Les Royaumes crépusculaires [Intégrale]
Titre : Les Royaumes crépusculaires (Intégrale)
Romans : Souffre-jour ; Les danseurs de Lorgol ; Agone ; Aux ombres d’Abyme ; Renaissance ; La Romance du démiurge
Auteur : Mathieu Gaborit
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2018 (avril) – 1995-1997 pour les premières éditions
Synopsis : Réunies dans cette intégrale, les aventures d’Agone de Rochronde et de Maspalio d’Abyme ont passionné des milliers de lecteurs depuis plus de 20 ans. Fresque magistrale, Les Royaumes crépusculaires retracent la sombre destinée d’Agone de Rochronde, accompagné de sa rapière Pénombre. D’abord réticent à monter sur le trône à la mort de son père, il cédera au jeu mortel des rivalités et trahisons. À l’ouest se dresse Abyme, cité baroque et décadente. Maspalio, farfadet astucieux et ancien prince-voleur, se retrouve au coeur d’une enquête exceptionnellement dangereuse.
Regarde bien notre petit quatuor. Il va jouer pour toi ce soir. La musique, la vraie, celle de l’esprit et du fantasme, va se glisser dans la rue et darder ses yeux invisibles dans chaque maison, dans toutes les âmes sombres et grossières de ce quartier maudit. Et puis, de ruelle en ruelle, de crâne en crâne, elle trouvera tout à coup un espace familier, un esprit accordé. Elle le palpera, silencieuse et douce, elle s’immiscera dans sa tête pour voir par ses yeux. Satisfaite, elle reviendra et se penchera sur mon épaule pour me murmurer ce qu’elle a vu. La musique ! Elle seule est capable de tels prodiges !
Parmi les auteurs qui participèrent à l’essor et au renouveau de la fantasy française dans les années 1990, impossible de passer à côté de Mathieu Gaborit. Outre plusieurs ouvrages estampillés « steampunk », qui contribuèrent à populariser le genre en France (« Bohème » ; « Confessions d’un automate mangeur d’opium »), on lui doit également plusieurs romans de fantasy situés dans un même univers, celui des Royaumes Crépusculaires. Parus au milieu des années 1990, ces romans ont depuis peu fait l’objet d’une très belle intégrale éditée chez Mnémos et regroupant la trilogie des « Crépusculaires » ainsi que celle d’« Abyme ». L’occasion pour les non-connaisseurs de l’œuvre de l’auteur de se familiariser avec ses deux héros les plus emblématiques : Agone de Rochronde et Maspalio d’Abyme.
Les Crépusculaires
La première trilogie intitulée « Les Crépusculaires » regroupe « Souffre-jour », « Les danseurs de Lorgol » et « Agone », et met en scène un jeune noble dont le père vient de décéder mais qui refuse d’assurer la succession à la tête de sa baronnie. En dépit des efforts de sa famille pour le dissuader, Agone de Rochronde est en effet bien décidé à intégrer l’école de Préceptorale, une communauté formant des professeurs itinérants chargés d’instruire les populations des campagnes. N’ayant pas renoncé à le faire changer d’avis, son père a toutefois tenu à ajouter une close à son testament et à lui imposer une dernière épreuve : il sera autorisé à rejoindre Préceptorale uniquement après avoir passé une semaine dans une autre école, celle de Souffre-jour, qui forme pour sa part des « éminences grises », hommes de l’ombre manipulant les puissants du royaume. Convaincu de la fermeté de son engagement, le jeune homme accepte. Mais le test va s’avérer bien plus difficile que prévu… Mathieu Gaborit met en scène un univers qui, en dépit de son cadre « médiéval-fantastique » traditionnel, se révèle follement original. Le récit baigne dans une atmosphère très sombre, et on comprend tout de suite la pertinence du titre choisi pour qualifier ces royaumes qui servent de décor au récit. Car il règne bel et bien dans ces pages une ambiance crépusculaire qui ne peut que fasciner le lecteur. Même chose en ce qui concerne le bestiaire, puisqu’on a, à priori, affaire à des créatures qu’on retrouve fréquemment en fantasy : lutins, farfadets, fées, ogres… Seulement, là encore, l’auteur parvient à leur donner une complexité et une étrangeté envoûtantes qui feront totalement oublier au lecteur tout ce qu’il pensait savoir sur ces créatures.
L’intensité de l’immersion proposée ici par Mathieu Gaborit ne s’explique toutefois pas seulement par la singularité de son univers, mais aussi et surtout par la beauté de sa plume. Il n’est ainsi guère étonnant de voir l’art occuper une place aussi importante dans le récit, qu’il s’agisse de la musique, de la danse ou de la peinture. Accordés, chorégraphes, danseurs… : autant d’inventions qui enflamment l’imagination du lecteur et participent à enrichir encore un peu plus cet univers dont on comprend vite qu’on n’en cernera de toute façon jamais toute la complexité. Le principal reproche que l’on peut faire à cette première trilogie concerne la manière dont l’auteur met en place son intrigue : chaque partie commence de manière assez lente afin de laisser au lecteur le temps de s’imprégner du décor et de comprendre les enjeux, et puis tout s’emballe dans les cinquante dernières pages qui offrent souvent une conclusion bien trop abrupte. Cela n’enlève rien au plaisir que l’on a à suivre les aventures d’Agone, aussi serait-il dommage de bouder son plaisir. Un mot, pour finir, concernant les personnages qui sont à l’image de l’univers dans lequel ils évoluent : ambigus, difficiles à cerner et imprévisibles. Agone est évidemment le plus marquant de tous, moins en raison de sa personnalité que de son évolution spectaculaire entre le premier et le dernier tome. Les autres personnages sont plus en retrait, même si certains parviennent à tirer leur épingle du jeu, à l’image de Pénombre, la rapière douée de conscience qui accompagne notre héros et qui fait naître évidemment quantité de références dans la tête du lecteur. Dommage en revanche que les personnages féminins soient aussi effacés ou cantonnés à des rôles très stéréotypés : la figure maternelle, la séductrice…
Abyme
La deuxième moitié de l’intégrale se situe dans le même univers mais nous propose de découvrir un nouveau personnage, et surtout un nouveau décor. Cette seconde trilogie regroupe « Aux ombres d’Abyme », « Renaissance » et « La romance du démiurge », trois récits qui mettent en scène le farfadet Maspalio dont l’auteur vient de reprendre les aventures dans une nouvelle série (« Les nouveaux mystères d’Abyme »). Contrairement à la première trilogie qui nous proposait une intrigue de grande ampleur, avec des guerres entre royaume, des batailles ou des intrigues de cours et de mages, l’auteur opte ici pour un récit plus intimiste prenant la forme d’une enquête. Ancien chef de la guilde des voleurs, Maspalio est un farfadet vieillissant qui s’est retiré des affaires et se contente de quelques contrats en tant qu’invocateur. Notre héros va toutefois être contraint de sortir de sa retraite afin de résoudre un mystère qui rend de toute évidence nerveux les Advocatus Diaboli (ceux qui gèrent les contrats passés entre les invocateurs et les créatures qu’ils convoquent) : un démon n’a pas rejoint son invocateur à la fin de sa mission et se terre quelque part dans la cité. L’événement est déjà inquiétant en soi, mais les différents éléments que va soulever Maspalio au cours de son enquête le sont plus encore : le voilà entraîné dans une complexe machination dont il peine à cerner tous les enjeux et les dangers.
Si le rythme de la trilogie précédente pouvait parfois laisser à désirer, on sent ici que l’auteur possède davantage de maîtrise : les temps morts sont rares, les rebondissements bien réglés, et la conclusion amenée de manière moins abrupte. Pour ce qui est du décor, on retrouve toute la noirceur et l’étrangeté qui caractérisaient celui des aventures d’Agone, mais avec une flamboyance supplémentaire qui tient à la personnalité de la ville d’Abyme elle-même. Impossible en effet de ne pas être fasciné par cette cité hors du commun qui condense d’une certaine manière tout ce qui fait l’originalité de l’œuvre de l’auteur. On y rencontre de nouvelles créatures encore plus déconcertantes que les précédentes (sirènes, méduses, salanistes…), tout en arpentant certains de ses endroits les plus emblématiques : la Grande place et ses auberges mobiles, le palais des Gros, le quartier des guildes… La ballade est d’autant plus captivante que la cité nous est dévoilée par le regard presque énamouré de Maspalio qui, bien que conscient de sa dangerosité et de ses excès, voue à Abyme une adoration sans borne. Si le récit présente autant d’attraits, c’est d’ailleurs aussi en grande partie grâce à ce personnage qui ne pourrait pas être plus différent que celui mis en scène dans « Les Crépusculaire ». A l’inverse du rigide et torturé Agone, Maspalio se distingue par son côté « mauvais garçon » que viennent renforcer un bagou et un culot à toute épreuve. En dépit des moments difficiles qu’il traverse ici, notre héros ne se départit jamais d’un certain panache qui le rend immédiatement sympathique aux yeux du lecteur. Cela se ressent notamment au niveau des dialogues, bien plus enlevés et ciselés que dans la première partie. Les personnages secondaires sont pour leur part toujours aussi en retrait, mais l’auteur parvient tout de même à les rendre plus attachants (même si les femmes sont toujours aux abonnées absentes ou presque).
Sur une commode, je rafle les outils qui m’accompagnent toujours dès lors que je quitte notre maison : une épaisse ceinture à laquelle est accrochée les fioles d’encre et les pinceaux indispensables à l’exercice de l’invocation et un poignard à lame sautante. Je n’aime pas cette arme, comme toutes les autres d’ailleurs. Devoir s’en servir trahit le plus souvent un aveu d’impuissance. Néanmoins, soyons lucides : les jeunes ne savent plus se tenir. Les anciens ne sont plus respectés comme par le passé. Des écervelés, improvisés assassins ou voleurs, s’attaquent à n’importe qui. A mon époque, on avait encore la décence de connaître sa victime.
Idéale pour découvrir la partie la plus réputée de l’œuvre de Mathieu Gaborit, cette intégrale nous plonge dans un univers fascinant où se mêlent flamboyance et noirceur, beauté et brutalité. Difficile également de résister au charme des deux héros qui se partagent ici l’affiche, chacun représentant une facette différente de ces territoires crépusculaires qui nous sont dépeints avec une inventivité et une poésie remarquables. Un indispensable de la fantasy !
Voir aussi : Les nouveaux mystères d’Abyme ; La confrérie des bossus
Autres critiques : ?
6 commentaires
Apophis
Je suis tout à fait d’accord, c’est un indispensable de la Fantasy. Même moi qui n’ait qu’une affinité limitée avec la Fantasy française, j’ai adoré les Crépusculaires, et je place Gaborit en haut de mon panthéon hexagonal personnel, avec des gens comme Pevel et Jaworski. Excellente critique !
Les Fantasy d'Amanda
Ah, je suis contente de voir que Les crépusculaires t’aient autant plu. J’ai lu l’intégrale d’une traite il y a déjà pas mal d’années (ça doit bien faire 8 ans, déjà !), et j’en garde un excellent souvenir. L’originalité de l’oeuvre m’avait frappée à l’époque ! 😉
Aelinel Ymladris
J’avais trouvé dans un déclassement de bibliothèques l’ancienne trilogie des années 90. Il faudrait que je la lise. Je pense qu’elle pourrait me plaire.
Boudicca
Oui je pense aussi 🙂
Elhyandra
Il faut que je relise mon intégrale, je n’ai plus du tout de souvenirs pourtant je n’en entends que du bien et il me semble bien l’avoir apprécié c’est juste très très vieux comme lecture ^^
Boudicca
Ça me le fait aussi pour certains romans et c’est un peu frustrant en effet ^^