Science-Fiction

Memento mori

Titre : Memento mori
Auteurs/Autrices : Chris Vuklisevic (Memento mori) ; Christopher Bouix (Une magnifique et soudaine histoire d’amour) ; Jean-Laurent del Socorro (Le Sage de la montagne) ; Thomas Gunzig (Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères) ; Anna Triss (L’amour à mort) ; Lionel Davoust (Pour se rappeler Mirigor) ; Julia Richard (Nec-Romance) ; Ariel Holzl (La saison de la sorcière) ; Philippe Pastor (L’Arrière-Pays) ; Justine Niogret (Hay cielos pa’l buen caballo) ; Plume D. Serves (Apparences du pire) ; David Bry (Looping) ; Jeanne A Debats (Est-ce ainsi que vivent les AsphodAIles ?) ; Thomté Ryam (Le grand oral) ; Alain Damasio (Le trépasseur, le tlot et la grenade)
Éditeur : Au Diable Vauvert
Date de publication : 2024 (mai)

Synopsis : « Au gré des imaginations des auteurices qu composent ce recueil, nous verrons la limite de la mort s’éloigner, s’apprivoiser. Comme si le fait de parler, échanger, discuter à propos de la plus ancienne et viscérale peur de l’humanité, nous permette de nous senti pousser des ailes, gonflées d’un nouvel espoir. » Gilles Francescano

Les littératures de l’imaginaire à l’épreuve de la mort

Comme chaque année depuis maintenant depuis plus de quinze ans, le festival des Imaginales d’Epinal a publié sa traditionnelle anthologie dirigée désormais par Gilles Francescano qui a succédé à Stéphanie Nicot à la direction artistique de l’événement. La thématique est cette fois consacrée à la mort, un sujet abondamment abordé par les littératures de l’imaginaire et qui a inspiré ici quinze auteurs et autrices. La plupart des textes relèvent de la science-fiction et non pas de la fantasy qui se fait ici assez discrète, tandis qu’une poignée de textes ne contiennent pas vraiment d’éléments surnaturels. Beaucoup de nouvelles font spontanément le lien entre amour et mort (souvent pour le pire) et, en dépit du caractère potentiellement dramatique du sujet, nombreux sont celles et ceux qui ont fait le choix de ne pas considérer la mort comme une fin en soi, ni comme une tragédie. On rencontre ainsi au cours de notre lecture des mondes où la mort ne constitue pas un tabou mais est au contraire banalisée, d’autres où la réalité artificielle permet de jouer avec ses frontières, ou d’autres encore où il est possible de repousser complètement ses limites. Comme souvent dans une anthologie, le niveau est très variable selon les nouvelles qui permettent néanmoins de se faire une idée de la plume de l’auteurice et de vérifier l’existence d’atomes crochus ou non avec son style et son univers. Sans surprise là encore, les nouvelles que j’ai le plus apprécié sont majoritairement celles écrites par des auteurs et autrices que j’affectionne déjà et qui démontrent ici une aisance aussi bien pour la forme longue ou courte.

Chris Vuklisevic – Memento mori

L’anthologie s’ouvre par un texte écrit par l’autrice désignée comme « coup de coeur » du festival de cette année, Chris Vuklisevic, dont j’avais pour ma part beaucoup apprécié son « Du thé pour les fantômes » qui tournait d’une certaine manière autour du même sujet. Pas de référence à son œuvre toutefois puisque nous n’avons pas affaire ici à une nouvelle mais à un poème qui permet de se mettre dans l’ambiance mais laisse les lecteurices sur leur faim.

Christopher Bouix – Une magnifique et soudaine histoire d’amour

On enchaîne avec la nouvelle de Christopher Bouix, un auteur que j’affectionne particulièrement et dont le roman « Alfie » a reçu l’an dernier le prix du jury dont Dionysos et moi-même faisons partie (Prix Christine Rabin de la 25e Heure du Livre du Mans). Parfaitement orchestrée et pleine d’humour, la nouvelle nous fait suivre deux histoires en parallèle : la première celle d’un coup de foudre en deux personnes venant juste de se rencontrer, la seconde celle d’une femme ayant décidé de se faire euthanasier et désirant choisir la façon dont elle va mourir. Et du choix, il y en a ! On s’amuse beaucoup à lire les descriptions fournies par le conseiller des différentes options possibles (du classique « Départ serein dans les bras d’un être aimé » au plus inattendu « Mort de rire » sans oublier le « Engagée dans une guerre post-apocalyptique contre la révolte des robots »). C’est bourré d’humour et la chute est vraiment… renversante !

Jean-Laurent del Socorro – Le Sage de la montagne

Fidèle à lui-même, Jean-Laurent del Socorro a choisi un cadre historique pour sa nouvelle qui se penche sur les vérités et légendes entourant la secte des ismaéliens et la forteresse d’Alamut. Le récit met en scène deux croisés du début du XIIe en route pour une mission secrète particulièrement périlleuse : recueillir des informations sur ces fameux assassins sur lesquels circulent les plus folles rumeurs. La nouvelle repose sur une documentation minutieuse et permet de lever le voile sur certains mythes qui entourent le personnage. Intéressant !

Thomas Gunzig – Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères

J’ai été moins enthousiasmée par la nouvelle de Thomas Gunzig qui repose pourtant sur une idée originale : une drogue permettant de simuler la mort pendant quelques minutes, et des expériences similaires vécues par les consommateurs. On peine toutefois à s’attacher au personnage et la conclusion tombe un peu à plat.

Anna Triss – L’amour à mort

On enchaîne avec une autrice que je ne connais pas non plus, Anne Triss, qui opte pour un univers de fantasy et relate la rencontre entre un jeune forgeron plutôt sympathique avec une mystérieuse jeune femme qu’il sauve d’un sort terrible. Là encore je n’ai pas été très emballée : on peine à comprendre l’obsession du personnage et la conclusion est assez prévisible. De plus, il est probable que certains enjeux seront mieux perçus et appréciés par les lecteurices déjà familiers de son univers « La Guilde des Ombres », ce que je ne suis pas.

Lionel Davoust – Pour se rappeler Mirigor

Lionel Davoust opte quant à lui pour une nouvelle n’ayant aucun lien avec l’imaginaire mais qui fait partie de mes préférées. Il y relate la douleur d’un vieux fermier après la perte de son cheval, ainsi que sa quête au sein de son village pour tenter de lui rendre hommage. Porter le deuil d’un animal est toutefois considéré comme excentrique ou déplacé par tous ceux qu’il croise, jusqu’à ce qu’une rencontre inattendue vienne lui apporter le soutien dont il a besoin. Un très beau texte, sensible et touchant.

Julia Richard – Nec-Romance

J’ai beaucoup aimé aussi la nouvelle de Julia Richard dont j’avais déjà adoré le roman « Paternoster » paru récemment. L’autrice met ici en scène la tentative de résurrection d’une princesse royale par son fiancé, par le biais de la technologie la plus moderne qui soi. Évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu, et pour la ressuscitée, et pour les domestiques dont les souvenirs ont permis la reconstitution de la personnalité et des souvenirs de la défunte. On retrouve ici le même procédé narratif que dans « Paternoster », avec une montée progressive de l’horreur et un quotidien parsemé de petites alertes inquiétantes qui font peu à peu monter l’angoisse. Une réussite !

Ariel Holzl – La saison de la sorcière

Plus classique, la nouvelle d’Ariel Holzl n’en est pas moins efficace et met en scène l’obsession d’un homme pour une femme considérée par son village comme sorcière car possédant des talents de guérisseuse et venant en aide aux femmes désirant avorter. L’auteur évoque ici la mort sous plusieurs de ses aspects et le fait avec sensibilité et intelligence.

Philippe Pastor – L’Arrière-Pays

Je ne connaissais pas Philippe Pastor et je dois avouer que je suis aussi passée à côté de sa nouvelle qui met en scène l’errance d’un homme dans une sorte de no man’s land dont il cherche désespérément la sortie.

Justine Niogret – Hay cielos pa’l buen caballo

Idem pour la nouvelle de Justine Niogret que je n’avais pas eu l’occasion de lire depuis longtemps et qui évoque la confrontation entre un homme, son cheval et un taureau.

Plume D. Serves – Apparences du pire

Je ne connaissais pas non plus Plume D. Serves mais sa nouvelle m’a beaucoup plu ! L’autrice imagine un monde dans lequel tout le monde possède la capacité de marquer les individus qui leur ont fait du mal avec toute une palette de couleurs qui témoignent de la nature du mal infligé. Les plus influents ont malgré tout la possibilité de s’acheter une deuxième peau, à l’image de Dominique, qui a agressé la narratrice lorsqu’elle était plus jeune et qui ne porte pourtant aucune marque de son crime, au plus grand désarroi de la victime. L’autrice livre ici une nouvelle toute en nuance qui permet de réfléchir sur des plusieurs sujets intéressants comme la façon dont on se remet d’un traumatisme, ou encore la nocivité des phénomènes de meutes.

David Bry – Looping

La nouvelle de David Bry est sans doute l’une des plus tragiques de l’anthologie puisque l’auteur y met en scène un homme se réfugiant dans une réalité virtuelle pour retrouver sa femme et sa fille, mortes suite à un accident dont il fut en partie responsable. L’univers imaginé par l’auteur est froid et effrayant mais ses personnages sont plein d’humanité et parviennent sans peine à émouvoir.

Jeanne A Debats – Est-ce ainsi que vivent les AsphodAIles ?

Jeanne A Debats, elle, renoue dans sa nouvelle avec l’un de ses univers de prédilection. Malheureusement, si vous n’avez aucune connaissance préalable des subtilités de cet univers, vous risquez comme c’est mon cas de rester sur le carreau. Même si je suis passée à coté de l’intrigue je dois reconnaître que le style cash de l’autrice est toujours aussi agréable et donne lieu à des dialogues assez savoureux.

Thomté Ryam – Le grand oral

Originale, la nouvelle de Thomté Ryam met en scène l’attente du personnage dans l’antichambre de l’au-delà au côté d’un néo-nazi et de plusieurs autres personnages plus ou moins farfelus morts la même nuit que lui. J’ai trouvé l’idée sympathique et le style de l’auteur percutant, mais la nouvelle est malheureusement bien trop courte.

Alain Damasio – Le trépasseur, le tlot et la grenade

On termine en beauté avec la nouvelle d’Alain Damasio qui signe lui aussi l’une des meilleures nouvelles de l’anthologie et imagine un monde dans lequel des individus auraient la capacité de plonger dans la psychée des morts pour aller y chercher des souvenirs. Le récit nous relate justement l’histoire de l’une de ces plongées menée par un trépasseur embauché par un amoureux en deuil pour lui rapporter un souvenir de l’amour partagé entre lui et sa compagne décédée dans un accident de kayak. Comme toujours, le texte est bien écrit et fourmille d’idées originales et de réflexions philosophiques passionnantes.

« Memento moti », anthologie annuelle du festival des Imaginales d’Épinal, questionne cette fois notre rapport à la mort et interroge ses limites que la science-fiction permet bien souvent de repousser. Si tous les textes ne se valent pas, certaines nouvelles valent incontestablement le coup d’oeil, qu’il s’agisse de la désopilante « Une magnifique et soudaine histoire d’amour » (Christopher Bouix), de l’émouvante « Pour se rappeler Mirigor » (Lionel Davoust), de l’effrayante « Nec Romance » (Julia Richard), ou encore de la philosophique « Le trépasseur, le tlot et la grenade » (Alain Damasio).

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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