Science-Fiction

L’une rêve, l’autre pas

Titre : L’une rêve, l’autre pas
Auteur : Nancy Kress
Éditeur : ActuSF (collection Hélios)
Date de publication : 2017 (septembre)
Récompenses : Prix Nebula (novella) 1991 ; Prix Hugo (novella) 1992 ; Asimov’s (prix des lecteurs) 1992 ; Grand Prix de l’Imaginaire (nouvelle étrangère) 1995

Synopsis :  Alors que deux jumelles viennent au monde, l’une d’entre elles bénéficie d’une modification génétique qui lui permet de ne plus dormir. Huit heures d’éveil de plus par jour, un rêve pour apprendre, vivre et découvrir le monde… Huit heures qui feront aussi d’elle, un être à part.
Bibliocosme Note 4.0

Que vous soyez sujets aux insomnies ou au contraire gros dormeur, une chose ne change pas : vous avez besoin de dormir. Or si cette période plus ou moins longue d’inactivité est vécue par certains comme un moment agréable permettant de faire le vide ou redescendre la pression, d’autres ne voient dans le sommeil qu’une perte de temps. Imaginez un peu tout ce que l’on pourrait faire en plus si notre corps n’avait pas besoin de ce temps de repos ? Aucune heure à consacrer au sommeil, c’est autant de temps passé à lire, à apprendre, à s’entraîner, à profiter de la vie.., bref, à aller au bout des capacités de notre corps et de notre cerveau. C’est en tout cas ce dont est persuadé Roger Camden qui entend offrir cette possibilité à sa future fille qu’il charge des spécialistes de modifier génétiquement directement dans le ventre de sa mère. Ce que le père exigeant n’avait cependant pas anticipé, c’est qu’un autre bébé parviendrait à se développer parallèlement au premier : or, si Leisha est bien ce qu’on appelle une « non-dormeuse », ce n’est pas le cas d’Alice qui, elle, a bel et bien besoin de sommeil. Novella bardée de prix littéraires plus prestigieux les uns que les autres (Prix Hugo, Prix Nebula, Grand Prix de l’Imaginaire…), « L’une rêve, l’autre pas » nous propose de suivre le parcours de ces deux sœurs au caractère diamétralement opposé et entre lesquelles se creuse un gouffre de plus en plus grand à mesure que l’on réalise les avantages que représentent le fait de ne jamais avoir à dormir. En seulement cent vingt pages, Nancy Kress aborde un certain nombre de thématiques qui interrogent notre société d’aujourd’hui et qu’elle traite avec beaucoup de finesse, qu’il s’agisse des dangers et potentialités de la mutation génétique, du communautarisme, ou encore de la différence et de ce qu’elle peut faire naître de pire ou de meilleure chez les individus.

La relation entre les deux sœurs est évidemment au cœur du récit, et si on se prend plus volontiers d’affection pour Leisha, on n’en suit pas moins avec beaucoup d’émotion l’évolution de leur relation. Nancy Kress possède une plume fluide mais aussi très sensible qui parvient sans mal à émouvoir le lecteur et donne vie à des personnages profonds et touchants (quand bien même les positions de certains ne les rendent pas particulièrement sympathiques). C’est le cas bien sûr d’Alice et Leisha mais aussi de leurs parents, l’un et l’autre reportant leur amour sur une seule de leur fille (la mère par rejet de la spécificité de l’une, le père par dédain pour la médiocrité de l’autre) ou encore des autres « non dormeurs ». Car à travers la vie de Leisha, c’est aussi celle de toute cette nouvelle communauté que l’auteur retrace, l’engouement et l’effervescence des premières années se transformant au fil du temps en méfiance, puis en peur et en haine dès lors qu’il apparaît que les capacités physiques et intellectuelles de ces enfants modifiés génétiquement surpassent de beaucoup celles des « simples » humains. La rapidité avec laquelle cette minorité se retrouve stigmatisée et envisage un repli sur elle-même est d’autant plus effrayante qu’elle paraît tout à fait plausible et c’est évidemment ce qui fait toute la force de ce texte. Malgré les drames qui s’accumulent dans le dernier tiers du récit, l’auteur prend malgré tout le parti de l’optimisme en refusant justement l’idée d’une séparation nécessaire entre les deux groupes et en mettant au contraire l’accent sur tous ce qui lient les individus les uns aux autres, quelque soit leurs différences. Un mot, pour terminer, sur l’aspect scientifique du récit qui est relativement léger mais est toute de même bien présent : jamais assez pour rebuter les lecteurs ayant peu de bagage dans le domaine, mais suffisamment pour lui apprendre des choses facilement assimilables sur le sommeil et certaines propriétés de notre anatomie.

Difficile de ne pas adhérer à l’engouement rencontré par ce texte lors de sa parution tant « L’une rêve, l’autre pas » propose une réflexion sensible et intelligente sur des sujets de société qui n’ont pas fini de nous interroger. A noter que cette édition proposée par la collection Hélios est agrémentée d’une brève interview de l’auteur permettant de retracer son parcours littéraire et de se faire une idée de ses thèmes de prédilection.

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Jean-Philippe Brun (L’ours inculte) ; Les chroniques du chroniqueur ; Lhisbei (RSF Blog) : Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres)

Critique réalisée dans le cadre du Challenge Summer Short Stories of SFFF

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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