Science-Fiction

Méfiez-vous du chien qui dort

Titre : Méfiez-vous du chien qui dort
Nouvelles : Méfiez-vous du chien qui dort ; La montagne ira à Mahomet ; Notre mère qui dansez ; Trinité ; Des ombres sur le mur de la caverne ; Brise d’été
Auteur : Nancy Kress
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2020

Synopsis : Alors qu’elle est bord de la ruine, une famille investit toutes ses économies dans l’achat d’une portée de chiots génétiquement modifiés pour les vendre. Parce qu’ils n’ont pas besoin de dormir, ils semblent pouvoir devenir des chiens de garde parfaits. Mais derrière ce qui semble une bonne affaire guette un investissement raté, des bouches à nourrir, des animaux potentiellement dangereux. Face à ces chiens au comportement étrange et anxiogène, Carol Ann émet des doutes. Mais qui écoutera les mises en garde de la cadette ?

 

Savoir pour de bon quand votre vision d’écrivain a dépassé les traits distinctifs du « Je ». Être capable de marteler cette vision jusqu’à ce qu’elle atteigne le lecteur au point de l’émouvoir au niveau subliminal, universel, des réponses somatiques involontaires et non plus simplement au niveau confus et self-conservateur de la « critique » verbalisée. Déplacer cette lutte d’un combat solitaire à un combat partagé, un acte coopératif entre un créateur et un auditoire sélectionné, impliqué, qui devient lui aussi créateur, déifié par la participation… N’est-ce pas merveille ?

Après « L’une rêve, l’autre pas » et « Les hommes dénaturés », les éditions ActuSF continuent de nous faire découvrir la biographie de Nancy Kress, prolifique autrice américaine bardée de prix littéraires et écrivant depuis des années sur la science, ses évolutions et les questions éthiques qu’elles soulèvent. « Méfiez-vous du chien qui dort » est un recueil composé de six nouvelles, toutes déjà publiées en français, et parues entre 1981 et 2000. Difficile pourtant de s’imaginer que certains de ces textes ont quarante ans, tant ils raisonnent encore aujourd’hui avec l’actualité. De taille plus ou mois variables, toutes les nouvelles sont de qualité, et séduisent aussi bien par leur modernité que par leur variété. Société futuriste où les modifications génétiques sont légion, exploration spatiale, expérimentation scientifique visant à prouver l’existence de « dieu », princesse enfermée dans un château ensorcelé… : voilà un bref aperçu des nombreux sujets abordés, et par extension de la richesse contenue dans cet ouvrage.

Retour chez les Insomniaques

« Méfiez-vous du chien qui dort », nouvelle chargée d’ouvrir le recueil, est le texte le plus long, et sans doute le plus passionnant. L’autrice nous plonge à nouveau dans l’univers de « L’une rêve, l’autre pas » et dépeint un futur proche dans lequel des centres de recherches expérimentent avec succès depuis des années des modifications génétiques. Après les enfants « améliorés » pour ne plus jamais dormir, voilà que certains envisagent de recourir au même procédé, mais cette fois sur des chiens. Le but ? Les vendre comme « gardiens », avec évidemment pour argument qu’ils seront plus efficaces que leurs homologues dormeurs, puisqu’ils peuvent surveiller le périmètre qui leur est alloué 24h/24. Une famille composée d’un père et de ses trois filles, se porte volontaire pour tenter l’expérience et accueillir chez elle une de ces portées génétiquement modifiées. La situation va toutefois vite dégénérer. Difficile encore une fois de se dire que le texte a vingt ans puisqu’il n’a pas pris une ride. Questions éthiques, expérimentations bâclées pour des questions de rentabilité, surveillance de masse, lobbying… : autant de thématiques traitées avec subtilité par l’autrice qui dresse le portrait d’une société tout à fait convaincante et donc d’autant plus glaçante. La fascination du lecteur pour le récit est également renforcé par la personnalité de l’héroïne, une jeune femme dotée d’une force de caractère incroyable et à laquelle on s’identifie aussitôt, quand bien même (ou peut-être justement parce que) certaines de ses actions peuvent paraître discutables.

L'une rêve l'autre pas

Vive la sécurité sociale !

« La montagne ira à Mahomet » est un texte plus court mais tout aussi intéressant. La société dépeinte pourrait tout à fait être la même que la précédente : nous sommes dans une Amérique futuriste proche, dans laquelle les compagnies d’assurance peuvent désormais refuser de couvrir les gens dont l’analyse génétique faite à la naissance révèle une tendance à certaines maladies. Or, pour avoir un travail et se faire soigner, il faut être assuré… Difficile là encore de ne pas faire le lien avec l’actualité, l’autrice nous dépeignant une société où tout doit être rentable, y compris la santé, et où les plus vulnérables se retrouvent abandonnés et marginalisés. L’intrigue est bien ficelée, le personnage du médecin, dépassé par le complot dans lequel il se retrouve entraîné, attachant, et la démonstration des terribles effets causés par la marchandisation de la santé implacable. « Dans un pays civilisé, tous devraient profiter de la sécurité sociale ». Amen ! La nouvelle suivante, « Notre mère qui dansez » est sans doute celle qui m’a le moins enthousiasmée (et c’est heureusement l’une des plus courtes du recueil). L’autrice y met en scène un groupe d’extraterrestres venus constater de quelle manière la civilisation qu’ils avaient implanté sur une planète il y a des siècles s’en est sortie. La plume de Nancy Kress est toujours aussi agréable, et les thématiques traitées intéressantes (ici le point de vue extraterrestre nous pousse à nous défaire de nos préjugés concernant le genre ou encore la famille), mais j’ai toujours eu du mal avec ce type de récit dont le conteste ne me parle tout simplement pas.

La science, dieu et l’écriture

On retrouve avec « Trinité » les thématiques chères à l’autrice de même que l’univers futuriste dans lequel prennent place la plupart de ses textes. Cette fois, Nancy Kress nous entraîne à la découverte d’un curieux centre expérimental dans lequel des cobayes volontaires vivent une vie d’ascèse et se livrent à des expériences physiques et sensorielles afin d’identifier la présence de « dieu ». Les expérimentations menées sur les jumeaux sont celles qui paraissent les plus prometteuses, or Dervie, l’une des participantes, a un clone, qui ignore tout de son existence. Celle-ci charge alors sa sœur de le lui ramener, et de le convaincre de rejoindre le programme expérimental. Seena, elle, a d’autres plans : sauver la vie de sa sœur et la sortir de ce centre qu’elle considère comme une secte dont les expérimentations ne reposent sur aucun fondement scientifique. Clonage, inceste, spiritualité, limites de la science… : encore une fois les thématiques traitées sont passionnantes et l’angle adopté par l’autrice soulèvent énormément de questions fascinantes auxquelles celle-ci se garde bien de répondre. Des questions, la nouvelle suivante en pose également un paquet, mais dans un autre domaine : celui de l’écriture. « Des ombres sur le mur de la caverne » met en scène une société dans laquelle les écrivains peuvent désormais s’offrir les services d’un c-aud, des spécialistes chargés d’étudier les réactions émotionnelles et cognitives de lecteurs cobayes à la lecture d’un texte, afin d’informer l’auteur de ce qui fonctionne ou pas dans son récit. Une perspective à la fois grisante et glaçante et que l’autrice aborde là encore avec beaucoup d’intelligence. « Brise d’été », chargée de clore le recueil, est une nouvelle très courte, s’inscrivant cette fois davantage dans le registre de la fantasy puisqu’y est mis en scène une princesse attendant désespéramment dans un château figé qu’un prince vienne la délivrer, et assistant, année après année, au massacre des prétendants par la végétation du palais. Un texte de prime abord assez classique mais dans lequel l’autrice se joue des clichés davantage qu’elle ne les réutilise.

« Méfiez-vous du chien qui dort » réunit six nouvelles très différentes les unes des autres mais toutes très réussies. Difficile de rester de marbre face à la sensibilité de l’autrice qui parvient toujours à dépeindre des personnages ambigus qui séduisent autant par leur vulnérabilité que par leur force de caractère. La modernité des thématiques scientifiques et sociétales traitées (clonages, modifications génétiques, marchandisation de la santé…) force également le respect et permet à ces textes de ne pas paraître datés, alors même que l’écriture de certains d’entre eux remontent à quarante ans. Chapeau !

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur

Critique réalisée dans le cadre du challenge S4 F3

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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