Fantasy

L’empire s’effondre, tome 2 : Toucher la peau du ciel

Titre : Toucher la peau du ciel
Cycle/Série : L’empire s’effondre, tome 2
Auteur/Autrice : Sébastien Coville
Éditeur : Anne Carrière / Folio SF
Date de publication : 2022 / 2023

Synopsis : Le Triumvirat est le pouvoir nouvellement investi dans la capitale, mais la rébellion s’organise dans les provinces. Et partout, on s’interroge : jusqu’où ira la guerre ? Tandis que la pègre étend son emprise et que la Foi se révèle, le destin des femmes et des hommes de Seth est plus incertain que jamais. Rien n’échappe aux engrenages implacables du cercle- monde. Telle est la tragédie d’un État à l’agonie. L’Empire s’effondre… Il est désormais en ruine. Quel monstre s’apprête à sortir de ses entrailles fumantes ? En ces temps de clair-obscur, les frontières s’effacent ; la raison et la justice, la victoire et la défaite, tout perd son sens. Rien n’est joué, les combats continuent. Et au milieu de ce chaos, tous veulent toucher la peau du ciel.

Un empire rongé par la guerre civile

En 2021, Sébastien Coville faisait son entrée sur la scène des littératures de l’imaginaire françaises avec le premier tome d’une trilogie, « L’empire s’effondre ». Bien que prometteur, ce dernier m’avait laissée un sentiment plutôt mitigé, notamment en raison de la façon caricaturale dont étaient représentées les classes les plus populaires de l’empire, mais aussi à cause de la présence de nombreuses scènes de violence gratuite qui m’avait mise mal à l’aise. Si ces deux défauts n’ont pas tout à fait disparu, ils ont malgré tout été en partie gommés dans ce deuxième tome qui se révèle bien meilleur que le premier. On y retrouve l’empire de Seth, un territoire jusqu’à présent maintenu sous le contrôle stricte d’une poignée de souverains ainsi que d’un dogme religieux imposant une hiérarchie sociale extrêmement rigide. Les habitants de l’empire sont ainsi divisés en castes (Loi, Technique, Foi, Diplomatie, Commerce…) et ne doivent avoir aucun rapport avec des individus en dehors de leur groupe. Les plus pauvres, eux, viennent grossir les rangs des « damnés », ces personnes n’appartenant à aucune caste et ne pouvant par conséquent ni travailler ni vivre décemment. Toute cette organisation sociale a cependant été ébranlée, voire totalement remise en question, suite aux troubles ayant éclaté dans l’empire après le soulèvement de trois des souverains : celui de la Guerre d’abord, puis ceux de la Technique. C’est le début d’une véritable guerre civile opposant plusieurs camps ayant chacun une conception très différente des réformes à mener pour insuffler un nouvel élan à l’empire. C’est dans ces circonstances que l’on va faire la connaissance de nombreux personnages appartenant à l’un ou l’autre de ces camps. [A ce stade de la critique des spoilers sont inévitables aussi j’invite les lecteurs n’ayant pas encore lu le premier tome à passer directement au passage suivant.] Parmi eux, on retrouve ici l’ingénieur Alfred, bouleversé après sa fuite de la capitale et surtout son bref passage dans la vallée des dieux auxquels il ne croyait jusqu’ici pas du tout. On retrouve aussi l’inflexible prince de la loi qui a bien du mal à maintenir le calme dans la capitale où la pègre trame de sordides complot, de même que la capitaine Astrée et un autre membre de l’état major du prince de la guerre rebelle, ou encore une espionne envoyée aux côtés d’agent de l’Inquisition dans une mission périlleuse. Autour de ces protagonistes, on trouve une galerie sacrément étoffée de personnages secondaires intéressants mais dont on découvre le point de vue de façon plus parcellaire.

Une intrigue qui prend de l’ampleur

L’intrigue du premier tome était alléchante et posait les premiers jalons d’une histoire complexe et ambitieuse, tout en ne parvenant pas à maintenir constamment en éveil l’intérêt du lecteur. C’est l’inverse avec ce deuxième volume qui se révèle au contraire captivant d’un bout à l’autre, avec seulement quelques petits passages un peu plus creux. Sébastien Coville déploie ici une intrigue très dense tout en parvenant à ne pas perdre son lecteur et à lui faire saisir l’ensemble des enjeux dont il est question dans cette guerre civile. Et ces derniers sont nombreux ! Car, non seulement le conflit n’oppose pas uniquement deux factions rivales mais plusieurs camps aux partisans et aux objectifs très différents, mais en plus certains événements vont régulièrement rebattre les cartes et totalement chambouler les jeux d’alliances entre ces différents partis. C’est passionnant à lire et remarquablement bien construit, si bien que l’on suit avec la même curiosité les efforts déployés par la caste des Techniciens pour se défendre et tenter de poser les bases d’un nouveau contrat social au sein d’un empire débarrassée du joug de la religion, que les remous qui agitent aussi bien les bas fonds que les palais de la capitale, ou bien que les divisions qui secouent l’état major du prince de la guerre dissident. A ce paysage déjà bien complexe vient s’ajouter une intrigue parallèle évoquée, comme dans le tome précédent, seulement dans le dernier chapitre du roman mais qui permet d’avoir un point de vue extérieur à l’empire. L’ambiance y est radicalement différente puisqu’elle emprunte à la fois aux romans maritimes mais aussi aux récits d’exploration, et, bien que trop courts à mon goût, ces passages sont, on le devine, voués à jouer un rôle déterminant dans la suite du récit. En ce qui concerne l’univers, on reste sur une ambiance fin XIXe, marquée à la fois par la remise en cause du rôle de la religion dans la société mais aussi et surtout par la réalisation de grands progrès techniques associés à l’ère industrielle, qu’il s’agisse de la naissance des premières machines à vapeur ou de celle de la photographie, du chemin de fer, du téléphone, et même de l’aviation. Le choix de mettre en scène plusieurs représentants de la caste des Techniciens n’est évidemment pas anodin et permet de suivre les innovations proposées de technologies encore balbutiantes, notamment dans le domaine de l’armement.

Moins de violence gratuite, plus de nuances

L’ambiance est quant à elle légèrement différente de celle du premier tome, plus grave peut être, mais paradoxalement moins oppressante. Dans « L’empire s’effondre », l’auteur mettait en effet en scène une révolte particulièrement violente des damnés de la capitale, multipliant les descriptions sordides, notamment de scènes de viol. Cet aspect est bien moins présent dans le deuxième tome qui fait surtout la part belle à des affrontements guerriers classiques, sans doute plus sanglants mais pourtant moins dérangeants. On ne retrouve cette espèce de voyeurisme malsain que dans une scène au début de l’ouvrage et, là encore, le passage n’est pas sans susciter un vrai malaise. Concernant la vision de la couche la plus pauvre de la population, l’auteur se révèle là aussi moins caricatural que dans le premier tome qui présentait les damnés comme de véritables bêtes incapables de faire preuve de la moindre intelligence et mus uniquement par de bas instincts. Le regard porté sur cette « non caste » reste toujours misérabiliste et paternaliste mais au moins l’auteur les met-il un peu plus en scène, les sortant ainsi du sempiternel rôle de figurants passifs. La réaction de dégoût de certains personnages à leur encontre est quant à lui révélateur du poids que les interdits religieux font peser sur la société ainsi que de la façon dont ils ont profondément structuré la pensée de ses habitants. La grande majorité des personnages se révèle en tout cas convaincante, qu’il s’agisse des figures de premiers plans aussi bien que des seconds couteaux, et ce quelque soit la faction à laquelle ils appartiennent. L’auteur met en scène une grande variété de profils, militaire aussi bien que noble, espionne, criminelle, membre de l’Inquisition ou bien chercheur. Les femmes sont bien représentées, et ce à tous les niveaux, puisque la société dépeinte possède la particularité de ne pas faire de distinction entre les sexes, les femmes occupant des postes dans l’armée, l’inquisition, les rangs de la Foi, les ateliers ou encore les usines au même titre que les hommes.

Avec « Toucher la peau du ciel », Sébastien Coville signe un deuxième tome nettement supérieur au premier et nous offre un roman de fantasy ambitieux et captivant. Doté d’une intrigue astucieusement construite et agréablement complexe, l’ouvrage est également porté par une multitude de personnages tous très bien caractérisés et appartenant à tous les camps en présence dans le conflit, ce qui permet d’avoir une vue d’ensemble de ce dernier. Beaucoup de questions restent encore en suspens, aussi ai-je hâte de découvrir ce que nous réserve le dernier volet de la trilogie, « Nulle âme ne désespère en vain » qui est paru cet été aux éditions Anne Carrière et qui devrait par conséquent paraître en poche l’an prochain.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 3

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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