Du roi je serai l’assassin
Titre : Du roi je serai l’assassin
Auteur : Jean-Laurent del Socorro
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2021 (avril)
Synopsis : Espagne, Andalousie, XVIe siècle. La Reconquista est terminée. Charles Quint règne sur une Espagne réunifiée et catholique. Sinan est un enfant qui vit avec sa sœur jumelle, Rufaida à Grenade. Musulmans convertis par nécessité à la religion catholique, sa famille les envoie à Montpellier pour échapper à une Inquisition toujours plus féroce. Là-bas ils tomberont dans une France embrasée par les guerres de religion…
Pour briser une chaîne, aussi solide soit-elle, il suffit d’en rompre un seul maillon
Retour aux sources
Après un détour par l’histoire antique (« Boudicca ») et un autre par la guerre de sécession américaine (« Je suis fille de rage »), Jean-Laurent del Socorro revient à l’univers qui l’a fait connaître, celui de « Royaume de vent et de colères », déjà exploité depuis dans plusieurs nouvelles (« La guerre des trois rois », « Le vert est éternel » ou encore « Gabin sans aime »). Un retour d’autant plus attendu qu’il se consacre au personnage sans doute le plus marquant du premier roman : Silas, assassin plein de gouaille et au passé trouble sur lequel l’auteur se propose ici de revenir. L’action débute en 1540, à Grenade. Une quarantaine d’année après la fin de la Reconquista, la très catholique Espagne multiplie les injonctions visant à accélérer et contrôler la conversion des musulmans demeurés sur le territoire et jugés encore trop peu intégrés au goût de Charles Quint. C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de celui qui s’appelle alors Sinan, petit garçon effacé et inquiet, chérissant ses deux sœurs (l’une pour sa combativité, l’autre sa douceur) et endurant ses parents (l’une pour son indifférence, l’autre pour sa violence). Découpé en trois parties, le roman est écrit à la première personne, Silas se chargeant lui même de nous relater son parcours des années après les événements qu’il dépeint. Terrorisé par un père tyrannique, le petit Sinan n’a pas grand-chose à voir avec l’assassin chevronné et à l’ironie mordante rencontré à Marseille. Tout l’enjeu du roman va résider dans la tentative de l’auteur de nous faire comprendre le cheminement de son héros qui va ainsi passer par toute une série d’épreuves et réaliser quantité de rencontres déterminantes. Ne vous attendez cependant pas à un récit d’initiation du genre de « L’assassin royal » ou des « Salauds gentilshommes » dans lequel on assisterait à la formation du personnage. C’est à un récit bien plus intimiste que nous convie ici Jean-Laurent del Socorro, ce qui a des avantages aussi bien que des inconvénients.
Conflits religieux dans l’Espagne et la France du XVIe
Comme dans tous les précédents romans de l’auteur, celui-ci repose sur une documentation historique solide qui donne une bonne partie de son charme au récit. L’auteur aborde de façon concise mais néanmoins scrupuleuse le contexte propre à cette Espagne du milieu du XVIe qui tente par tous les moyens d’effacer les traces de la suprématie un temps exercé par les musulmans sur le territoire. L’auteur décrit très bien le sentiment de double identité éprouvé par le héros qui se voit contraint d’afficher un visage en public (celui d’un bon chrétien) et un autre en privé (celui d’un musulman resté fidèle à sa foi en dépit de lois de plus en plus coercitives). La seconde partie se déroulant à Montpellier est elle aussi bien documentée et se consacre cette fois aux accrochages opposant alors catholiques et protestants, particulièrement présents dans cette région du sud de la France. La religion et les atrocités perpétrées en son nom sont ainsi l’un des thèmes principaux du roman qui revient à l’origine de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de « guerres de religion » et qui constituent la toile de fond des autres romans de l’auteur situés dans le même univers. Celui-ci s’attarde également sur le milieu des étudiants en médecine et nous livre, pour se faire, de croustillantes anecdotes qui participent à renforcer l’immersion du lecteur. La place accordée aux femmes est également un thème essentiel du roman, de même que tous les autres ouvrages de l’auteur qui fait une fois encore le choix de s’affranchir de la réalité historique afin de pouvoir accorder une meilleure représentation et des rôles plus variés à ses personnages féminins. On rencontre ainsi des femmes exerçant le métier des armes sans que cela ne paraisse choquer le moins du monde, l’exemple le plus criant étant bien évidemment celui d’Axelle, protagoniste bien connu des amateurs de l’œuvre de l’auteur dont il n’est ici que brièvement fait mention. Le procédé permet de mettre à l’honneur des personnages féminins combatifs et occupants des positions clés, mais ne cherche pas à mettre sous le tapis la différence de traitement dont sont tout de même victimes les femmes, comme le parcours de la sœur du héros nous le prouvera.
Sensibilité et émotion
L’intrigue est pour sa part en dent-de-scie, les trois parties qui composent le roman se révélant très différentes et assez inégales. La première, ma préférée, est consacrée à l’enfance de Silas et aux relations qu’il entretient avec les membres de son entourage, notamment deux qui jouerons, chacun à leur manière, un rôle déterminant dans son évolution : sa sœur jumelle et son père. On s’attache sans mal à ce petit garçon effrayé, honteux de ne pas pouvoir protéger ceux qu’il aime et rongé par les sentiments contradictoires que lui inspire son géniteur. L’auteur décrit avec beaucoup de délicatesse et d’empathie les mécanismes qui se mettent en place dès lors que la violence s’installe dans un foyer, et, quand bien même certains passages sont particulièrement bouleversants à lire, il s’agit à mon sens de la partie du récit de Silas la plus maîtrisée et la plus intéressante. Le voyage vers le sud de la France et le déroulement des études de médecine des frères et sœurs sont pour leur part un peu moins captivants, même si certains rebondissements viennent régulièrement relancer l’intérêt du lecteur. Là encore l’auteur place l’intime au cœur de son récit en abordant par exemple la question de l’homosexualité ou de l’avortement avec sensibilité. L’action se fait néanmoins plus présente, de même que la fantasy, puisqu’on y retrouve la mention d’une substance déjà évoquée dans « Royaume de vent et de colères » et aux propriétés magiques méconnues. Bien qu’au coeur de la quête des jumeaux, l’auteur ne s’attarde guère sur le sujet, aussi sait-t-on relativement peu de chose sur cette touche de magie somme toute presque anecdotique. La troisième partie est la plus déconcertante, et ce pour deux raisons majeures. D’abord parce que l’auteur y effectue un saut dans le temps de soixante ans, si bien qu’on passe de Silas enfant/adolescent à Silas à l’aube de sa vie. Ensuite parce que ce dernier n’est plus narrateur et se trouve même en marge de l’intrigue qui se concentre sur le personnage de Gabin, héros brièvement mis en scène dans une nouvelle et dont le parcours présente des similitudes avec celui de Silas mais qui s’avère bien moins complexe et charismatique que l’assassin. La conclusion est ainsi un peu perturbante : tout s’enchaîne trop vite, et on aurait bien aimé connaître le détail de ce qu’il est advenu de notre héros pendant toutes les années de cette longue ellipse.
Jean-Laurent del Socorro signe avec « Du roi je serai l’assassin » un roman sympathique qui revient sur le parcours d’un personnage emblématique de son univers et qui tient plus du récit intimiste que du roman d’initiation typique de la fantasy. En dépit d’une troisième partie déconcertante et de la trop grande hâte avec laquelle l’auteur passe sur certains événements ou personnages, le roman séduit par l’immersion historique qu’il propose, que ce soit dans l’Espagne post-Reconquista ou la France pré-guerres de religion, et surtout par l’émotion que font naître les personnages qui sont traités avec beaucoup de sensibilité.
Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Dionysos (Le Bibliocosme) ; L’ours inculte ; Ombrebones (Chroniques de l’Imaginaire) ; Tigger Lilly (Le dragon galactique)
2 commentaires
Tigger Lilly
Oui la troisième partie est assez déconcertante en effet. J’ai bien aimé mais mon préféré reste Je suis fille de rage.
Aelinel Ymladris
Merci pour le lien! J’ai également été déconcertée par la troisième partie mais j’ai adoré ce roman.