narrateur passe sans arrêt du coq à l’âne, alternant entre des épisodes tirés de la vie de Sylvia, des anecdotes sur Florence pendant la Renaissance ou des considérations plus générales sur sa propre existence, l’imagination, la création ou le rôle de la littérature. Tout comme dans « Morwenna », les références littéraires abondent, quoique dans des proportions moindres, et permettent à l’autrice de tisser un lien complice avec les lecteurs amateurs d’imaginaire (la référence à l’ouvrage de Sofia Samatar et son « Un étranger en Olondre » est notamment intéressante de part l’importance accordée au rôle social de la littérature dans les deux œuvres, de même que les nombreux clins d’œil à l’œuvre de Shakespeare). Les passages consacrés à la vie de Sylvia sont intéressants : on y découvre une femme ayant souffert de l’indifférence de sa mère et de l’emprise de son premier mari mais désormais apaisée et déterminée à vivre sa vie comme elle l’entend. Comme dans tous ses romans, Jo Walton accorde une grande importance aux ressentis de ses personnages, et c’est ce qui rend l’héroïne particulièrement touchante ici. Sa détresse suite à la mort de son mari, son affection pour la famille qu’elle s’est construite et son amour de la littérature en font un personnage attachant pour lequel on ressent immédiatement beaucoup d’empathie. Malheureusement les scènes émouvantes consacrées à Sylvia sont loin de constituer l’essentiel du roman. Les interrogations du narrateur sur sa propre existence, son rôle dans la vie de l’autrice et son plan pour lui survive sont par exemple moins captivantes, de même que les chapitres se déroulant dans l’univers de Sylvia. En effet, tout en narrant l’avancée de l’écriture par Sylvia de son dernier roman, Jo Walton nous plonge régulièrement directement dans l’intrigue de cet ouvrage fictif. On bascule alors dans un autre univers plein de magie, dans lequel l’écoulement du temps n’est clairement pas le même que chez nous (un petit clin d’œil à « Pierre-de-vie » ?) et où plusieurs grandes figures de la Renaissance italienne se retrouvent pour y vivre autant qu’ils le désirent. Car la principale caractéristique de cet univers réside dans l’absence de mort subie, cette dernière ne pouvant advenir que si choisie et voulue (à de rares exceptions près).
L’influence florentine
On alterne donc tout au long de l’ouvrage entre l’intrigue du roman imaginé par l’autrice et le déroulement de l’écriture de ce même roman. Le problème, c’est que l’univers de fantasy mis en scène ici est décrit de façon bien trop superficielle pour susciter l’intérêt, et il en va de même pour les personnages. Le seul véritable attrait de la fiction réside dans son inspiration florentine et dans la multitude de références historiques évoquées en rapport avec cette influence. L’amour porté par Jo Walton à la cité italienne est flagrante et communicative, celle-ci évoquant aussi bien la beauté des monuments imposants qui ont fait sa renommé (le Duomo, la cathédrale Santa Maria Novella…) que le charme de ses petites ruelles ou le raffinement de sa gastronomie. Les anecdotes historiques sont également légion, qu’elles concernent la construction du dôme de la cathédrale de Florence par Brunelleschi, l’état de la ville au XIXe ou encore la vie de ses figures les plus emblématiques comme Pic de la Mirandole. Ces passages sont particulièrement instructifs et suscitent sans mal l’intérêt du lecteur de part leur caractère insolite ou incongru. Seulement, là encore, ils sont noyés dans la masse colossale d’informations données par le narrateur qui va soudainement se désintéresser du sujet pour partir dans des considérations plus philosophiques ou qui ont trait à la vie de Sylvia. Toutes les réflexions de cette sorte de démiurge ne sont pourtant pas inintéressantes, notamment en ce qui concerne la place que peut prendre la littérature dans la vie d’un individu, le fonctionnement de l’imagination ou le pouvoir des mots, mais là encore tout cela est noyé dans quantité d’autres sujets sans lien véritable les uns avec les autres.
« Ou ce que vous voudrez » est un roman peu ordinaire au charme duquel je n’ai malheureusement pas été sensible. L’ouvrage manque de structure, le narrateur déroulant ses pensées au fur et à mesure qu’elles lui viennent, ce qui fait qu’on saute régulièrement du coq à l’âne, une anecdote sur la Florence de la Renaissance succédant à une réflexion sur la littérature, elle-même suivie d’une révélation sur le passé de l’héroïne, tout cela sans connexion véritable. Les influences qui traversent l’œuvre et les thématiques mises en avant avaient pourtant tout pour me plaire, de Florence à Shakespeare en passant par la fantasy, la Renaissance ou encore la place des femmes dans la société, malheureusement toutes ces réflexions fort intéressantes peinent à surnager dans un océan d’anecdotes et d’informations pas toujours pertinentes. A réserver, peut-être, aux amateurs de « Morwenna »…
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Ombrebones (Chroniques de l’imaginaire) ; Tigger Lilly (Le dragon galactique)
4 commentaires
Tigger Lilly
Dommage que cela n’ai pas pris. J’ai adoré pour ma part. Je pense que le côté foutraque correspond assez bien au foutraque de mon cerveau XD
shaya
Je n’ai pas lu ta chronique en entier car je suis en cours de lecture, mais ce que tu en dis me fait craindre le pire, j’ai un peu de mal à avancer dedans pour les raisons que tu évoques…. Croisons les doigts pour que la magie opère quand même !
Boudicca
Bon courage dans ce cas 😉 Certains passages sont tout de même intéressants, notamment les anecdotes historiques sur la ville de Florence.
Ge Collectif Polar
J’adore cette autric, celui-ci est dans ma PAL