Essai

Une culture du viol à la française

Titre : Une culture du viol à la française
Auteur/Autrice : Valérie Rey-Robert
Éditeur : Libertalia
Date de publication : 2019 / 2021

Synopsis : Dans cet essai documenté et novateur, l’autrice analyse et définit les violences sexuelles, déboulonne toutes nos idées reçues et bat en brèche l’argumentaire déresponsabilisant les violeurs. Elle insiste sur les spécificités hexagonales du concept de « culture du viol », démythifie le patrimoine littéraire et artistique, et démontre, point par point, qu’il est possible de déconstruire les stéréotypes de genre et d’éduquer les hommes à ne pas violer.

Davantage que le comportement des femmes et leur capacité à faire comprendre le non, c’est la façon dont les hommes interprètent ce non qui devrait être questionnée.

Un concept clé pour comprendre les violences sexuelles

Dans « Une culture du viol à la française », l’essayiste féministe Valérie Rey-Robert (aussi connue grâce à son blog « Crêpe Georgette ») signe un essai captivant sur la place qu’occupent les violences sexistes et sexuelles dans notre pays, sur la façon dont ces violences sont en permanence minimisées, voire niées, et sur les conséquences concrètes que cela a sur notre société. Car ces violences sont loin d’être anecdotiques : on estime en effet qu’un demi-million de femmes majeures sont aujourd’hui victimes de violences sexuelles en France, soit l’équivalent d’un viol toutes les huit minutes. Dans sa première partie, l’autrice revient sur le concept au cœur de son ouvrage, celui de culture du viol, ce qui lui permet au passage de redonner une définition claire de ce que sont le sexisme, le patriarcat ou encore la misogynie. On ne sait pas vraiment qui est à l’origine du concept de « culture du viol », mais il apparaît aux États-Unis dans les années 1970 et commence à être popularisé par les féministes dans les années 2010. Le terme est aujourd’hui bien implanté et est définit par l’essayiste comme « >la manière dont une société se représente le viol, les victimes de viol et les violeurs à une époque donnée. Elle se définit par un ensemble de croyances, de mythes, d’idées reçues autour de ces trois items. La culture du viol n’est pas la même selon les lieux puisqu’elle dépend fortement de la culture du pays dans laquelle elle naît ». Dans cet ouvrage, il s’agit donc de décortiquer les mécanismes de cette culture du viol en France aujourd’hui et de faire prendre conscience que les idées reçues sur le sujet imprègnent tous les pans de notre société et donnent du viol une image très lointaine de la réalité des faits. Phénomène souvent accentué par les médias qui ont tendance à accorder davantage d’intérêt aux viols qui collent avec les stéréotypes et à invisibiliser les autres.

Viols : la réalité des chiffres

Divisé en cinq chapitres thématiques, l’ouvrage de Valérie Rey-Robert reprend une à une toutes ces idées reçues pour les décortiquer, les démonter, et montrer comment elles permettent à la fois de protéger les hommes (par la minimisation) mais aussi de contrôler les femmes (par la peur). L’essayiste commence par poser le décor en proposant dans un premier temps un état des lieux des chiffres connus sur les violences sexuelles en France (elle se réfère pour cela à différentes enquêtes de victimisation qui permettent d’avoir une idée précise des infractions subies sans qu’il y ai forcément eu plainte). Parmi les enseignements à retenir de ces différentes enquêtes, nombreux sont ceux qui mettent à mal la vision du viol telle qu’on se le représente aujourd’hui encore en France. On y apprend notamment qu’une femme sur 10 serait victime de violence sexuelle chaque année, que dans l’immense majorité des cas la victime connaît son agresseur (et que pour près de la moitié il s’agit même du conjoint ou de l’ex-conjoint), que moins de 10% des victimes de viols osent porter plainte (auquel cas l’infraction est souvent correctionnalisée), et que 65% des Français sous-estiment le nombre de viols en France. L’autrice enchaîne avec un aperçu historique permettant de revenir sur le long parcours qui a permis l’instauration des lois actuelles sur le viol, partant du principe que des « siècles d’impunité ont fortement marqué notre histoire ». On y découvre que, sous l’Ancien Régime et même après, c’est avant tout la transgression morale que l’on condamne et que celui qui est avant tout considéré comme victime n’est pas la femme violée mais l’homme qui a autorité sur elle. Il faut attendre 1857 pour qu’une loi donne enfin une définition du viol, et les années 1970 pour qu’une véritable prise de conscience émerge, notamment grâce aux militantes féministes et à des affaires très médiatisées comme celle des viols d’Aix-en-Provence.

Victime culpabilisée, auteur déresponsabilisé

Les chapitres suivants proposent de revenir sur les principaux lieux communs qui entourent le viol, avant que l’autrice ne les démonte méticuleusement point par point, non sans avoir démontré leur nocivité pour les femmes mais aussi leur intérêt pour les hommes. Ces lieux communs sont nombreux mais peuvent être classés en trois catégories : une représentation fantasmée du viol ; une culpabilisation systématique des victimes et une altérisation des agresseurs dont les actes sont euphémisés ou minimisés. Parmi les fausses représentations soulevées, l’autrice insiste sur le fait que, contrairement à ce que pense une large majorité des Français, l’espace public n’est pas l’endroit où les femmes ont le plus de risque de se faire violer puisque c’est dans la sphère privée des victimes que se situent dans l’écrasante majorité les agresseurs. « Toutes les études démontrent que les violeurs sont de toute origine, de toute condition sociale. Le seul point commun, c’est qu’ils sont à 98 % des hommes. » Concernant la culpabilisation de la victime, l’essayiste constate que la responsabilité du viol est encore et toujours régulièrement imputée aux femmes dont la personnalité et le comportement vont systématiquement être décortiqués et qu’on va régulièrement accuser de mentir. Enfin, concernant la minimisation des actes du violeur, l’autrice insiste bien sur le fait que le viol n’est jamais le résultat d’une pulsion ou d’un coup de tête, et qu’il résulte au contraire d’une stratégie de prédation visant à isoler et terroriser la victime tout en dissuadant les témoins de parler.

#Metto et le retour de bâton

La quatrième partie permet à l’autrice de revenir sur le retour de bâton qui a suivi la libération de la parole des femmes au moment de #Metoo. Que se soit dans les romans, les chansons, les comportements de personnalités publiques de premier plan, la séduction est sans arrêt mise en avant comme étant un véritable pan de l’identité de notre nation, et non pas comme un prétexte utilisé pour invisibiliser et minimiser les violences sexuelles. « Le jeu de la séduction est de la sexualité est pourtant fondé sur l’idée d’une femme qui se refuse, face à un homme que cela excite, qui insiste jusqu’à ce qu’elle finisse par accepter ». L’autrice illustre son propos par de nombreux exemples tous plus affligeants les uns que les autres et met en lumière l’importance jouée par l’opposition savamment entretenue entre une sous-disant « galanterie à la française » et le « puritanisme à l’américaine », présenté comme un véritable repoussoir. L’autrice revient évidemment sur les questionnements et surtout les résistances que le mouvement #Metoo a causé dans notre pays où, face à la mise en lumière de l’ampleur des violences sexuelles, on a presque aussitôt répliqué « liberté d’importuner ». « Comme si le sexe et le viol avaient quelque chose à voir ». Cette particularité empêche tout débat en profondeur sur le sujet, comme le prouve le fait que les femmes ayant dénoncé des violences ont été régulièrement assimilées par certaines personnalités publiques aux collabos dénonçant les Juifs pendant la guerre (l’auteur revient notamment sur les discours tenus par plusieurs personnalités médiatiques toujours très en vogue aujourd’hui, en dépit de leurs propos scandaleux sur le viol en général, et les femmes en particulier). Et l’essayiste de résumer : « lutter contre les violences sexuelles, c’est au fond trahir sa patrie, attenter à l’identité nationale française ».

Comment mettre fin à la culture du viol ?

Passionnante, la dernière partie propose des pistes de réflexion pour lutter efficacement contre cette culture du viol. La première de ces pistes réside évidemment dans la déconstruction des stéréotypes de genre, en arrêtant par exemple de sans arrêt attiser le sentiment d’insécurité des filles, ou en interrogeant les préjugés sexistes et la représentation des rôles hommes/femmes dans les contes et les livres pour enfants. L’autrice aborde aussi la nécessité de repenser l’espace public (plus de transports en commun, davantage d’éclairage public, l’arrêt à la demande pour les bus de nuit…) mais aussi de former les professionnels de la police, de la justice, ou encore de l’éducation. Il y a aussi tout un travail de déconstruction à faire dans les médias afin de faire prendre conscience que « le viol n’est pas un fait divers mais un fait social », même si on constate déjà des améliorations sur la façon dont les viols et violences sexuelles sont abordés dans la presse, preuve d’un changement de mentalité au sein des rédactions. Il y a aussi tout un travail à faire dans les productions culturelles où il est devenu de plus en plus difficile d’échapper à des scènes de viols devenues presque un passage obligé, soit pour expliquer la colère d’un personnage masculin, soit pour expliquer la personnalité d’une héroïne, généralement antipathique. Tous ces exemples offrent des pistes de réflexion passionnantes et permettent de prendre la mesure du travail qu’il reste à accomplir pour venir à bout de la culture du viol.

Dans « Une culture du viol à la française », Valérie Rey-Robert nous explique ce qu’est la culture du viol (un ensemble de croyances et d’idées reçues sur le viol, les victimes de viol et les auteurs de viol) et se focalise sur le cas bien particulier de la France. Avec méthode et en s’appuyant sur une multitude d’exemples et de données chiffrées, l’essayiste nous permet de prendre conscience du fossé qui existe entre les représentations que notre société se fait d’un viol/d’une victime/d’un violeur, et la réalité. Un essai passionnant qui a de plus le mérite de proposer quantité de pistes de réflexion pour justement rompre avec la culture du viol et mieux en comprendre les mécanismes.

NB : : A noter que, suite à la tenue du procès des viols de Mazan, les éditions Libertalia mettent en accès libre et gratuit cet ouvrage en format PDF ou EPUB directement sur leur site.

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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