Fantasy

Derniers jours d’un monde oublié

Titre : Derniers jours d’un monde oublié
Auteur : Chris Vuklisevic
Éditeur : Folio SF
Date de publication : 2021

Synopsis : Plus de trois siècles après la Grande Nuit, Sheltel, l’île du centre du monde, se croit seule rescapée de la catastrophe. Mais un jour, la Main, sorcière chargée de donner la vie et de la reprendre, aperçoit un navire à l’horizon. Il est commandé par une pirate impitoyable, bien surprise de trouver une île au milieu du Désert Mouillé. Si la Main voit en ces étrangers une menace pour ses secrets, Arthur Pozar, commerçant sans scrupules, considère les intrus comme des clients potentiels, susceptibles d’augmenter encore, si possible, son immense fortune. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Qu’elle les mène à la gloire ou à la ruine, la sorcière, la pirate et le vieux marchand en seront les instigateurs, bien malgré eux.

Une sorcière, un vieux marchand et une pirate

En 2020, la collection Folio SF de Gallimard fêtait ses vingt ans et organisait un concours d’écriture au terme duquel elle proposait de publier le roman du lauréat. Cette lauréate, c’est Chris Vuklisevic dont « Derniers jours d’un monde oublié » est donc le premier ouvrage. Le roman met en scène une île esseulée, Sheltel, persuadée d’être le seul endroit épargné après la Grande Nuit, une catastrophe à propos de laquelle on ne sait presque rien mais qui a des allures d’apocalypse. Trois siècles plus tard, la petite vie tranquille des habitants de l’île se voit bouleverser par une nouvelle incroyable : un navire mouille au large des côtes, preuve irréfutable qu’un monde existerait bien encore au-delà de ce territoire étriqué. Un monde dangereux pour certains, car il risquerait de remettre en cause les traditions séculaires de l’île, mais un monde plein de possibilités, notamment commerciales, pour d’autres. Trois personnages occupent le cœur du récit. La première est une femme qui occupe l’une des fonctions les plus prestigieuses et que l’on associe à une sorcière. Appelée la « Main » et appuyée par cinq assistants qui constituent ses doigts, elle est chargée de contrôler les naissances et les morts sur l’île grâce à son terrifiant pouvoir, la balance devant être parfaitement équilibré afin d’assurer la pérennité de Sheltel. L’autre est un vieux marchand, à la fois ravi à la perspective de l’ouverture de nouveaux marchés mais aussi profondément inquiet que les innovations techniques de ces étrangers ne soient d’une qualité supérieure à celles qu’il a conçu et ne viennent ainsi menacer son monopole. Enfin, on va suivre le parcours d’une jeune femme appartenant à l’équipage du navire mouillant au large et qui fait le choix de déserter pour échapper à l’emprise de la capitaine, responsable de la disparition de ses parents et qui n’hésite pas à l’utiliser pour distraire l’équipage en lui faisant affronter les matelots lors de combats sanglants. La sorcière. Le vieux marchand. La pirate. Le roman alterne entre les points de vue de ces trois personnages qui permettent chacun de mieux comprendre le fonctionnement de l’île et qui vont tous jouer un rôle dans son effondrement.

Un univers rude et difficile à cerner

Car c’est à la disparition d’un monde que nous convie Chris Vuklisevic, près de trois siècles après la fameuse catastrophe ayant coupé l’île du reste du monde. L’action se déroule dans un temps très court, une dizaine de jours, et met en scène l’effondrement rapide des principales institutions de Sheltel et de sa classe dirigeante. Il faut dire que le monde que nous dépeint l’autrice est enserré dans un carcan religieux/magique et politique très étroit qui en font à la fois un enfer mais aussi une véritable poudrière. L’ambiance est sombre, certaines scènes se révélant même d’une cruauté qui met le lecteur mal à l’aise et ne lui donne guère envie de s’attarder dans un univers aussi barbare. La population est maintenue dans un état de quasi servitude, soumises aux règles drastiques du pouvoir en matière de restriction de l’eau, de circulation, ou encore de mise à l’écart des personnes possédant la capacité de générer du feu (emprisonnés car risquant là encore d’inquiéter le monopole commercial des feutiers, corporation spécialisée dans la pyrotechnie). La régulation des naissances y est également terrible puisque les enfants possédant la moindre malformation sont supprimés tandis que chaque famille doit choisir à la naissance d’un enfant s’il le laissera mourir ou si un membre plus âgé se sacrifiera pour lui. On a dans un premier temps bien du mal à comprendre le fonctionnement de l’île, l’autrice disséminant ses informations de façon très parcellaires. Les petits apartés qui précèdent chaque chapitre (articles de presse, annonces, publicités, documents officiels…) aident souvent à mieux cerner l’environnement dans lequel évoluent les personnages mais, dans la mesure où ils sont déconnectés du récit, cela ne facilite pas vraiment l’immersion du lecteur. Les personnages sont quant à eux distants et par conséquent difficiles à cerner dans la mesure où ils semblent peu impactés par la violence qui les entoure. Cette indifférence se révèle manifestement communicative et on suit sans ennui mais sans passion non plus l’agonie de cette île étrange dont on a déjà du mal à comprendre comment elle a pu se maintenir à flot aussi longtemps. La plume de l’autrice, elle, est agréable et fluide mais là encore trop froide.

« Derniers jours d’un monde oublié » est un roman original qui dépeint le déclin d’une île qui découvre avec stupeur qu’elle n’est pas seule au monde lors de l’arrivée d’un navire à proximité de ses côtes. L’histoire ne manque pas d’attraits mais est plombée par une froideur émanant de la narration autant que des personnages, ce qui ne permet pas une immersion ou une implication émotionnelle très profonde. On décèle toutefois chez Chris Vuklisevic un beau potentiel qui s’épanouira sans doute davantage dans son prochain roman qui paraîtra chez Denoël en mai prochain (« Du thé pour les fantômes »).

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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