Science-Fiction

AquaTM

Titre : AquaTM
Auteur : Jean-Marc Ligny
Éditeur : L’Atalante / Folio SF
Date de publication : 2006 / 2015

Synopsis : 2030. Alors qu’en Europe des dizaines de milliers de personnes meurent noyées sous les flots lâchés par une digue qu’un groupuscule terroriste a fait sauter aux Pays-Bas, en Afrique, la pénurie d’eau décime les populations. L’eau, enjeu de toutes les convoitises. L’eau, qui existerait en grande quantité à deux cent cinquante mètres de profondeur au cœur du Burkina Faso, peut-être le plus pauvre des Pays les plus pauvres. L’eau, qu’Anthony Fuller, patron d’un consortium américain, va tenter de s’approprier au mépris de toutes les lois internationales.

L’Amérique retombée dans une barbarie pire qu’au temps du Far West, l’Europe à genoux, frappée en plein cœur par cet attentat, la Chine qui se remet à peine de l’effondrement du barrage des Trois-Gorges, les typhons géants qui ont dévasté les Philippines le mois dernier, les archipels polynésiens qui s’enfoncent sous les eaux… Je pourrais vous citer des exemples à l’infini. Ce monde va mal, très mal, et nous en sommes tous responsables. 

La SF à l’heure du réchauffement climatique

Si la thématique du réchauffement climatique occupe de plus en plus de place ces dernières années dans le domaine de la SF (et sur le devant de la scène politique en général), cela fait longtemps que la problématique travaille Jean-Marc Ligny, prolifique auteur à qui on doit de nombreux romans sur le sujet. Après avoir beaucoup apprécié « Semences » et « Alliances », les deux derniers ouvrages de l’auteur dédiés au sujet, j’ai décidé de me lancer dans la lecture de l’une de ses précédentes œuvres, « AquaTM », qui inaugurait en 2007 un nouveau cycle consacré justement à la question écologique et aux conséquences du réchauffement dans des futurs plus ou moins éloignés. Récompensé lors de sa sortie par les prix parmi les plus prestigieux de la sphère imaginaire (Prix Julia Verlanger, Prix Rosny aîné, Prix Bob Morane, Prix Imaginales…), le roman est celui qui se situe dans l’avenir le plus proche puisque nous sommes ici en 2030. En dépit de cette proximité temporelle, on a du mal à reconnaître notre monde dans celui dépeint par Jean-Marc Ligny qui, à l’aide d’une solide documentation scientifique (détaillée dans une bibliographie instructive en fin d’ouvrage), imagine un futur à très court terme glaçant tant en raison de sa plausibilité que de sa noirceur. Gros pavé de neuf-cent pages, le roman s’attache aux pas d’une poignée de personnages qui, chacun, permettent de mettre en lumière un aspect de ce futur pré-apocalyptique. La première, Laurie, est une jeune française vivant à Saint-Malo, ville désormais menacée, en dépit de ses puissants remparts, par la montée des eaux, et qui peine à trouver un sens à sa vie, malgré son travail au sein d’une ONG implantée partout dans le monde pour venir en aide aux personnes touchées par les effets du réchauffement climatique. Le second, Rudy, est justement l’un de ces sinistrés, ravagé par la perte de sa femme et de sa fille suite à un attentat qui aboutit à la destruction d’une bonne partie des Pays-Bas, et désormais en proie à un groupuscule néo-nazi désireux de lui faire la peau. Bien moins sympathique, le troisième protagoniste est le PDG d’une multinationale américaine, vivant à l’abri dans une bulle préservée de tous les effets indésirables du réchauffement de la Terre et bien décidé à s’accaparer, pour son profit, une ressource d’eau récemment découverte au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde. Quatrième et cinquième personnage clé : la présidente de ce petit état africain et son fils, tous deux déterminés à exploiter cette source pour en faire bénéficier la population du pays qui meurt littéralement de soif depuis des années.

Cette immersion volontaire dans l’atroce réalité du monde n’est-elle pas, à l’inverse, une sorte de thérapie préventive, un réflexe de survie, une préparation psychologique à ce qui commence à toucher tout le monde, même ceux qui se croient à l’abri dans leurs univers virtuels ou leurs enclaves climatisées ; côtoyer la mort en permanence, l’attendre chaque jour ? Survivre, et espérez malgré tout, sans sombrer dans la folie. Croire encore que l’humanité s’en sortira, même si chaque lot de catastrophes apporte la preuve du contraire. Voilà le défi crucial qui s’imposera à nos enfants, qui s’impose déjà à nous, songe Laurie. 

Un roman d’anticipation glaçant

L’intrigue est dense, et la mise en place prend du temps, si bien qu’il se passe quelques centaines de pages avant que les différents fils des mini-intrigues propres à chaque personnage se rejoignent et forment une trame cohérente. Bien que longue, l’exposition des spécificités des parcours des différents protagoniste, mais aussi du contexte planétaire mis en scène ici se révèle absolument nécessaire et permet au lecteur de mieux se familiariser avec ce décor dont on traque avec sidération toutes les anomalies tout en cernant progressivement tous les enjeux liés à l’exploitation de cette nappe phréatique burkinabé. Difficile de ne pas éprouver une sorte de fascination morbide pour le futur tel qu’imaginé ici par Jean-Marc Ligny, futur d’autant plus inquiétant qu’il paraît, aujourd’hui encore, tout à fait crédible (quoi que peut-être pas à aussi court terme, maigre consolation…). Désormais plus personne sur Terre ne peut prétendre remettre en question le réchauffement climatique et ses effets : l’heure est plutôt à la préservation d’espaces préservés pour ceux qui le peuvent encore, et au bidouillage ou à l’exode pour le reste de la population. L’Europe occupe finalement une place assez marginale dans le roman, les seules visions que l’auteur nous en propose consistant en cette ville de Saint-Malo peu à peu engloutie par les flots, en ces Pays-Bas détruits par un tsunami et en cette Allemagne en proie à la peur en raison de l’affluence de réfugiés climatiques, ce qui incite la population à se questionner sur la pertinence de la création d’enclaves privées réservées à une élite, tout en renforçant les contingents de groupuscules d’extrême-droite de plus en plus actifs sur le terrain. Du côté des États-Unis, rien ne va plus non plus ! Fragilisé par une guerre calamiteuse menée contre le Mexique suite à la volonté de celui-ci de sortir des accords de libre-échange, le pays est en proie à la sécession de plusieurs de ses états du Sud tandis que la récession fait des ravages, incitant l’ex-géant mondial à adopter une politique isolationniste. Tout cela n’est déjà pas bien réjouissant, mais n’est rien comparé au sort réservé ici à l’Afrique en général, et au Burkina en particulier. En première ligne face aux effets du réchauffement, le continent africain se meurt, certaines zones devenant totalement incompatibles à la vie humaine tandis que des pays comme le Burkina subissent de plein fouet les effets d’une sécheresse sans fin, à laquelle il faut ajouter la famine et les épidémies.

Un thriller efficace

Certaines scènes sont à la limite du soutenables mais mettent en lumière la gravité d’une situation dont nous avons d’ores et déjà les prémices sous les yeux. Il n’empêche que l’ambiance est lourde, oppressante, et qu’on peine dans un premier temps à sortir de l’espèce de torpeur dans laquelle cette vision futuriste pessimiste, mais hélas lucide, du monde nous plonge. Heureusement, le roman ne se limite pas à cela et est également porteur d’espoir à travers le combat de ce petit pays pour préserver la dernière ressource en eau qu’il lui reste de l’appétit de ce PDG américain. Une bonne partie de l’ouvrage est construite comme un véritable thriller, au point qu’il devient difficile de le lâcher. On s’identifie évidemment aisément à ces Burkinabés dont on découvre les conditions de vie extrêmement difficiles en même temps qu’un certain nombre de traditions qui apportent une fraîcheur bienvenue et permettent d’introduire quelques éléments de fantastique qui vont être amenés à prendre de plus en plus d’importance au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue. L’arc narratif consacré à Laurie et Rudy adopte quant à lui la forme d’un long road-trip semé d’embûches qui nous permet d’arpenter ce continent africain ravagé dans lequel, pourtant, la vie n’a pas dit son dernier mot. La construction générale du roman participe aussi à entretenir l’intérêt du lecteur, chaque chapitre étant composé de nombreux allers et venus entre les différents protagonistes et leur zone d’intervention, ce qui permet à chaque pan de l’intrigue d’évoluer en parallèle et de façon équilibrée tout au long du roman. Le passage d’un point de vue à l’autre est également rythmé par des extraits divers, articles, rapports officiels ou officieux, publicités… le tout servant à poser un peu plus le décor et à mettre en lumière certains aspects de l’univers peu ou pas évoqués dans la narration elle-même. On découvre par ce biais les transformations radicales de certaines parties du monde sous l’effet du réchauffement climatique (arrivée du paludisme en France, créations d’enclaves réservées à l’élite, migrations…) mais aussi l’émergence d’un certain nombre de palliatifs à l’angoisse provoquée par la menace inhérente au réchauffement climatique (immersions dans des réalités virtuelles de plus en plus performantes, explosion des ventes de produits psychotropes sophistiqués, émergence de la Divine Légion, un groupuscule suprémaciste blanc, mélange du KKK, des témoins de Jéhovah et de néo-nazis)…

Les prisonniers des camps de concentration conservaient l’espoir qu’un jour le cauchemar finirait ; les soldats sur le champ de bataille conservent l’espoir que la guerre s’arrêtera, qu’ils seront démobilisés et rentreront chez eux ; les victimes de catastrophes ou d’épidémies mortelles conservent l’espoir de guérir ou de reconstruire ; les peuples qui subissent le joug d’une dictature conservent l’espoir de la renverser… Jusqu’à présent l’espoir subsistait, car l’avenir était potentiellement meilleur. Désormais, on sait sans aucun doute que l’avenir sera pire. Le réchauffement va s’amplifier, les catastrophes climatiques aussi, les déséquilibres écologiques également, et nul ne sait jusqu’où ça peut aller. 

Soin apporté aux personnages et bémols

Pour coller à cet univers sombre et complexe, il fallait évidement des personnages à la hauteur, et, là-encore, l’auteur ne déçoit pas. Laurie et Rudy forment un binôme attachant et complémentaire qu’on suit avec plaisir tout au long de leur périple dans le désert. Chacun porte en lui les fantômes de ceux ou celles qu’ils/elles ont perdu, et il est intéressant de voir leur deux visions très différentes d’appréhender les choses se confronter et évoluer. La présidente du Burkina Faso, et toutes celles et ceux qui gravitent dans son entourage, sont également très réussis et suscitent immédiatement la sympathie, l’auteur imaginant un pays certes ravagé par le manque d’eau mais tentant tant bien que mal de mériter son nom de « pays des hommes intègres ». Les Américains suscitent évidemment moins d’empathie, à commencer par Fuller, le PDG prêt à tout pour exploiter cette nappe phréatique providentielle et qui cumule, de façon un peu caricaturale, tous les défauts inhérents dans notre esprit à l’occupation d’une position dominante (cynisme, voracité, luxure, absence de scrupules…). Les personnages de son entourage sont modelés selon le même moule, et on peut regretter ce léger manque de nuance, quand bien même il faut admettre que cela fonctionne plutôt bien d’un point de vue narratif. Parmi les autres bémols que j’aurais à formuler figure l’omniprésence de scènes de sexe, d’abord dérangeantes dans la première partie car donnant dans la surenchère et dépeignant majoritairement des rapports non consentis, ensuite lassantes par leur redondance (quand bien même la violence en a été gommée), l’histoire d’amour dépeinte ne nécessitant certainement pas d’occuper une place aussi importante dans la dernière partie du récit. C’est cette dernière partie qui se révèle d’ailleurs la plus faible du livre, bien qu’elle se montre malgré tout satisfaisante dans le sens où toutes les pièces du puzzle s’emboîtent enfin et où l’auteur ne laisse en suspend le sort d’aucun personnage, même parmi les très secondaires. Les choix de certains protagonistes ou ce que leur réserve l’avenir laissent toutefois parfois dubitatif, ce qui ne remet cela dit pas en cause l’implication et le plaisir que le lecteur a pu ressentir tout au long de sa lecture.

Avec « AquaTM », Jean-Marc Ligny signe un roman d’anticipation remarquable aussi bien par sa densité, la qualité de son décor et surtout celle de son intrigue qui nous tient en haleine du début à la fin. Cette plongée dans ce futur proche d’autant plus désespérant qu’il nous pend au nez n’est certes pas des plus apaisante, mais on se prend vite au jeu de cette lutte pleine de rebondissement entre un Goliath américain détestable et un David africain pour lequel on prend immédiatement fait et cause. Si vous cherchez un bon thriller d’anticipation mâtiné de fantastique et porté par des protagonistes bien campés, vous devriez adorer le voyage.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

6 commentaires

  • Yuyine

    Je l’ai dans ma PAL et son côté brique m’a pour le moment un peu bloquée (il me faut du temps pour le lire).
    Par contre, étant très réticente sur les scènes de sexe, surtout non consenti, je vais surement passé quelques passages en diagonale et surtout attendre un moment propice pour pouvoir y faire face. Merci de l’avoir indiqué dans ta chronique du coup. Je ne m’y serai pas forcément attendue.

    • Boudicca

      Il était dans ma PAL depuis un moment aussi, mais je ne regrette pas de l’en avoir sorti 🙂 De rien pour l’avertissement, j’aime mieux être préparé aussi pour ce genre de passages…

  • Lilly

    Je suis vraiment très mitigée à l’égard de ce livre. Pour moi l’aspect fantastique vient complètement gâcher le réalisme de cette fin du monde. Pourquoi en avoir mis, ça n’a aucun sens dans l’intentionalité de mise en garde de l’auteur, je trouve. Il n’y a pas de magie dans un monde réaliste. J’avais complètement oublié pour les scènes de sexe, ça ne revalorise clairement pas ma vision du bouquin XD

    • Boudicca

      Le côté fantastique ne m’a pas autant gênée que toi mais c’est vrai que je me suis aussi souvent demandé à quoi il servait. Le roman aurait parfaitement tenu la route sans ça.

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