Les Damnés de la Commune, tome 2 : Ceux qui n’étaient rien
Titre : Ceux qui n’étaient rien
Cycle/Série : Les Damnés de la Commune, tome 2
Auteur : Raphaël Meyssan
Éditeur : Delcourt [site officiel]
Date de publication : 13 mars 2019
Synopsis : Retrouvez Victorine et Lavalette, acteurs anonymes et exemplaires de la Commune de Paris qui dura un peu plus de deux mois. L’auteur nous en offre une vision fascinante au travers de gravures contemporaines des évènements.
18 mars 1871. La Commune de Paris est proclamée devant l’Hôtel de Ville. Lavalette est de ceux qui prononcent des discours couverts par la clameur et les chants de la foule. Débute alors une étrange révolution dans laquelle ceux qui prennent le pouvoir commencent par le rendre en organisant des élections. Personne n’imagine que tout finira dans un bain de sang 72 jours plus tard…
De cette toute première réunion du Comité central à l’Hôtel de Ville, il n’existe aucune archive.
Personne n’a pensé à rédiger un compte-rendu.
Pourtant, de cette réunion est sortie la décision la plus importante et la plus surprenante du Comité, celle qui va fonder la Commune de Paris.
Depuis des mois, ses membres rêvaient de l’Hôtel de Ville.
À présent, ils y sont. Ils ont le pouvoir.
Leur première décision… est de le rendre.
À la fin du jour, une affiche signée par Lavalette et tous les membres du Comité annonce l’organisation d’élections à la Commune de Paris.
« Citoyens,
Aidés par votre généreux courage et votre admirable sang-froid, nous avons chassé ce gouvernement qui nous trahissait. À ce moment, notre mandat est expiré, et nous vous le rapportons, car nous ne prétendons pas prendre la place de ceux que le souffle populaire vient de renverser.
Obscurs il y a quelques jours, nous allons rentrer obscurs dans tes rangs, et montrer aux gouvernants que l’on peut descendre, la tête haute, les marches de ton Hôtel de Ville. »
Le deuxième tome d’une trilogie est souvent le plus complet, le plus dense, car il n’a pas forcément à s’embarrasser d’introduire ou de conclure une histoire. Avec cette suite des Damnés de la Commune, par Raphaël Meyssan chez les éditions Delcourt, il y avait de quoi faire pour nous rappeler les événements inhérents au lancement de la Commune, notamment de Paris, en 1871.
Retour au cœur de la Commune
De début mars à début mai, ce deuxième tome nous décrit au plus près les événements de la Commune de Paris. Dès son lancement, contre l’attente de la bourgeoisie parisienne et des dirigeants monarchistes, elle organise des élections. Alors qu’elle est assiégée par l’armée prussienne au nord et à l’est et par l’armée versaillaise au sud et à l’ouest, la Commune de Paris se lance dans une campagne électorale afin de rendre le pouvoir au peuple de citoyens ! Ces « sans-dents », ces « fainéants », ces « illettrés », ces « gens qui ne sont rien » en veulent à l’oligarchie et désirent remettre au pouvoir les simples citoyens. Le problème, c’est que le temps ne joue pas pour eux : même s’ils s’organisent très vite, la démocratie (la vraie, la directe) est gênée par ceux qui veulent ralentir la prise de pouvoir des classes populaires, des prolétaires. Ce deuxième tome narre les événements qui déclenche la mise en place de la Commune et les raisons (toutes simples au fond) qui la bloquent dès le départ et cherchent à l’anéantir alors qu’elle est toute neuve.
Un style accrocheur
Dans la lignée du premier tome, Raphaël Meyssan a poursuivi son travail de recherche et de collecte de documents d’époque pour illustrer son récit. Il utilise donc toujours le même processus graphique de découpage et de montage de très nombreuses gravures de la fin du XIXe siècle ; cela donne une certaine dynamique à des images figées par le temps. De plus, malgré les événéments horribles et particulièrement tristes qui surviennent dans cette année 1871, l’auteur réussit à glisser un peu d’humour dans les répliques des personnages ou dans les références utilisées, soit désuètes soit au contraire contemporaines et donc un peu anachroniques afin de nous montrer les pensées finalement très actuelles qui traversent ces événements de la Commune.
Une portée politique si actuelle
Clairement, là où l’auteur avait construit le premier tome à partir d’une anecdote personnelle et de la traque des archives afin de montrer l’enchaînement des événements, il fonde ce deuxième tome sur la réhabilitation des classes populaires qui ont mené ce mouvement et dont on oublie le rôle. Vous pensiez que la Commune n’était aucunement féministe et au contraire aussi machiste que son époque ? l’auteur replace les femmes dans l’action, en première ligne, et il n’y a pas que Louise Michel qui compte. Vous pensiez que la Commune était uniquement celle de Paris de 1871 ? l’auteur fait un tour de France des initiatives populaires et autogestionnaires pour montrer que le mouvement fut national, et réprimé toujours de la même manière, dans le sang. Comme Gérard Noiriel le montre dans son Histoire populaire de la France, la Commune de 1871 est un des cinq moments de réelles avancées politiques pour les droits des citoyens, sociétales pour le droit des minorités, sociales pour des vies plus décentes du plus grand nombre, et économiques pour un changement dans la répartition des décisions et des richesses (quelques mois en 1793-1794, quelques semaines en 1848, deux mois donc en 1871, quelques mois en 1936-1937 et quelques mois en 1944-1946). Alors même que les conditions de vie, de travail et de paix sont largement compromises, des avancées très importantes sont faites grâce à un rapport de force imposé par le bas.
Dans la forme comme dans le fond, ces Damnés de la Commune montrent des éléments non neufs, au sens où ils seraient juste découverts, mais dépoussiérés car on les oublie trop souvent ou on les passe sous silence. Il faut se battre pour se souvenir des batailles passées.
Les habitants des quartiers bourgeois de Paris ne trouvent pas de mots assez durs contre cette populace qui veut gouverner la ville.
L’histoire Albert Sorel écrit à sa mère… « Toute la canaille de l’Europe est à Paris. C’est la grande lutte de la démagogie contre la civilisation. »
L’écrivain Edmond de Goncourt note dans son journal… « On ne peut se figurer la souffrance qu’on éprouve, au milieu du despotisme sur le pavé, de cette racaille déguisée en soldats. »
Dans des lettres à sa femme, le futur académicien Hippolyte Taine se plaint… « Aujourd’hui, les gens du ruisseau votent, sont nommés et triomphent. Nous sommes assis dans la boue. »
J’entends les mots ricocher dans le temps.
« Au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux de travailler. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! »
« Il y a les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. »
« Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrés. Ce sont des fainéants ! »
« Des sans-dents ! »
« La réforme, oui ! La chienlit, non ! »
« Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser ! »
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