Science-Fiction

Rendez-vous demain

Titre : Rendez-vous demain
Auteur : Christopher Priest
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2022 (mars)

Synopsis : À la fin du XIXe siècle, le professeur Adler Beck étudie les glaciers et les changements climatiques liés à l’éruption des volcans, aux courants marins et aux cycles solaires. Après des années de recherche, il arrive à la conclusion que la planète subira un refroidissement majeur dans le courant du XXIe siècle. Pourtant, en 2050, le climat ne cesse de se réchauffer et la montée des eaux semble inéluctable. C’est en tout cas ce que constate au quotidien Chad Ramsey, qui vient d’être évincé de son poste de profileur pour la police. Juste avant son licenciement, on lui a implanté dans le crâne un moyen de communication révolutionnaire. Il va s’en servir pour aider son jumeau, Gregory, qui cherche à en savoir plus sur un grand-oncle qui aurait fait de la prison il y a bien longtemps. Cet ancêtre serait-il Adolf Beck, le frère jumeau d’Adler, qui aurait connu un certain succès sur les scènes d’opéra d’Amérique du Sud ? À moins qu’il ne s’agisse d’un dénommé John Smith, condamné à cinq ans de travaux forcés pour escroquerie en 1877 ? La vérité pourrait bien remettre en question les certitudes de Chad.

Priest fait du Priest

Dernier roman en date de Christopher Priest, « Rendez-vous demain » reprend la plupart des thématiques et des procédés narratifs chers à l’auteur du « Prestige ». L’ouvrage met ainsi en scène plusieurs périodes historiques dans lesquelles évoluent plusieurs paires de jumeaux. Une partie de l’intrigue met ainsi en scène un glaciologue de la fin du XIXe siècle, Adler Beck, dont les recherches l’amènent à se pencher sur la question de l’évolution du climat au court du prochain siècle. Or, après des années d’observations des éruptions volcaniques, des courants marins et des cycles solaires, le scientifique entrevoit un futur bien sombre pour l’humanité et anticipe un refroidissement majeur qui pourrait bien mettre en péril la survie de l’humanité. Ce chercheur a un jumeau, Adolf, ténor parti faire carrière en Amérique du Sud et qui correspond régulièrement avec son frère, soit pour solliciter une aide financière, soit pour évoquer avec lui la question de leurs « apparitions ». En effet, tous deux sont victimes des mêmes « attaques », des moments effrayants au cours desquels une voix venue de nul part s’adresse à eux de façon impérieuse, provoquant une paralysie totale et une angoisse difficile à dissiper. A cela s’ajoute toute une série de scandales judiciaires auxquels Adolf se retrouve mêlé, bien qu’il ne cesse de clamer son innocence. Ces chapitres se déroulant à la fin du XIXe alternent avec d’autres dont l’action se déroule cette fois en 2050. Les protagonistes y sont à nouveau des jumeaux, l’un journaliste de terrain, l’autre profileur pour la police. Le monde dépeint par l’auteur dans ce futur proche semble en tout cas totalement en décalage avec les prévisions du glaciologue Beck puisque le monde subi de plein fouet les effets du réchauffement climatique. Le lien entre ces deux trames ? Les jumeaux de 2050 sont les descendants d’Adler Beck, et, pour des raisons tant professionnelles que personnelles, ils vont enquêter sur le passé sulfureux de leur grand-oncle.

Une intrigue décevante

On retrouve ici tous les éléments qui constituent désormais la marque de fabrique de Christopher Priest. Gémellité, usurpations d’identité, futur alternatif… : les thématiques sont les mêmes que dans « Le Prestige », « La séparation » ou encore « L’adjacent », et cela pourra provoquer une certaine lassitude chez les lecteurs connaisseurs de la bibliographie de l’auteur. Outre son aspect répétitif, l’intrigue se révèle dans l’ensemble décevante tant les liens entre les deux périodes évoquées semblent artificiels ou anodins. Le mystère mis en scène au XIXe concernant la culpabilité ou non d’Adolf Beck dans les affaires d’escroqueries qu’on lui a mis sur le dos est finalement tout à fait commun et sans véritable lien avec le reste de l’histoire. De même, les éléments fournis pour expliquer la différence entre les prédictions d’Adler et le quotidien des protagonistes de 2050 ne donnent pas lieu à de grandes révélations ou à un quelconque bouleversement d’ampleur. Et c’est là que ce situe à mon sens le nœud du problème dans ce roman : on passe une bonne partie de la lecture à attendre LE retournement de situation, celui qui nous fera réaliser que les anecdotes à priori sans intérêt relatées jusqu’à présent sont en réalité capitales et que toute l’intrigue doit désormais être réanalysée selon un logiciel totalement différent… seulement ce moment n’arrive jamais. L’auteur conclut ces deux trames narratives en fournissant des explications logiques et satisfaisantes à chacune de ses intrigues, mais sans chercher à les lier ou les complexifier davantage. On comprend rapidement d’où provient la voix qui hante régulièrement les deux Beck du XIXe, aussi non seulement son origine ne provoque-t-elle aucune surprise au moment de sa révélation, mais en plus son influence sur la vie des frères se révélera, en dépit de la forte attente du lecteur, totalement marginale. Le seul aspect véritablement intéressant du roman concerne en fait le cadre de l’anticipation proche évoquée par Christopher Priest et qui met le problème du réchauffement climatique au cœur de l’histoire.

Un décor futuriste malaisant

En dépit de notre proximité chronologique avec les jumeaux vivant en 2050, on a bien du mal à reconnaître le monde tel que dépeint ici. Instabilité politique chronique, tempêtes d’une rare violence, invasions d’insectes porteurs de maladies mortelles, montée inéluctable des eaux… : le futur imaginé par Priest a tout du scénario catastrophe mais anticipe en réalité en grande partie ce qui nous attend à plus ou moins long terme. La question de la montée des eaux, notamment, est centrale puisque l’un des deux frères vit en Écosse dont le littoral a été totalement transformé ces dernières décennies. Le malaise qui saisit le lecteur vient également du fait que les troubles graves dépeints (montée de l’insécurité, exodes massifs, catastrophes naturelles de grande ampleur…) concernent cette fois directement l’Europe, et non pas les continents qui sont d’ores et déjà touchés par ces phénomènes et dont l’éloignement suscite l’indifférence. L’action se concentre ainsi sur le Nord de l’Europe, nous entraînant de l’Écosse à la Britanie (le Royaume Uni réduis à l’Angleterre et au Pays-de-Galle), sans oublier la Norvège, le reste du continent étant de toute évidence presque perdu, tant à cause de la montée des températures que de l’impossibilité désormais manifeste des gouvernements à y maintenir l’ordre. Les bouleversements que ce réchauffement climatique a engendré sur le mode de vie des habitants est sans doute ce qui frappera le plus le lecteur, Priest évoquant aussi bien les nécessaires transformations des habitations que les nouvelles pratiques en terme de mobilité ou encore d’alimentation. En dépit de la gravité de la situation mise en scène, l’auteur parvient à donner à ce futur alternatif une cohérence et à le rendre plausible, ce qui suscite tour à tour fascination ou malaise chez le lecteur. Cet aspect mis à part, le reste du roman se révèle malheureusement trop morne et prévisible pour captiver durablement l’attention du lecteur.

Avec « Rendez-vous demain », Christopher Priest renoue avec toutes les thématiques qui caractérisent la plupart de ses œuvres, ce qui limite quelque peu l’effet de surprise. Si le cadre futuriste centré sur le réchauffement climatique dans lequel se déroule l’intrigue est intéressant, l’intrigue souffre d’un manque criant de rebondissements et provoque la frustration du lecteur dès lors qu’il apparaît que le retournement de situation tant attendu n’arrivera jamais. Petite déception, donc, pour un auteur dont j’apprécie pourtant d’ordinaire les ouvrages.

Autres critiques : Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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