La Niréide
Titre : La Niréide
Auteur : Fabien Clavel
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2022
Synopsis : Troie brûle. Les guerriers grecs, vainqueurs, reprennent leurs navires. Parmi eux se trouve le prince Niréus de Symé. Arrivé très jeune à la guerre, il en revient balafré et dégoûté par les combats. Il ne demande plus qu’à retrouver sa petite île, comme l’Ithaque d’Ulysse. Cependant, sa propre odyssée ne sera pas de tout repos. Sous l’œil des dieux olympiens, il va errer longtemps en Méditerranée, affrontant Amazones, Gorgones et Telchines, dans un périple qui l’emmènera jusqu’aux Enfers. Un subtil et savant mélange d’action et de merveilleux, de réflexion et d’émotion, d’humain et de divin… le tout conté avec un souffle épique.
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Une nouvelle épopée
Prolifique auteur de fantasy, que ce soit à destination de la jeunesse ou d’un lectorat plus adulte, Fabien Clavel est aussi un passionné d’histoire. On lui doit ainsi un grand nombre d’ouvrages mêlant allègrement les deux, du « Châtiment des flèches » prenant place dans la Hongrie médiévale à « Furor » retraçant la célèbre bataille de Teutobourg, en passant par des séries particulièrement appréciées des ados comme « L’apprentie de Merlin » ou « L’odyssée d’Hugo ». Ici, c’est dans la mythologie grecque que l’auteur a cherché l’inspiration puisqu’il est question d’un guerrier présent lors de la terrible guerre de Troie et qui entreprend le voyage de retour vers son île natale. Non, il ne s’agit pas d’Ulysse mais de Nirée, un guerrier effectivement mentionné dans l’Iliade mais de manière très anecdotique et à propos duquel l’auteur était donc libre de broder selon son imagination. Composé de trois volumes réunis en une intégrale, « La Niréide » est en fait une réédition doublée d’une réécriture de deux romans déjà parus chez Mango dans la collection Royaumes perdus (« La dernière odyssée » et « Les Gorgônautes »). On a donc affaire ici non pas à un ouvrage totalement original mais à une œuvre de jeunesse, écrite à destination de la jeunesse et légèrement remaniée par l’auteur (c’était d’ailleurs déjà plus ou moins le cas pour la dernière parution de l’auteur, « Les Héritiers », paru chez ActuSF). Le résultat est plutôt mitigé, la qualité de la réappropriation par Fabien Clavel de nombreux récits et thèmes grecs, que ce soit sur le fond ou la forme, étant amoindrie par des faiblesses à mon sens imputables à la première vocation de ces ouvrages, à savoir divertir un lectorat bien plus jeune. L’auteur admet lui-même avoir fait peu de retouches dans la postface qui accompagne l’ouvrage, et cela se sent, or un texte de cette envergure aurait mérité davantage de complexité dans la narration de même que dans la psychologie des personnages.
La mythologie grecque revisitée
Les trois tomes qui composent cette intégrale retraçant l’épopée de Niréus de Symé sont construits de la même manière et possèdent ainsi les mêmes qualités et les mêmes défauts. Chaque volume alterne entre le point de vues de plusieurs personnages, qui resteront les mêmes du début à la fin. Le premier est évidemment Niréus, guerrier hanté par les carnages de la guerre de Troie et qui désire par dessus tout retrouver son île natale. L’auteur nous propose également de suivre le parcours d’un certain Chasseur noir dont on ignore l’identité mais dont on sait qu’il aspire à se venger de Niérus pour la mort de sa famille, ainsi que de la remuante famille des Olympiens, à commencer par Hebé, fille de Zeus et Héra, associée à la jeunesse. Chaque tome est découpé en chants, eux-mêmes scindés en plusieurs parties, un découpage qui encourage une lecture rapide. Parmi les aspects positifs, on peut mentionner la grande connaissance par l’auteur des mythes grecs et de ses motifs dont il propose ici de nouvelles interprétations convaincantes. Toutes les grandes figures du panthéon grec sont là, de même que les monstres et créatures qui peuplent cet imaginaire, des dieux olympiens aux Géants, en passant par les gorgones, les satyres, les Amazones… Il est également agréable de se familiariser avec des créatures moins connues, à l’image des ichtyocentaures, des Telchines ou des Kères. On peut également ajouter au nombre des qualités le soin apporté à la forme, l’auteur tentant de se réapproprier les principaux motifs qu’on retrouve dans nombre d’épopées, qu’il s’agisse du retour contrarié d’un héros vers sa région natale, d’un périple mouvementé en Méditerranée et, bien sûr, de la descente aux Enfers. L’auteur insiste aussi beaucoup sur le caractère tragique du parcours de Niérus qui rejoint ainsi la longue liste des héros grecs marqués par des épreuves interminables, d’Ulysse à Énée en passant par Heracles ou encore Jason. L’ombre de ces glorieux personnages plane d’ailleurs au dessus du protagoniste dans le parcours duquel on reconnaîtra sans mal des éléments empruntés à tel ou tel mythe.
Des maladresses préjudiciables
Malheureusement, toutes ces qualités ne sont pas suffisantes pour faire oublier les nombreuses maladresses qui émaillent le récit. La plus criante est, à mon sens, liée à la trop grande simplicité de la narration qui aurait mérité d’être un peu plus étoffée, notamment en matière de transition. Les personnages enchaînent en effet les péripéties à une vitesse folle, n’échappant à un danger que pour se retrouver confrontés à un autre plus grand encore, le tout sans que l’auteur ne fasse vraiment d’effort pour chercher à expliquer leurs décisions. Tout cela contribue à renforcer le sentiment d’avoir affaire à une œuvre jeunesse dans laquelle la complexité aurait été sacrifiée au profit de la fluidité et du dynamisme de la lecture. Les personnages souffrent eux aussi de cette « simplification », à commencer par Niréus auquel je ne suis pas parvenue à m’attacher une seconde car froid, désagréable, égocentrique et volatile. Les autres figures qui peuplent cette épopée sont, certes, plus avenantes, mais souvent caricaturales, à commencer par les personnages féminins. Certes, les femmes se voient accorder une place prépondérante dans l’intrigue et l’auteur questionne à plusieurs reprises le rôle qui leur est attribué dans les mythes, mais leur traitement pose tout de même question. On peut ainsi globalement les diviser en deux catégories, toutes deux réductrices : la guerrière bad-ass et l’écervelée superficielle. Qu’elles appartiennent à l’une ou l’autre, elles sont de toute façon en permanence sexualisée, ce qui donne lieu à des passages franchement grotesques dans lesquels le héros ne cesse d’admirer les courbes de l’une ou de s’imaginer au lit avec une autre. L’histoire d’amour entre Niréus et Rhomé occupe pour sa part une place bien trop prépondérante dans l’intrigue qu’elle plombe trop souvent de scènes mièvres à l’excès.
Avec « La Niréide », Fabien Clavel tente de se réapproprier les principaux motifs de la mythologie grecque qu’il réunit ici au sein d’une seule et même épopée consacrée à un héros méconnu de l’Iliade. Bien que sollicitant un grand nombre de figures emblématiques et convoquant avec succès les histoires les plus passionnantes de cette foisonnante mythologie, l’ouvrage souffre d’un manque de complexité, tant du point de vue de la narration que des personnages qui airaient mérité d’être davantage étoffés. A noter que cette trilogie s’inscrit dans le cadre d’un projet plus vaste de Fabien Clavel qui entend écrire deux autres tomes qui seraient cette fois respectivement consacrés à la matière de France (sous-entendu la geste carolingienne) et celle de Bretagne (la légende arthurienne, donc). Ces œuvres-là devraient être totalement inédites, et on ne peut qu’espérer que les défauts inhérents à la réécriture d’un ouvrage de jeunesse y seront absents.
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Dionysos (Le Bibliocosme)
2 commentaires
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Ma Lecturothèque
Les défauts que tu présentes ne me donnent pas envie de découvrir ce roman. En revanche, les autres qui devraient sortir me tentent bien, en espérant en effet ne pas retrouver les défauts présents dans « La Niréide ».