Fantastique - Horreur

La princesse au visage de nuit

Titre : La princesse au visage de nuit
Auteur : David Bry
Éditeur : L’Homme sans nom
Date de publication : 2020 (octobre)

Synopsis : Vingt ans après avoir quitté son village natal, vingt ans après avoir essayé de trouver – en vain – la princesse au visage de nuit pour qu’elle le sauve de ses parents, Hugo revient sur les traces de son enfance. Un étrange accident de voiture, l’orage qui gronde sans cesse, des noms d’enfants dans le vent, une mystérieuse présence dans les bois et les lucioles qui volettent, toujours. Comme avant, au temps de la princesse au visage de nuit. Devenu adulte, Hugo ira-t-il jusqu’à la trouver ?

 

Une histoire de fantôme ?

Imaginez un village français tout ce qu’il y a de plus banal, perdu en pleine campagne et entouré d’une grande forêt. Imaginez à présent que des légendes courent depuis des décennies au sujet de ces bois que certains estiment hantés par le fantôme d’une jeune femme attirant à elles les enfants malheureux. Imaginez, enfin, que ces histoires aient une part de vrai, et que les disparitions et phénomènes étranges se multiplient de manière alarmante à l’approche de chaque fête de la Saint-Jean. Voilà, très rapidement, le principe de base sur lequel repose le nouveau roman de David Bry que je découvre avec « La princesse au visage de nuit » mais dont Dionysos a déjà exploré un peu la bibliographie (« Que passe l’hiver » ; « Le garçon et la ville qui ne souriait plus »). Plein de suspens, de tension, mais aussi d’humour, l’ouvrage se lit avec plaisir et flirte tour à tour avec le thriller et le fantastique, une combinaison qui en fait un véritable page-turner. L’auteur y met en scène un jeune homme, de retour dans le village de son enfance dans lequel il n’a jamais remis les pieds depuis cette nuit tragique qui le hante. Une nuit qui permit à Hugo d’être placé en foyer, après qu’aient été découvertes les marques de coups révélant la maltraitance de ses parents, mais au cours de laquelle le garçon a également perdu ses deux meilleurs amis, Pierre et Sophie, dont il ne parvient pas à se rappeler le sort et dont on n’a jamais retrouvé les corps. Malgré le traumatisme, Hugo a réussi à refaire sa vie, à Paris, auprès notamment d’une nouvelle bande d’amis eux aussi un peu cabossés mais qui le soutiennent à leur manière. La mort de ses parents va toutefois faire rejaillir tous les mauvais souvenirs de son enfance et l’obliger à se confronter à ce passé qu’il fuit depuis des années. Car leur mort s’accompagne d’un grand nombre de phénomènes étranges liés à la légende la princesse au visage de nuit, celle-là même qu’Hugo, Pierre et Sophie ont tenté de trouver cette fameuse nuit.

Frisson et émotion

Le pitch est alléchant et assez révélateur à lui seul de l’ambiance du roman qui m’a beaucoup fait penser à plusieurs lectures récentes (sans pour autant jamais donner l’impression qu’il s’agissait de « réchauffé »), à commencer par « Je suis ta nuit » de Loïc le Borgne, ouvrage avec lequel le roman de David Bry présente de nombreuses similitudes, tant au niveau des thématiques que des personnages. L’atmosphère et le cadre sont également assez proches puisque, dans les deux cas, les auteurs mettent en scène un petit village banal et parviennent à rendre ce décor à priori tout à fait inoffensif totalement terrifiant (aspect que j’ai également retrouvé récemment dans « Passé déterré » de Clément Bouhélier et « Au bal des absents » de Catherine Dufour). Des bruits dans les fourrés, une ombre qui disparaît soudainement, des objets disparus il y a des années et qui refont surface, des malédictions tracées sur la porte des maisons… : il n’en faut pas beaucoup plus pour créer une ambiance oppressante qui met le lecteur en état d’alerte constant. Certains trouveront peut-être que l’auteur n’en fait pas assez, ou qu’il se contente de vieilles recettes (ce qui est partiellement vrai), mais personnellement le coup du regard dans la nuit ou du vent qui murmure suffit à me hérisser les poils (je suis à ranger dans la catégorie des « grosses flipettes », ce qui explique pourquoi je ne regarde jamais de film d’horreur et que je fais des cauchemars après chaque lecture un peu angoissante, celle-ci comprise). Bref, cela a fonctionné sur moi et je me suis rapidement prise au jeu de cette enquête mêlant événements passés et présents. La lecture a été d’autant plus plaisante que l’auteur a (et mes nerfs l’en remercient) pris soin de désamorcer régulièrement la situation grâce à l’humour de ses personnages, qu’il s’agisse d’Hugo ou de sa bande de potes qui ne sont jamais à court de bonnes vannes pour faire redescendre la tension d’un cran. Et ça fait un bien fou, car certains passages sont franchement éprouvant nerveusement et font ponctuellement basculer le récit dans l’horreur et le fantastique.

Un page turner efficace

La rapidité avec laquelle se dévore le livre tient également à sa construction : l’auteur opte pour des chapitres courts, rythmés, et alterne entre passages au présent, au cours de laquelle on observe Hugo mener l’enquête pour comprendre ce qui lui est arrivé il y a des années, et passages au passé (bien plus courts) qui nous permettent de revivre des moments tragiques ou des souvenirs heureux d’Hugo redevenu petit garçon. Des flash-back qui contribuent évidemment à accentuer l’émotion du lecteur qui ne peut qu’être touché par le paradoxe entre la luminosité de ces enfants et l’innocence de leurs jeux, et les événements tragiques dont on sait qu’ils seront (ou sont déjà) les victimes. L’auteur aborde d’ailleurs un certain nombre de sujets très durs tournant autour du viol, de la maltraitance d’un enfant et de l’aveuglement des adultes, mais sans jamais sombrer dans la surenchère ou le sordide (un autre point commun avec « Je suis ta nuit » que je ne peux également que vous recommander). Alors certes, certains rebondissements de l’intrigue sont assez prévisibles, qu’il s’agisse de l’évolution de la relation entre Anne et Hugo ou encore le rôle de certaines des figures emblématiques du village dans l’affaire, mais ces légers bémols n’enlèvent rien au charme du roman ni à son efficacité. On pourrait également lui reprocher de mettre en scène des personnages un peu trop caricaturaux (la vieille mégère bizarre, le vieux gardien bourru, le pervers aussi répugnant à l’extérieur qu’à l’intérieur…) mais là encore ce choix ne dessert en rien le roman qui repose justement sur un certain nombre de poncifs qui visent d’abord à faire naître la familiarité, puis l’angoisse.

David Bry signe avec « La princesse au visage de nuit » un beau roman fantastique consacré à l’enfance, son innocence mais aussi les traumatismes qui peuvent s’y développer. La narration efficace et le suspens savamment entretenu jusqu’à la toute dernière page font de ce récit un vrai page-turner qu’on dévore avec un mélange d’inquiétude et de plaisir. Une belle découverte !

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; L’ours inculte ; Les fantasy d’Amanda

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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