Changements de plans

Titre : Changements de plans
Auteur/Autrice : Ursula Le Guin
Éditeur : Le Bélial
Date de publication : 2025 (février)
Synopsis : Aimeriez-vous rencontrer les Asonus, eux qui ont fait du silence un art véritable ? Ou le fragile peuple ailé de Gy. À moins que vous ne préfériez découvrir les mystères des Nna Mmoy, qui s’expriment dans une langue proprement insaisissable ? Ou bien encore les Frines, dont les rêves s’entremêlent… Dernier grand livre inédit d’Ursula K. Le Guin (1929-2018), immense romancière américaine (célébrée par le National Book Award, le prix PEN/Malamud, le prix Hugo à huit reprises, le prix Nebula à sept), Changements de plans est une merveilleuse invite au voyage, à l’inattendu et à la rencontre de cultures nouvelles, l’athanor emblématique et enthousiasmant d’une œuvre qui, dans le monde entier, continue d’influencer des générations d’auteurs et de lecteurs.
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Un voyage dans le voyage
Toutes les personnes ayant déjà voyagé et attendu de longues heures dans un aéroport ou une gare connaissent bien ce sentiment d’ennui et de fatigue auquel se mêle la sensation d’être un peu hors du temps. De cette expérience commune, Ursula Le Guin va tirer un principe, la méthode Sita Dulip, du nom de la femme à l’origine du premier voyage interplanaire. Ce prince est simple : l’état d’esprit dans lequel l’inconfort de l’attente dans ces lieux de passages nous plonge serait propice à l’exploration de plans différents de notre réalité. Dans « Changements de plans », Ursula Le Guin a rassemblé seize nouvelles mettant en scène le voyage d’un individu dans l’un de ces très nombreux plans qui constituent des univers à part entière. On navigue donc d’un monde à l’autre, et chaque nouveau décor nous est présenté avec un luxe de détails impressionnant et rendant compte aussi bien de l’architecture locale que de son organisation politique, de sa gastronomie, de son degré de technologie ou encore de considérations carrément anthropologiques sur le mode de vie de tel ou tel peuple. Cela fait certes longtemps maintenant qu’Ursula Le Guin est réputée et reconnue comme une faiseuse de monde hors-paire, mais là la démonstration est assez époustouflante. Chaque nouvelle compte environ une dizaine ou une vingtaine de pages maximum, mais chacune, de part son degré de précision de même que de part l’originalité de ses idées, pourrait en fait faire l’objet d’un véritable roman. L’autrice va également pousser l’exercice jusqu’à varier les registres, certains univers tenant plutôt du burlesque tandis que d’autres incitent à une réflexion politique ou philosophique sur des sujets aussi variés que la mort, la mémoire ou la langue.
Plongée dans une palette d’univers foisonnants
En fonction des goûts de chacun et chacune, toutes les nouvelles ne seront évidemment pas appréciées de la même manière. Pour ma part j’ai apprécié arpenter les rues d’Islac, ville en pleine déliquescence suite à une crise économique et écologique causée par des manipulations génétiques devenues incontrôlables (« La Bouillie d’Islac »). Mention spéciale aux mini ours mangeurs de livre ! J’ai également été fascinée par les migrations des Ansarac, un peuple qui migre d’un continent à l’autre en fonction des saisons et qui partagent de nombreux attributs physiques et comportementaux avec les oiseaux (« Les Saisons des Ansarac »). J’ai été amusée d’être conviée à participer aux festivités d’un plan très particulier dans lequel une île est consacrée aux plus grandes de nos fêtes (« Joies sans fin »). J’ai aussi été quelque peu effrayée par l’idée déployée dans « L’île des immortels » où l’autrice imagine (un peu à la façon de Nancy Kress dans « L’une rêve l’autre pas ») ce que donneraient des enfants génétiquement modifiés pour ne pas dormir. L’ouvrage est donc parfait pour les amateurs et amatrices d’univers soignés et dépaysants, dans lesquels absolument tous les aspects de notre réalité, du cycle des saisons au fonctionnement politique en passant par le langage ou la façon de concevoir la mort, sont complètement rebattus.
Un impact émotionnel limité
Si ce recueil constitue une incontestable démonstration du foisonnement de l’imagination d’Ursula Le Guin et de sa créativité, la lecture de ces nouvelles n’est toutefois pas toujours évidente. En effet, dans la mesure où chaque récit est un peu conçu comme un récit de voyage et que la démarche de la narratrice s’apparente à celle d’un touriste, ces nouvelles sont rarement structurées autour d’une véritable intrigue. De même, les personnages sont relativement absents puisqu’on ne sait rien de la narratrice qui ne révèle jamais rien de sa vie ou de sa personnalité et se contente de rendre compte de la particularité des plans visités. Les personnages rencontrés dans chacun de ces univers sont quant à eux rarement individualisés et sont souvent évoqués seulement pour illustrer une spécificité. Toutes ces nouvelles sont ainsi passionnantes d’un point de vue intellectuel et créatif, mais tout le volet émotionnel est totalement mis de côté. Difficile en effet de se sentir concerné par une histoire si elle ne comporte pas de rebondissements et si elle n’est portée par aucun personnage auquel s’identifier. Mon sentiment à la lecture de ce recueil est ainsi extrêmement mitigé, car si la fan de fantasy que je suis a adoré voyager dans tant d’univers différents et découvrir tant de nouvelles cultures, la lectrice a malgré tout été frustrée de ne pas ressentir d’implication émotionnelle et de se sentir simple touriste, destiné à rester en permanence en retrait et à n’observer les êtres qui peuplent ces mondes que par le prisme de l’étude anthropologique.
« Changements de plans » est un recueil de seize nouvelles liées entre elles par un principe imaginé par Ursula Le Guin et consistant en la possibilité pour les voyageurs en attente dans tous les aéroports du monde de voyager en esprit dans d’autres plans de réalité. Chaque récit explore ainsi l’un de ces univers qui séduisent autant par le luxe de détails fournis par l’autrice que par l’originalité de certaines de ses idées. L’implication émotionnelle, à mon sens fondamentale dans la lecture d’une œuvre de fiction, reste toutefois limitée dans la mesure où ces nouvelles ne mettent en scène que très peu de personnages en tant que tels, et où les intrigues se limitent à un simple voyage touristique.
Autres critiques : ?


3 commentaires
Tachan
Tu soulèves exactement ce sue he craignais avec l’autrice et ce format de nouvelles. J’ai envie de découvrir son fol imaginaire et ses idées, mais je crains cette absence d’attachement. J’avais eu ce souci déjà dans La main gauche de la nuit 😅
Boudicca
Oui c’est aussi ce qui me faisait peur avec l’autrice, et je suis assez contente de ne pas avoir commencé avec cet ouvrage qui, quoique impressionnant, s’apparente plus à un exercice de style. Je note donc que « La main gauche de la nuit » ne me conviendra pas non plus 😉
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