Récit contemporain

Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ?

Titre : Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ?
Auteur : Marguerite Imbert
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2021

Synopsis : Le 9 avril 2018, un escadron de gendarmes mobiles, une pelleteuse et un huissier de justice s’avancent sur la ferme des Cent Noms de Notre-Dame des Landes. Hazel, Dorian et leur petit garçon s’y sont installés huit mois auparavant, certains d’y avoir trouvé leur lieu de vie, une communauté de gens voulant bâtir le monde de demain, au plus près de la nature et loin d’une agitation urbaine mortifère. Parmi les gendarmes, Bastien, 22 ans, un garçon solitaire qui a enduré les pires épreuves d’une formation de commando et qui revient à peine d’Afghanistan. Deux visions de notre monde en crise se font face. Inconciliables et intègres à la fois. Mais qui finissent par se rejoindre, résonnant de la même peur d’un futur sans avenir.

Le gendarme, lui, la regardait en silence. Elle prit soudain la mesure de son infantilisation. Hazel repartit en rougissant et avec un douloureux sentiment d’hypocrisie. Elle avait dit Bonjour monsieur, merci monsieur. Sagement, avec effroi. Et maintenant elle allait rejoindre les lanceurs de briques. Il n’est pas facile de dissocier la lutte des visages qui l’incarnent. La plupart des gens considèrent leurs adversaires comme une race de second plan, tandis que les autres sont paralysés par l’empathie. Hazel aurait aimé savoir choisir son camp.

Plongée dans l’utopie zadiste

Le Grand Prix de l’Imaginaire remis comme tous les ans à l’occasion du Festival des Étonnants Voyageurs a primé cette année une jeune autrice, Marguerite Imbert, pour son deuxième roman : « Les flibustiers de la mer chimique ». Ayant été particulièrement séduite par cet ouvrage post-apo déjanté et plein de punch, j’ai récemment eu envie de découvrir le tout premier texte de l’autrice, un roman de littérature blanche paru en 2021 et consacré à la ZAD de Notre-Dame des Landes. L’action se déroule en 2018 et s’inspire d’événements qui ont effectivement eu lieu au printemps de cette même année, à savoir de nombreuses expulsions menées par les gendarmes, notamment celle de la ferme des Cent Noms. C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de trois protagonistes. Deux d’entre eux, Hazel et Dorian, forment un couple qui a élu domicile sur la ZAD il y a plusieurs mois avec leur petit garçon afin de se soustraire à un mode de vie qu’ils jugent mortifères. Le troisième, Bastien, est un très jeune gendarme, discret et solitaire, déployé sur place pour organiser les expulsions. Au fur et à mesure des chapitres, Marguerite Imbert retrace le parcours de ces trois personnages tous aussi attachants les uns que les autres. Avec Hazel et Dorian, l’autrice nous fait découvrir l’envers de la ZAD, loin des clichés véhiculés par les médias, mais sans pour autant chercher à en donner une image idyllique. Avec Bastien, c’est le monde de l’armée que l’on découvre, avec son cadre strict, voir même souvent violent, mais grâce auquel certains trouvent visiblement un certain apaisement. C’est le cas du personnage qui présente lui aussi l’institution sans tenter de cacher ses failles, tout en lui vouant une fidélité et une admiration sans bornes. Tous vont évidemment réagir de façon totalement différentes aux événements de Notre-Dame des Landes. Bien que dans un premier temps non hostile aux habitants de la ZAD, le jeune homme va souffrir de se voir lui et ses collègues être traités aussi violemment. Dorian quant à lui se met à questionner la pertinence de leur choix de l’installer dans la ZAD et prend conscience des contradictions qui la traverse. Hazel, elle, brûle de colère et décide de se joindre à un groupe de black-bloc venus participer à la lutte et empêcher les expulsions.

Je hais Paris comme personne vivante, comme je hais Laurent. J’ai peur qu’on me force à y retourner. J’ai peur qu’on nous déloge et qu’on nous ramène dans le giron de la réalité, car c’est comme ça qu’ils appellent Paris, c’est la réalité, et moi je vis dans un rêve. A quel moment l’utopie est-elle devenue péjorative ?

Un roman complexe et contrasté

L’autrice confronte ici deux mondes radicalement opposés de part leur fonctionnement et les valeurs qui les structurent. L’image qu’elle donne de la ZAD va à l’encontre des stéréotypes qui perdurent aujourd’hui encore dès lors qu’on mentionne Notre-Dame des Landes. On y découvre des habitants aux profils extrêmement variés, parfois se revendiquant d’une idéologie politique parfois non, et qui ont tous une expérience différente de la ZAD. Là, certains apprennent à bâtir eux-mêmes leur maison, d’autres se lancent dans les travaux agricoles, d’autres dans l’élevage. Le troc y est monnaie courante, et les décisions sont prises en concertation avec l’ensemble des habitants, quand bien même beaucoup de partagent pas la même sensibilité. L’autrice n’hésite pas non plus à mettre en lumière les contradictions de l’endroit et la difficulté de faire durer cette utopie en éternelle construction. Loin de la représentation horrifiante qu’en font les médias ou idyllique qu’en ont certains militants, l’autrice dresse un portrait nuancé et complexe d’une expérience collective difficile mais ambitieuse et qui tend à se multiplier sur le territoire. La vision qu’elle donne de l’armée en général, et de la gendarmerie en particulier, est du même ordre. Le personnage de Bastien ne passe pas sous silence les violences ou exactions dont il a pu être témoin, que ce soit au sein même de la caserne ou surtout en opération à l’étranger, mais on sent malgré tout l’amour qu’il porte à cette institution qui a su lui donner un cadre de vie salutaire et une rigueur qui lui manquait au quotidien. La confrontation de ces deux visions du monde est évidemment explosive, même si, là encore, l’autrice se garde bien des raccourcis faciles et tente d’exposer aussi bien la violence subie que celle exercée par les deux « camps ». La plume de Marguerite Imbert se révèle quant à elle déjà très assurée, capable de convoquer de belles images et de donner vie à des scènes d’une intensité dramatique bouleversante. On s’attache très vite à la plupart des personnages qui, eux aussi, finissent toujours par se révéler plus complexes qu’au premier abord, et c’est justement cette nuance de gris qui leur donne leur profondeur et leur humanité.

Avec « Qu’allons-nous faire des jours qui s’annoncent ? », Marguerite Imbert signe un premier roman remarquable qui revient sur les expulsions menées en 2018 par la gendarmerie sur la ZAD de Notre-Dame des Landes. Tout en nuance, le portrait qu’elle dresse de la ZAD comme de l’uniforme se révèle complexe et contrasté, ce qui lui permet d’évoquer le sujet éminemment politique du type d’organisation sociale que nous voulons avec beaucoup de recul et en évitant tous les clichés habituels. Inutile de vous dire que, compte tenu de l’enthousiasme soulevé par ses deux premier romans, je continuerai de suivre avec plaisir les prochaines publications de l’autrice.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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