Fiction historique

Peau d’homme

Titre : Peau d’homme
Scénariste : Hubert
Illustrateur : Zanzim
Éditeur : Glénat
Date de publication : 2020 (avril)

Synopsis : Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût : Giovanni, un riche marchand. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout. Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations : une « peau d’homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et s’affranchit des limites imposées aux femmes.

 

-Non mais Bianca ? Dans quel état tu t’es mise ? Et qu’est-ce que tu as fait à ta main ?
-Je l’ai collée dans la gueule d’un con !
-Bianca !
-Cette peau, ces muscles de garçon, ça me donne une force… C’est grisant ! J’ai l’impression d’être capable de n’importe quoi en Lorenzo.

Et Bianca devint Lorenzo

A une époque qui pourrait être la Renaissance et dans une cité qui pourrait être Florence, une jeune femme, Bianca, apprend qu’on vient de la fiancer à Giovanni, un bon parti mais qu’elle ne connaît ni d’Eve ni d’Adam. Bien qu’élevée dans le strict respect des convenances, la future épouse n’apprécie guère de ne rien connaître de celui destiné à partager sa vie. Heureusement, sa marraine lui fait part quelque temps avant la noce d’un secret de famille bien gardé : une peau d’homme, véritable seconde peau que les femmes de sa lignée se transmettent de génération en génération afin d’expérimenter à quoi ressemble la vie lorsqu’on est doté d’un pénis. Si certaines s’en sont surtout servies jusqu’à présent pour faire les quatre-cent coups et batifoler en toute liberté, Bianca, elle, n’a qu’un objectif : faire la connaissance de son futur époux avant que les liens du mariage ne les unissent. Seulement la ruse fonctionne mieux que prévu puisque Bianca réalise que, si elle est rapidement tombé amoureuse de Giovanni, ce dernier est tombé amoureux… de Lorenzo, celui qu’elle devient lorsqu’elle revêt sa peau d’homme. C’est à Hubert que l’on doit se scénario pour le moins intriguant tandis que les dessins sont signés Zanzim. Une association qui fonctionne à la perfection puisque l’ouvrage se révèle être un ravissement à la fois pour les yeux et la tête.

De la sexualité des hommes et des femmes

L’auteur aborde avec un mélange de crudité et de délicatesse des questions aussi brûlantes que l’acceptation de l’homosexualité, le mariage arrangé, la place des femmes dans la société ou encore le conditionnement subi par les individus des deux sexes et qui les pousse à se conformer à ce que la société attend d’eux (« Ce sont les codes sociaux du monde des garçons, ma chérie. Nous nous faisons plus délicates que nous sommes, eux se font plus grossiers, quitte à se forcer. »). Car cet ouvrage cache en réalité un magnifique plaidoyer pour l’égalité entre les sexes. Bianca est une héroïne exceptionnelle qu’on voit évoluer de petite jouvencelle sage et timide à une véritable amazone ivre de liberté et pleinement consciente de sa force et de son charme. La question de la religion, et de son rôle dans l’infériorisation des femmes, est également centrale puisque l’auteur met en scène un prêtre charismatique et fanatique (qui n’est pas sans rappeler Savonarole) et qui entend « moraliser » la vie de la cité, que ce soit en luttant contre les comportements jugés « contre nature » par l’église (comprenez l’homosexualité) ou en reléguant encore un peu plus les femmes dans la sphère privée. Les dialogues sont pour leur part très bien écrits, et certains échanges prenant des allures de joutes verbales sont un véritable régal. L’auteur s’attache également à maintenir tout au long du récit un équilibre parfait entre émotion et humour, plusieurs scènes se révélant hilarantes tandis que d’autres nous arracheraient sans mal des larmes.

Et alors ? J’ai un corps et je n’en ai pas honte. En soi, il n’est ni bon ni mauvais. Ce n’est pas lui le problème, c’est ton regard qui est sale ! Pourquoi crois-tu que la vue d’un corps nu puisse faire perdre aux femmes leur tempérance ? Parce que tu les crois semblables à toi. C’est ta concupiscence qui te fait voir les femmes comme des tentatrices lubriques. C’est parce que tu es obnubilé par ton propre désir que tu les veux couvertes de la tête aux pieds.

Une sacrée galerie de personnages

Les personnages sont écrits de la même manière, parfois outranciers, parfois surprenants de lucidité et de délicatesse. La relation entretenue entre Bianca et Giovanni, faite d’amour, d’acceptation et de respect, est quant à elle l’une des plus belles réussites de l’œuvre qui échappe à tous les écueils et évite les clichés auxquels on aurait pu s’attendre sur le sujet. Les personnages qui gravitent autour du couple sont à l’avenant, qu’il s’agisse de la mère tour à tour attachante ou insupportable de Bianca, ou bien des adeptes du « Chat qui louche », une taverne dans laquelle Giovanni et Lorenzo peuvent afficher leur amour en toute liberté. Un mot, pour terminer, concernant les dessins qui se focalisent davantage sur les personnages que sur le décor, sans que cela ne gène en rien l’immersion (surtout que l’illustrateur ne se prive pas de représenter les figurants au second plan dans des postures amusantes qui donnent plus de vie à l’ouvrage). Les protagonistes possèdent quant à eux un visage et au corps très expressifs, ce qui permet de renforcer l’émotion ou la drôlerie des scènes illustrées. C’est d’ailleurs ces expressions tour à tour butée, attristée ou amusée qui passent sur le visage de Bianca qui participe, entre autre, à nous rendre l’héroïne aussi attachante.

Hubert et Zanzim signent avec « Peau d’homme » un magnifique roman graphique qui dépeint la libération d’une femme dans l’Italie de la Renaissance. Jonglant entre émotion et réflexion, l’ouvrage se dévore d’une traite et aborde la question de l’égalité entre les sexes et du conditionnement des genres avec beaucoup d’intelligence et d’humour. A lire absolument !

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Ombrebones (Chroniques de l’Imaginaire)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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