Nellie Bly – Dans l’antre de la folie
Titre : Nellie Bly – Dans l’antre de la folie
Scénariste : Virginie Ollagnier
Dessinatrice : Carole Maurel
Éditeur : Glénat
Date de publication : 2021
Synopsis : Pour mener son enquête, elle se fera passer pour folle. Nellie Bly est complètement folle. Sans cesse, elle répète vouloir retrouver ses « troncs ». Personne n’arrive à saisir le sens de ses propos, car en réalité, tout cela n’est qu’une vaste supercherie. Nellie cherche à se faire interner dans l’asile psychiatrique de Blackwell à New York dans le but d’y enquêter sur les conditions de vie de ses résidentes. Y parvenant avec une facilité déconcertante, elle découvre un univers glacial, sadique et misogyne, où ne pas parfaitement remplir le rôle assigné aux femmes leur suffit à être désignée comme aliénée. L’histoire vraie de la pionnière du journalisme d’investigation et du reportage clandestin. Un récit poignant porté par le mépris de l’injustice et des persécutions, enrobé d’un graphisme élégant.
La folie peut devenir une consolation à la réalité.
« Dix jours dans un asile »
En 1887, la journaliste Nellie Bly accepte pour le compte du New York World de se faire passer pour folle afin d’être internée incognito au Blackwell’s Island Hospital, un institut public mais géré par un administrateur privé. Abritant près de 6000 pensionnaires, l’asile est alors situé sur une petite île à proximité de New York à laquelle personne n’accède et sur lequel plane des rumeurs effrayantes concernant les conditions de vie des internées. Ce n’est pas la première fois que la jeune journaliste se livre à une enquête de terrain : on l’avait déjà vu intégrer une fabrique de conserves afin de rendre compte des difficiles conditions de travail des ouvrières, ou encore s’installer au Mexique d’où elle fut expulsée au bout de six mois pour avoir levé le voile sur le traitement réservé aux opposants politiques et aux journalistes par le gouvernement républicain. De toutes ces expériences (à laquelle s’ajoute un voyage autour du monde réalisé en 72 jours dans les pas de Phileas Fogg), elle tirera plusieurs livres, dont le célèbre « Dix jours dans un asile » qui constitue ici le cœur de l’album de Virginie Ollagnier et de Carole Maurel. L’ouvrage alterne en effet entre deux lignes temporelles : la première permet de revisiter l’ensemble de la vie et de la carrière de Nellie Bly jusqu’à la fin des années 1880 ; la seconde retrace les détails de son enquête dans l’asile de Blackwell. Et les révélations de la journaliste sont accablantes. La première surprise arrive au tout début de son reportage clandestin lorsque la jeune femme est déclarée folle et bonne à interner en un temps record par plusieurs praticiens différents, visiblement incapables de percer à jour son jeu d’actrice. Nellie Bly n’est toutefois pas au bout de ses peines car, une fois internée, elle va découvrir de l’intérieur le fonctionnement de l’institut et le sort réservé à ses malheureuses pensionnaires. Tortures, maltraitances physiques et psychologiques de la part des infirmière, agressions sexuelles, conditions d’hygiène déplorables, sous-alimentation… : les preuves réunies pendant ces dix jours par la journaliste d’investigation sont implacables.
Nelie Bly : pionnière du journalisme d’investigation
Impuissante, Nellie Bly assiste à la descente aux Enfers de ses compagnes, des femmes que leurs proches ont demandé à faire interner pour des raisons n’ayant la plupart du temps aucun rapport avec leur santé mentale mais tenant à des considérations financières (une bouche de moins à nourrir) ou à une volonté de brider ou punir un esprit trop libre. La plupart des pensionnaires sont donc tout à fait saines d’esprit en arrivant à Blackwell mais, et c’est là tout l’horreur de la situation, la plupart finissent par sombrer dans la folie pour échapper à l’horreur de leur nouveau quotidien. Certes, certaines s’en sortent mieux que d’autres et, parce que plus dociles et calmes, se trouvent transférer dans le Hall 7, zone dans laquelle les conditions de vie s’améliorent quelque peu, mais beaucoup rejoignent le rang de « la Retraite » ou de la « Loge » où elles seront maltraitées, voire torturées, parfois jusqu’à la mort. L’album repose sur une solide documentation qui nous permet, en peu de pages, de rendre compte de l’horreur des conditions de vie des pensionnaires de l’institut Blackwell et de la qualité du travail d’investigation réalisé par Nellie Bly. Bien ficelé, le scénario de Virginie Ollagnier permet de revenir sur les principales révélations de la journaliste mais aussi de donner un visage et une histoire à ces aliénées d’ordinaire invisibilisées. Difficile de ne pas s’émouvoir du sort réservé aux pensionnaires de l’asile ni d’éprouver une saine colère face au traitement réservé à l’ensemble des femmes de l’époque, considérées comme d’inutiles bouches à nourrir et sans arrêt renvoyées à leur genre et aux limites auxquelles il est censé les contraindre. Les épisodes de la jeunesse et du début de carrière de Nellie Bly qui s’intercalent entre les différentes scènes consacrées à l’asile insistent elles aussi sur cette injustice dont la journaliste a souvent été victime, y compris de la part de ses confrères ou des rédacteurs des journaux pour lesquels elle a pu travailler.
Pour passer pour folle, il suffisait de résister à l’autorité, de se mettre en colère ou, comme Tillie Mayard, ne rien faire de tout cela. Alors, pour démontrer leur santé mentale, la plupart des femmes obéissaient, elles obéissaient à des ordres révoltants qui, petit à petit, accentuaient leur détresse.
« Quelle chose mystérieuse que la folie »
Après avoir fait le récit de ces dix jours éprouvants passés à Blackwell, la bande dessinée entend également évoquer les conséquences des révélations de la journaliste dans la presse américaine, mettant ainsi en lumière une problématique que nous connaissons bien aujourd’hui encore et qui, déjà en 1880 (et même en 1840 selon le témoignage de Dickens), se trouve à la source de la gestion catastrophique de l’institut : la mutualisation des dépenses et la privatisation des bénéfices (coucou ORPEA !) Cet aspect là est parfaitement évoqué lors du procès qui eut lieu suite à la parution du travail de Nellie Bly et permet de donner une dimension politique à son action. Outre la qualité du scénario, on peut également saluer celle des graphismes de Carole Maurel. La dessinatrice possède un trait agréable, qu’il s’agisse de représenter des décors propres à cette fin de XIXe siècle, ou de donner vie à des visages particulièrement expressifs qui viennent renforcer l’émotion du lecteur. Le parti pris de faire basculer légèrement le récit dans le fantastique dès lors que Nellie Bly arrive à Blackwell est également très intéressant, certaines scènes se parant à l’arrière plan de créatures sombres et tentaculaires à la Lovecraft ou d’ombres et de fantômes dignes d’une nouvelle de Poe ou de Maupassant. Cette petite touche fantastique participe à créer une atmosphère lourde et oppressante, tout en matérialisant efficacement le désespoir dans lequel sombrent certaines des pensionnaires. L’artiste intègre aussi de courts mais magnifiques moments de grâce (généralement une chanson chantée par l’une des compagnes d’infortune de l’héroïne) qui viennent rompre avec les couleurs sombres et plombantes servant à décrire le quotidien de l’institut et qui font figure de véritables respirations pleines de couleurs au cours desquelles les prisonnières retrouvent un semblant de joie et de vie.
« Nellie Bly – Dans l’antre de la folie » est une bande dessinée très réussie qui rend hommage à l’une des premières journalistes d’investigation et met en lumière l’une de ses enquêtes les plus célèbres, celle consacrée à l’asile de Blackwell. Éprouvante en raison de la détresse communicative des internées que l’album met en exergue, la lecture n’en demeure pas moins captivante, d’autant que le scénario de Virginie Ollagnier permet en parallèle d’avoir un aperçu du parcours peu commun de cette femme décidément inspirante. La petite touche fantastique introduite par la dessinatrice Carole Maurel est également bienvenue et ajoute à l’émotion déjà très forte éprouvée à la lecture de ces conditions de vie atroces. Une bande dessinée instructive donc, et qui peut être lu aussi bien par un lectorat adulte qu’un public plus jeune à qui on souhaiterait faire découvrir cette figure historique encore trop méconnue.
Autres critiques : ?
4 commentaires
Baroona
Une bonne BD en effet. J’avais particulièrement apprécié qu’elle ne soit ni froide ni scolaire, ce qui arrive bien trop souvent avec les récits biographiques. Là c’est bien intégré et plaisant à lire, malgré le thème.
Boudicca
Tout à fait 🙂
Ma Lecturothèque
Je suis curieuse de découvrir cette BD car j’en lis de bons retours et parce que j’ai lu le livre de Bly et que j’avais beaucoup aimé (bon, c’était super révoltant mais aussi et surtout très intéressant).
Boudicca
Je n’avais pas lu son livre mais du coup ça m’a donnée très envie de me le procurer.