Science-Fiction

Les Temps ultramodernes

Les Temps ultramodernes

Titre : Les Temps ultramodernes
Auteur : Laurent Genefort
Éditeur : Albin Michel Imaginaire [site officiel]
Date de publication : 5 janvier 2022

Synopsis : En débarquant à la capitale, en quête d’un emploi d’institutrice, Renée est loin de se douter qu’elle va tomber sur un Martien blessé. Mais ce Paris-là n’est pas le nôtre. Grâce à la découverte de la cavorite, un métal miraculeux, les voitures volent, des paquebots transcontinentaux appontent aux quatre tours Eiffel parisiennes, et Mars est une destination comme une autre.
Quand Marie Curie découvre que la cavorite a une durée de vie limitée, elle ignore à quel point le monde va en être bouleversé. Deux ans après le « vendredi noir » de 1923, les empires occidentaux bataillent pour récupérer les dernières miettes de la si précieuse manne.
Contre vents et marées, Renée soigne son protégé et décide de le ramener sur sa planète natale. Comme elle, Marthe, une intrépide journaliste, et Georges, un jeune artiste pris dans un mouvement politique qui le dépasse, seront les témoins, mais aussi des acteurs de premier plan, de cette époque-charnière pleine de bruit et de fureur.

Le point commun entre l’Art, le vrai, et la Révolution, c’est la subversion, pérorait Flavien. La subversion couve le futur en gangrénant le réel.

À l’orée de l’année 2022, un nouveau roman de Laurent Genefort s’annonce avec un titre prometteur, et ce désormais chez les éditions Albin Michel Imaginaire : Les Temps ultramodernes !

Intrigues martiennes dans les années folles

19 novembre 1924, Renée Manadier et Georges Moinel se rencontrent dans un transport ferroviaire les emmenant vers Paris. L’une est institutrice, l’autre est artiste, tous deux ne savent pas trop à quoi s’attendre dans cette capitale qui les attire pour tant de raisons différentes. Or, il s’agit ni de 1924 de notre ligne temporelle, ni de la cité parisienne que nous connaissons. En effet, comme abordé dans l’Abrégé de cavorologie, le monde n’est pas le nôtre : c’est un monde cavorié, imprégné donc de cavorite, minerai radioactif qui permet de contrer la gravité. Les voitures s’envolent, le transport devient spatial et quantité d’objets du quotidien s’équipent de matériaux antigravitiques. Cette transformation de la société a eu des conséquences drastiques sur la science qui s’est concentrée sur la cavorite, sur l’organisation spatiale (par exemple, les tours Eiffel-Rousseau, sûrement une référence aux représentations du Douanier), sur la géopolitique (la France et l’Allemagne déclenchent une guerre en 1912), sur le vol spatial désormais possible et donc aussi sur la colonisation de la planète Mars par la puissance française. Or, deux événements viennent chambouler ce monde qui s’envolait pourtant si vite : la physicienne Marie Curie découvre que la durée de vie de la cavorite est bien plus limitée que prévu (il sera nécessaire de renouveler les stocks) et, en plus, le 11 mai 1923 survient le « vendredi noir » du krach boursier, quand les bourses financières chutent drastiquement, énième fin de cycle du capitalisme financier spéculateur, cette fois avec la bulle de la cavorite. Dans ce monde en plein changement mais qui craint sa fin accélérée, la colonisation martienne laisse entrevoir quelques espaces accessibles à l’innovation avec deux limites problématiques : jusqu’à quand les voyages aller-retour pourront-ils se tenir sans énergie pour les conduire ? et qui surveillent les agissements des puissants dans ces contrées lointaines ?

Conspirations, martiens et krach boursier

Dans la façon déjà de présenter l’ouvrage, on se rend vite compte qu’il est nécessaire de bien expliquer le contexte, l’univers, avant d’aller plus loin. Pourtant, des personnages intéressants, il y en a, et nombreux en plus. On a rapidement parlé de Renée Manadier, l’institutrice fait figure de première protagoniste, et joue le rôle d’ingénue pour nous faire découvrir non seulement la Paris cavoriée et industrieuse, mais aussi de nous faire côtoyer les indigènes martiens avec l’individu Ogloor au départ utilisé dans un zoo, mais qui cherche à rentrer chez lui et qu’elle veut instruire. De son côté, on retrouve un peu plus loin l’artiste Georges Moinel, qui découvre les bas-fonds, les coups bas entre socialistes et anarchistes ; avec lui, c’est tout un pan du roman qui navigue un peu à part, qui trouve son lien avec tout le reste uniquement vers les derniers chapitres. Entre ces deux tendances, se trouve une vaste enquête policière et journalistique menée par le quasi-retraité commissaire Maurice Peretti et la têtue Marthe Antin pour découvrir d’où provient un stock clandestin de cavorite, apparemment cela aurait un lien avec Mars et certaines entreprises sur place. Enfin, Marcel Chery, médecin eugéniste déchu, est recruté par une société clandestine pour organiser un camp de travail efficace et ordonné… Un par un, ces personnages sont plutôt très bien développés, attachants même malgré le racisme, le sexisme ou le fascisme de certains (pas de panique, d’autres compensent) ; toutefois, la liaison entre toutes les parties du roman se fait véritablement à la toute fin au point qu’on aurait pu carrément croire à l’annonce d’un tome à suivre.

Rétrofuturismes

Pour une fois, Laurent Genefort mise sur un roman se fondant sur du rétrofuturisme, un surgissement d’une technologie avancée dans une période qui n’est pas censée le connaître pour l’instant. Ici, ces années folles ne s’appuient pas sur des machineries faites de cuivre et de vapeur, donc nous ne sommes pas nécessairement dans du steampunk, mais plutôt de l’atompunk, car l’instrument essentiel est le matériau radioactif appelé cavorite. En tout cas, le rapport de l’auteur à la science reste le même : capable du meilleur comme du pire. Les liens avec notre société sont assez aisés à faire, notamment sur le fait d’être dépendant à l’extrême d’une énergie miraculeuse mais tout à fait fossile. Les chercheurs de profits sont alors aux aguets, soit par spéculation classique, soit en tentant par tous les moyens de ralentir la transition désormais nécessaire en s’accrochant à des « alternatives » parfois complètement fantasques et pourtant bien réelles. Enfin, il est intéressant de remarquer que l’auteur utilise ces thématiques pour écrire ses propres Chroniques martiennes (Bradbury) ou son Cycle de Mars (Burroughs) et revenir à ce qu’il a davantage l’habitude de côtoyer dans ses autres romans de science-fiction de planet opera : les populations indigènes, leurs cultures et leur acclimatation à des changements violents de leur environnement. Le parallèle réalisé entre cette invasion et l’expansionnisme européen en Afrique du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle est là aussi bien trouvé.

Laurent Genefort se renouvelle donc assez bien avec ces Temps ultramodernes, il y propose un rétrofuturisme imparfait, parfois naïf (cependant n’est-ce pas les Années Folles ?) mais qui donne envie d’y retourner.

Voir aussi :
Abrégé de cavorologie

Autres critiques :
Tampopo(Les Blablas de Tachan)
Zoé (Zoé prend la plume)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

4 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.