Science-Fiction

La voie Verne

Titre : La voie Verne
Auteur : Jacques Martel
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2019 (janvier)

Synopsis : Un futur qui pourrait être aujourd’hui : l’usage du papier a disparu et l’ensemble des connaissances a été numérisé, jusqu’à ce qu’un virus informatique terriblement puissant et fulgurant en anéantisse une grande partie. Dans ce monde au savoir gangrené, John, un homme d’âge mûr, devient majordome pour de mystérieuses raisons dans une famille richissime, recluse dans un immense manoir perché au cœur des Alpes. C’est là que vit Gabriel, un étrange enfant qui passe son temps dans un univers virtuel mettant en scène un XIXe siècle singulièrement décalé où il retrouve tous les héros, machines et décors de Jules Verne, un écrivain depuis longtemps oublié… Confronté au mutisme du jeune garçon, aux secrets et aux dangers du monde virtuel dédié à Jules Verne, John s’embarque sans le savoir dans une aventure dont les enjeux se révéleront bientôt vertigineux.

La vérité, monsieur, est que la volonté de l’homme est plus puissante que la science.Elle le soutient contre l’adversité, lui donne la force de survivre lorsque tout est perdu. La volonté est la vie. Elle protège contre vents et marées, parfois contre la mort elle-même. Le mythe ne peut être tué si la volonté des hommes désire qu’il vive. Alors, la chair et l’esprit ne dépérissent pas. Le mythe vit, l’homme vit. Il vit tant que l’humanité a besoin de lui, qu’au fond de son âme elle le sent nécessaire, tant qu’il représente quelque chose d’universel, plus grand que les siècles, plus large que les frontières derrière lesquelles s’enferment les gens.

Et si l’œuvre de Jules Verne venait à disparaître ?

Édité pour la première fois chez Mnémos en 2008, Jacques Martel a signé depuis plusieurs romans, dont le dernier en date a connu un retentissement non négligeable dans la presse (chose plutôt rare dès lors qu’il s’agit de SF ou de fantasy). Difficile en effet de rester insensible au travail de l’auteur qui signe avec « La voie Verne » un texte ambitieux qu’on peine à faire rentrer dans une quelconque case tant il brasse d’influences et de thématiques. Le roman met en scène un quadragénaire, un certain John Erns, qui décide de postuler en tant que major-d’homme auprès d’une riche veuve ayant élu domicile dans un magnifique château dans les Alpes. Cet homme sera notre narrateur durant toute la durée du récit, et on comprend très vite qu’il n’a pas choisi cette offre d’emploi au hasard. Car s’il semble dans un premier temps s’adapter à sa nouvelle condition et se lier d’amitié avec les différents membres de la maisonnée, notre ami cherche manifestement quelque chose de bien précis. Son but ? Ressusciter l’œuvre de Jules Verne, victime de la combinaison fortuite et malheureuse de deux facteurs : la dématérialisation systématique de toutes les œuvres papiers, et l’apparition d’un virus informatique qui a rongé une partie des données du « Halo » (le successeur du web). Le roman est construit à la manière d’un feuilleton, reprenant en cela la forme privilégiée par les auteurs populaires du XIXe. Cela peut d’ailleurs s’avérer très frustrant tant les révélations qu’on attend avec impatience ne cessent d’être repoussées chapitre après chapitre par le narrateur (qui ne manque d’ailleurs pas de s’amuser de cette mauvaise manie et de notre désarroi). Cette construction a en tout cas le mérite de maintenir le lecteur en haleine pendant la première moitié du roman, la seconde évoluant pour sa part selon un rythme différent. Difficile de parler de l’intrigue sans gâcher la surprise, aussi me contenterais-je de vous dire que celle-ci se révèle passionnante de bout en bout et d’une grande richesse tant elle multiplie des références à la fois très actuelles et plus anciennes. L’hommage à Jules Verne est évident (le titre lui-même en témoigne) et ne manquera pas de ravir les amateurs de l’auteur de « Vingt-mille lieues sous les mers » et du « Tour du monde en 80 jours », qu’ils soient experts ou néophytes en la matière.

Portrait d’un futur ambivalent

Ce qui frappe avant tout dans le roman de Jacques Martel, c’est son décor qui emprunte par bien des aspects au courant cyberpunk, tout en se démarquant par un ton résolument optimiste qui témoigne, là encore, de l’empreinte manifeste de Jules Verne. Si le futur plus ou moins proche mit en scène ici intrigue autant le lecteur, c’est avant tout en raison de sa plausibilité : il est fait mention de mesures prises pour limiter les impacts du changement climatique, l’évolution de la société a conduis à une nouvelle organisation du travail (on a compris qu’il n’y aurait désormais plus jamais autant de travail que de travailleurs, si bien que de nouvelles politiques ont été mises en place), sans parler des évolutions technologiques et numériques incroyables qu’a connu le monde en l’espace de quelques années seulement. Très peu de ces éléments sont évoqués en détail, le personnage se contentant le plus souvent de les mentionner de manière anecdotique, mais cela suffit pour que l’imagination du lecteur s’enflamme. On apprend par exemple au détour d’une conversation qu’il existe des nuages de pluie grise (comprenez chargés de métaux lourds), que la quasi totalité des livres ont été confisqués afin de récupérer le précieux papier, ou encore que certains des travers de nos sociétés actuelles se sont renforcés au lieu de disparaître (aggravation de la surveillance de masse, boum du tourisme qui a aboutis à la transformation de certains endroits en véritables villes-musées, destinées seulement aux visiteurs et peuplées d’habitants/acteurs). En dépit de ces aspects qui, il faut l’admettre, suscitent davantage l’angoisse que l’enthousiasme, le roman de Jacques Martel exerce néanmoins un pouvoir de séduction important. Il faut dire que, si les éléments cités sont inquiétants, d’autres sont beaucoup plus réjouissants et ouvrent de belles perspectives. C’est le cas notamment de tout ce qui touche à l’exploration spatiale (les hommes sont parvenues à implanter des colonies sur la Lune, Mars, aussi que quelques autres endroits de la galaxie), mais aussi, dans une certaine mesure, du Halo, cet espace virtuel dans lequel s’expriment les instincts les moins reluisants de l’humanité, mais qui permet également à des individus dotés d’une imagination débordante d’expérimenter une infinité de choses.

Un hommage touchant à Verne et son œuvre

Cet élan d’optimisme dans lequel baigne le roman, il tient évidemment en grande partie à l’influence de Jules Verne à qui Jacques Martel rend ici un très bel hommage. Les références aux œuvres et aux personnages emblématiques de l’œuvre du maître abondent, de l’île mystérieuse au Nautilius, en passant par le capitaine Némo, Robur le Conquérant ou encore Michel Strogoff. Loin de se limiter à accumuler les clins d’œil, l’auteur a surtout le cran de tenter de prolonger l’œuvre de Jules Verne. Sacré pari ! Cela passe, d’abord, par une réappropriation des thématiques chères à l’auteur populaire : le goût de l’aventure et de l’exploration (spatiale, notamment) ; un émerveillement presque enfantin pour ce que les progrès scientifiques et technologiques pourraient rendre possible ; et surtout une curiosité sans bornes pour ce que nous réserve le futur et ses découvertes. Autant d’éléments qui constituent la marque de fabrique des romans de Jules Verne, et que l’auteur d’aujourd’hui réutilise pour rendre vie à l’univers et à la philosophie de celui d’hier. D’un futur peu attrayant dans lequel le format papier et la lecture sont en passe de devenir des modes de communication obsolètes, Jacques Martel ouvre ainsi des perspectives incroyables. Paradoxalement, en dépit de cette quasi absence matérielle de livres dans le roman, ces derniers sont omniprésents dans l’histoire, et on sent bien toute l’affection et l’émotion que suscite pour l’auteur l’écriture en général, et la forme romanesque en particulier (autant d’éléments auxquels ne manquera pas d’être sensible tout lecteur un tant soit peu bibliophile). Quantité d’autres thèmes sont évidemment abordés, même si certains sont traités avec un peu moins de subtilité (l’acceptation de la différence, l’autisme, la force du mythe…). D’autres, en revanche, auraient mérité d’être davantage exploités, notamment tout ce qui concerne les privilèges accordées aux plus riches (possibilité de conserver les collections d’ouvrages papiers privés ; privatisation de certains lieux emblématiques comme la promenade des Anglais…), ainsi que ce qui touche au Halo et à la dépendance qu’il peut faire naître (certains individus choisissent volontairement de s’enfermer dans des univers virtuels ultra sophistiqués afin de se voir offrir des opportunités qui leur sont désormais inaccessibles dans la réalité). Le roman est en fait tellement riche qu’on aurait aimé le voir développé sur bien davantage que trois cent pages, ce qui est un bon indicateur de la qualité de son récit.

Jacques Martel signe avec « La voie Verne » un roman difficile à classer, mélange de cyberpunk et d’hommage à Jules Verne dont l’empreinte est perceptible sur la plupart des aspects du roman. Le futur mis en scène par l’auteur a quelque chose de fascinant, en dépit de ses travers, et c’est cette fascination qui rend l’immersion du lecteur aussi profonde et aussi agréable. La construction du récit est également à saluer, de même que le soin apporté aux personnages, finalement peu nombreux, qui peuplent cette belle histoire. Une excellente découverte que je vous recommande chaudement.

Autres critiques : Dionysos (Le Bibliocosme) ; Le chien critique ;Les Chroniques du Chroniqueur

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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