Fiction historique

Blanc autour

Titre : Blanc autour
Scénariste : Wilfrid Lupano
Dessinateur : Stéphane Fert
Éditeur : Dargaud
Date de publication : 2021 (janvier)

Synopsis : 1832, Canterbury. Dans cette petite ville du Connecticut, l’institutrice Prudence Crandall s’occupe d’une école pour filles. Un jour, elle accueille dans sa classe une jeune noire, Sarah. La population blanche locale voit immédiatement cette « exception » comme une menace. Même si l’esclavage n’est plus pratiqué dans la plupart des États du Nord, l’Amérique blanche reste hantée par le spectre de Nat Turner : un an plus tôt, en Virginie, cet esclave noir qui savait lire et écrire a pris la tête d’une révolte sanglante. Pour les habitants de Canterbury, instruction rime désormais avec insurrection. Ils menacent de retirer leurs filles de l’école si la jeune Sarah reste admise.

 

Apprenez docilement la culture des blancs ! Vénérez les écrivains des blancs, l’histoire écrite par les blancs ! Les noms des hommes célèbres blancs ! La philosophie des blancs ! Gavez-vous du monde des blancs ! A la fin vous serez toujours aussi noires. 

Plongée dans l’Amérique raciste du XIXe siècle

Prolifique scénariste de bandes dessinées, Wilfrid Lupano est l’auteur de bon nombre d’ouvrages qui s’inscrivent dans des genres très différents : la fable pleine de tendresse avec « Un océan d’amour », la fantasy humoristique avec la trilogie « Traquemage », la satyre sociale avec « Les vieux fourneaux », ou encore les femmes dans l’histoire avec la série « Communardes ! ». Une thématique à laquelle l’auteur revient en ce début d’année 2021 puisque « Blanc autour » met en scène le combat pour l’éducation d’une poignée de jeunes femmes noires dans les États-Unis des années 1830. L’action se passe dans la ville de Canterbury, paisible bourgade située près de Boston, dans le Connecticut, où l’esclavage a déjà été aboli depuis 1784 (pour rappel, il faudra attendre 1865 pour que l’abolition soit proclamée dans l’ensemble des États-Unis). La vie des noirs n’a cependant rien d’idyllique puisqu’on continue malgré tout de les considérer comme des êtres inférieurs dont il faut se méfier. Une méfiance d’autant plus vive que les blancs gardent en mémoire le souvenir de la révolte menée quelques années auparavant par Nat Turner, esclave lettré ayant fédéré autour de lui plusieurs de ses compagnons de chaînes avec lesquels il s’est livré à l’attaque de plusieurs plantations en massacrant tous ses habitants. Alors quand Prudence Crandall, l’institutrice de la ville, fait le choix d’accueillir dans son école une jeune fille de couleur, sa décision provoque un véritable tollé parmi la population. Les notables des environs s’estiment déjà suffisamment tolérants de permettre aux filles blanches de recevoir une éducation (après tout, quel est l’intérêt puisqu’elles finiront femmes au foyer ?), alors imaginer ces rejetonnes de bonnes familles fréquenter des noires sur le banc de l’école, c’est inimaginable. Plutôt que de s’alarmer de la décision des parents de retirer leurs filles de l’école, Prudence Crandall prend alors une décision plus radicale encore : les blanches ne veulent plus venir ? Qu’à cela ne tienne, l’école sera désormais exclusivement réservée aux noires. Imaginez la réaction des honorables habitants de la ville ! C’est le début d’un long combat pour les pensionnaires de la Canterbury Female Boarding School, des jeunes filles noires venues de tous les États-Unis qui vont se retrouver confrontées à l’hostilité de plus en plus ouverte de la population locale.

Droit à l’éducation pour tou(te)s !

L’ouvrage s’inspire d’événements historiques qui se sont déroulés au début des années 1830 et rend hommage à ces femmes qui se sont battues pour le droit à l’éducation de toutes et tous. A travers le parcours de cette institutrice et de ses pensionnaires, Wilfrid Lupano met en lumière le racisme profondément ancré dans la culture et l’histoire américaine. Certains arguments mis en avant par les familles les plus influentes de la région sont par conséquent difficiles à entendre, de même que les actes de violence commis à l’encontre des personnages se révèlent particulièrement rudes à encaisser, certains ne lésinant devant rien pour faire reprendre à ces jeunes filles la place qu’ils estiment être la leur. En parallèle du quotidien de l’école, l’ouvrage retrace la succession des différentes décisions de justice prises par les tribunaux concernant cette affaire. Outre la qualité de la contextualisation historique, la bande dessinée se distingue également par la subtilité de sa réflexion puisque l’auteur, tout en rendant hommage à ces femmes, ne s’empêche pas de questionner la pertinence de leur combat, notamment à travers le personnage de l’enfant sauvage qui refuse de se conformer à un monde pensé et façonné par les blancs. La question de la religion, ou plutôt de la spiritualité, est aussi abordée avec nuance et permet de révéler des facettes différentes de la personnalité des héroïnes. Toutes sont d’ailleurs très réussies et très touchantes, qu’il s’agisse de Sarah, la première ayant eu le courage de réclamer le droit à s’instruire, mais aussi de la joviale et brillante Eliza, ou encore d’enthousiaste petite Maggie. Les dessins sont pour leur part signés Stéphane Fert dont le coup de crayon se révèle assez particulier car décalé par rapport aux propos du récit. A la violence et au racisme qui transpirent du scénario, l’artiste oppose des illustrations toutes en rondeur et douceur, ainsi que des personnages aux bouilles rigolotes, qu’elles arborent une expression malicieuse ou outragée. On se fait toutefois rapidement à ce contre pied qui a pour principal effet de renforcer l’identification du lecteur aux héroïnes et d’accentuer le ridicule du comportement des bourgeois de Canterbury.

Wilfrid Lupano et Stéphane Fert signent avec « Blanc autour » une belle bande dessinée qui met en lumière le combat pour l’éducation mené par des femmes noires aux États-Unis dans les années 1830. Le contexte historique est bien rendu, et la réflexion proposée plus poussée qu’il n’y paraît au premier abord. Le racisme et la violence sous-jacents au récit ne rendent pas la lecture aisée pour le lecteur qui trouve néanmoins consolation auprès de ces jeunes héroïnes attachantes et combatives qui forcent l’admiration. Un bel ouvrage, tout à fait accessible à un lectorat adolescent pour qui voudrait les sensibiliser à ces questions et cette histoire.

Autres critiques : Tampopo24 (Les blablas de Tachan)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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