Science-Fiction

Chaos, tome 1 : Ceux qui n’oublient pas

Titre : Ceux qui n’oublient pas
Cycle/Série : Chaos, tome 1
Auteur : Clément Bouhélier
Éditeur : Critic
Date de publication : 2016

Synopsis : Paris, gare de Lyon. Une jeune femme brise une éprouvette et libère un virus inconnu qui se nourrit de la mémoire et frappe sans distinction d’âge, de sexe ou de milieu social. Peu à peu, les infectés perdent toute capacité à penser et à agir. Malgré les mesures gouvernementales, l’épidémie se répand dans le pays, et même au-delà. Bientôt, le monde se peuple de « zombies », coquilles vides, errantes, répétant le même geste à l’infini. Au milieu des décombres survivent quelques miraculés, des immunisés. Parmi eux, Chloé, Phil’, Claudy et Arthur. Ils n’ont rien en commun et ne se connaissent pas. Pourtant, une voix mystérieuse leur souffle de se rencontrer. Dans cette France en proie au chaos, ils doivent découvrir qui a déclenché la pandémie et, surtout, mettre fin à son œuvre de destruction.

Apocalypse pandémique

Désormais bien installé dans le paysage de l’imaginaire littéraire français, Clément Bouhélier est parvenu à séduire un large lectorat grâce à sa série « Olangar », des romans rafraîchissant mêlant habilement des éléments de fantasy classique à la Tolkien à des questionnements politiques plus proches de Marx. Il ne s’agit toutefois pas de la première incursion dans l’imaginaire de l’auteur puisqu’il a également signé le roman fantastique « Passé déterré » ainsi qu’un diptyque de science-fiction, « Chaos ». Tout commence par une femme attendant paisiblement sur un quai de gare. Soudain, elle lâche une fiole qui se brise sans faire plus de dégâts apparents. Sauf que, ce faisant, elle a libéré une multitudes de petits parasites qui ne tardent pas à se répandre dans tout Paris, puis toute la France et enfin au-delà. Dans un premier temps, la propagation du virus reste silencieuse et invisible, si ce n’est ce mal de crâne lancinant qui atteint un nombre croissant de personnes mais sans causer autre chose que de l’inconfort. Et puis… Et puis la deuxième phase de contamination entre en scène, celle au cours de laquelle les porteurs du virus se mettent à perdre leur mémoire, pour finalement devenir de véritables légumes, parfois en l’espace de quelques heures seulement. C’est dans ce contexte pour le moins anxiogène que l’on fait la rencontre d’une poignée de personnages dont la particularité réside dans leur inexplicable immunité au virus. Parmi eux figure Arthur, trentenaire, assistant de plusieurs hommes politiques et à la vie sentimentale compliquée, mais aussi Chloé, jeune femme très peu sûre d’elle exerçant dans le milieu du porno, un job difficile dans lequel elle ne s’épanouit pas et se retrouve confrontée à la violence de certains collègues. On croise également la route de Claudy, ancien banquier désormais retraité très affecté par la solitude, ainsi que de Phil, un lycéen issu d’une famille aisée et dont le plus proche camarade est touché par le virus de manière fulgurante. Eux ne se connaissent pas, pourtant une entité mystérieuse va tout faire pour les rassembler en leur envoyant des messages subliminaux tandis qu’une créature n’ayant que l’apparence de l’humanité se lance à leur trousse.

Un souci de réalisme remarquable

Le roman est long, dense et intéressant malgré un certain nombre de maladresses qui viennent tempérer l’enthousiasme initial. L’idée d’une fin du monde causée par un virus incontrôlable entraînant des contaminations à l’échelle mondiale nous paraît certes aujourd’hui tristement banale, mais l’auteur prend le soin d’imaginer une apocalypse cohérente et décrit par le menu le basculement qui s’opère à mesure que le danger est identifié. Le roman consacre de longs chapitres à décrire la propagation silencieuse de la maladie dans le quotidien de quantité de personnes, autant de figurants qui donnent corps à cet univers et qui renforcent le caractère anxiogène du récit puisque personne, quelque soit son âge, son genre, son appartenance sociale ou sa nationalité ne semble épargné. Clément Bouhélier alterne ainsi entre l’histoire de ses protagonistes et celles de dizaines d’inconnu.es, qu’il s’agisse d’une femme adultère, d’un journaliste régional, d’une mère et sa fille ou d’un vigile dans une galerie commerciale. L’auteur accorde également beaucoup d’importance à la façon dont la population et les autorités prennent progressivement conscience de la menace, ainsi que la façon dont réagit le système hospitalier ou encore dont les médias traitent le sujet. Il en résulte une histoire particulièrement réaliste, au point parfois de mettre le lecteur mal à l’aise tant les réactions de la classe politiques, des personnels de santé ou des médias paraît crédible. Cette volonté de rendre l’apocalypse décrite ici la plus concrète possible est un atout indéniable pour le roman mais il finit malheureusement par lui porter préjudice en ralentissant considérablement l’intrigue. En effet, s’il est intéressant d’assister au basculement éclair de notre société dans le chaos le plus total, on ne peut s’empêcher de s’impatienter de voir les personnages mettre autant de temps à rassembler toutes les pièces du puzzle, et ce d’autant plus que la situation nous est, à nous lecteur, clairement explicitée. On sait ce qu’est le virus, on sait les effets qu’il produit, si bien qu’on est rapidement tenté de voir le récit passer à la suite. Or, lorsque cela se produit enfin, le scénario imaginé s’accélère (trop) brusquement, faisant passer la population du déni à la panique, puis à la plus grande sauvagerie en l’espace d’une poignée de jours seulement.

Quelques maladresses

Parallèlement à cette représentation pour le moins réaliste de la propagation d’un virus nocif dans l’ensemble du pays, l’auteur tisse discrètement une autre intrigue faisant intervenir cette fois des forces clairement surnaturelles. C’est le cas de la femme responsable de l’apparition de la maladie que l’on va suivre à plusieurs reprises et dont on comprend à demi-mot qu’elle n’a rien d’une mortelle ordinaire et qu’elle répond à une entité supérieure. C’est le cas aussi de ce mystérieux inconnu qui communique télépathiquement avec les quatre protagonistes et qui les incite à se regrouper pour sauver l’humanité. Or cet aspect de l’intrigue m’a parue très bancal et m’a refroidie au point de ne pas m’inciter à poursuivre avec le deuxième tome dans lequel il est clair que ces entités mystérieuses seront amenées à jouer un grand rôle. Au nombre des maladresses qui ont légèrement douché mon enthousiasme figure également le traitement des personnages féminins (heureusement l’auteur semble avoir parcouru beaucoup de chemin depuis puisque je n’ai pas du tout eu ce sentiment dans « Passé déterré » ni dans « Olangar »). Outre le fait qu’elles sont relativement moins nombreuses, les femmes mises en scène ici sont constamment hyper sexualisées, leur physique (toujours parfait) faisant l’objet de multiples descriptions dont ne bénéficient étrangement pas les personnages masculins. Les scènes de sexe, réelles ou simulées, sont quant à elles très gênantes et n’apportent pas grand-chose à l’intrigue. Enfin, on peut regretter que les deux seuls personnages féminins véritablement mis en avant paraissent issues du même moule : jolies mais instables et terriblement vulnérables. Les hommes, eux, sont mieux développés mais pas toujours très sympathiques, à l’exception notable de Claudy dont j’ai trouvé la détresse touchante.

« Ceux qui n’oublient pas » est le premier roman de Clément Bouhélier et le premier tome d’un diptyque décrivant la propagation mondiale d’un virus changeant les individus qu’il infecte en coquilles vides n’ayant plus aucun souvenir. L’auteur tente de donner à son apocalypse l’apparence du réel, et cela fonctionne à merveille au point d’en devenir parfois légèrement anxiogène. Le roman souffre aussi de certaines maladresses, qu’il s’agisse de l’intrusion du surnaturel dans le récit, d’une certaine lenteur ou du traitement des personnages féminins, autant d’aspects qui n’invitent malheureusement pas à poursuivre avec la lecture du deuxième tome.

Voir aussi : Tome 2

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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