Fantastique - Horreur

Le dieu dans l’ombre

Titre : Le dieu dans l’ombre
Auteur : Megan Lindholm (alias Robin Hobb)
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2019 (1991 pour la version originale)

Synopsis : Evelyn a vingt-cinq ans, un époux, une belle famille et un enfant de cinq ans. Quand elle était jeune fille, elle avait la compagnie des forêts de l’Alaska, de la poésie de la nature et de Pan, un faune mystique. Un jour, il disparut. Elle n’aurait jamais cru que la créature irréelle surgirait à nouveau dans sa vie et agiterait en elle ces émotions fantasmatiques et sensuelles. A mi-chemin entre la civilisation et la nature, sous le couvert des arbres glacés, Evelyn devra faire face à des choix terribles. Trouvera-t-elle son chemin dans l’ombre ?

 

Tandis que je l’observe, l’amour me submerge. Non pas pour Pan en particulier, mais pour ce qu’il est. Le dernier chaînon d’un mythe, d’une espèce étrange, compagnon de la mienne depuis tant et tant de générations. J’avais lu sur toi avant de te connaître, je t’avais aimé, avais révéré le dieu de la forêt, au-delà de tout enseignement civilisé. Je t’aime comme j’aime les loups hurlant dans la forêt et les baleines dans la mer, comme j’aime tout ce qui est sauvage et en passe de disparaître.

Robin Hobb, ce n’est pas que de la fantasy !

Le nom de Megan Lindholm ne vous dit peut-être rien, mais vous avez sans doute déjà entendu parler de Robin Hobb, pseudonyme sous lequel l’autrice a publié ses œuvres les plus célèbres, de « L’assassin royal » au « Soldat chamane » en passant par « Les aventuriers de la mer » ou « Les cités des anciens ». Si le grand public a eu des années pour se familiariser avec le volet estampillé « fantasy » de la production de l’autrice, ses écrits relevant du fantastique sont, eux, bien moins connus. Et c’est bien dommage, car si les romans de Robin Hobb sont effectivement incontournables, ceux signés Megan Lindholm sont également d’une excellente qualité. En témoigne « Le dieu dans l’ombre », ouvrage déjà publié en France au début des années 2000 et dont les éditions ActuSF propose cet été une nouvelle édition. Le récit met en scène une jeune femme du nom d’Evelyn qui a accepté de rester habiter quelques mois chez ses beaux-parents afin que son mari puisse les dépanner sur l’exploitation familiale. Le problème, c’est que notre héroïne n’est pas du tout à son aise dans ce nouvel environnement. Le cadre, d’abord, n’a rien à voir avec les forêts et paysages de son Alaska natal dans lequel elle, son époux et leur petit garçon avaient jusque là élu domicile. Et puis il y a sa belle-famille, charmante au premier abord, mais dont les membres se révèlent très vite habiles manipulateurs et ne cessent de la mettre de côté sans avoir l’air d’y toucher. Enfin, il y a le nouveau mode de vie qu’on lui impose et qu’elle a de plus en plus de mal à supporter : son quotidien se résume en effet à une succession de tâches ménagères pour lesquelles elle n’a aucun goût (et, si on en croit les petites pics de sa belle-mère, manifestement aucun talent), tandis que son mari semble peu à peu se détacher d’elle. Son seul bonheur réside dans le plaisir coupable qu’elle prend à s’aventurer seule dans les bois alentours et à renouer avec un personnage de son enfance, un faune qu’on croirait tout droit sorti d’un mythe antique et qu’elle a baptisé Pan. Seulement ces deux facettes radicalement différentes de son quotidien ne vont pas tarder à entrer en conflit…

Un récit intimiste

Si j’ai pour ma part été très sensible au charme dégagé par ce roman, il faut reconnaître que certains points du récit risquent de ne pas plaire à tout le monde. Premier obstacle : le rythme. Les cent premières pages sont un peu longues, l’auteur perdant un peu trop de temps à détailler les souvenirs d’enfance de son héroïne quand quelques flash-back auraient suffi à poser le décor. De même, la litanie des épreuves endurées par la jeune femme aux côtés de sa belle-famille aurait pu être élaguée : on comprend que le shopping, ce n’est pas son truc, que le ménage la soûle et que l’élégance naturelle de sa belle-sœur et de sa belle-mère la mette mal à l’aise, mais le personnage en rajoute des tonnes et semble se complaire dans son malheur. A force de rabâcher son mécontentement, la jeune femme donne ainsi dans un premier temps l’image d’une chouineuse qui passe son temps à s’apitoyer sur son sort et à se victimiser (si certains parmi vous avaient déjà relevé ce trait de caractère chez Fitz et en avaient été agacés, vous risquez de trouver le personnage d’Evelyn encore plus horripilant). Heureusement, une fois le décor et les personnages posés, le roman comme l’héroïne évoluent de manière positive et se font de plus en plus intrigants. Ne vous attendez pas cela dit à de l’action et des rebondissements à tout va : fidèle à son habitude, l’autrice passe énormément de temps à nous dépeindre le quotidien de ses personnages ainsi que leurs tourments intérieurs (le roman se rapproche par cet aspect à ce qu’a pu faire récemment Jo Walton dans « Pierre-de-vie », par exemple). On pourrait être tenté de trouver cela barbant, d’autant que, mis à part ses rencontres avec Pan, le quotidien de l’héroïne n’a rien de trépident, et pourtant on est littéralement captivé par le combat que mène cette femme pour ne pas perdre pied et ne pas se voir arracher son mari et son petit garçon. Si les rebondissements ne sont certes pas très nombreux, les rares qui viennent troubler la vie du personnage sont suffisamment surprenants et bouleversants pour contenter le lecteur et relancer l’intrigue dans une direction inattendue.

Histoire d’une libération

Si on en vient à lire ce roman de « domestic fantastique » presque comme un thriller, c’est avant tout en raison du lien profond que l’autrice parvient à tisser entre son héroïne et le lecteur. Une fois l’agacement provoqué par les atermoiements initiaux du personnage passé, on se prend rapidement d’affection pour cette jeune femme complètement en décalage avec ce que la société attend d’elle mais qui lutte et qui souffre, sous la pression de son entourage, pour tenter de s’y conformer. Être une épouse soumise et une mère parfaite, toujours chercher le consensus, prendre soin de la maison (et aimer ça !), ne pas chercher à imposer sa volonté… : autant de choses qu’on attend d’elle et auxquelles elle tente de se plier, mais avec constamment le sentiment d’échouer. C’est avant tout le récit d’une libération que nous relate ici l’autrice et, en dépit de son indépendance et de ses capacités, notre héroïne a bien du mal à trouver la force de s’émanciper. C’est en cela que le personnage est attachant, et c’est parce qu’elle doit à ce point se faire violence pour simplement parvenir à s’affirmer en tant qu’individu que le lecteur se sent à ce point investi dans son combat. Il faut dire aussi que, si l’autrice a toujours été douée pour mettre en scène des héros attachants, elle n’a pas non plus son pareil pour créer des personnages odieux au possible. La belle-famille d’Eveyn correspond tout à fait à cette définition, et on est alors tellement en phase avec l’héroïne que chaque remarque déplacée, chaque manipulation ou chaque mensonge exposé est vécu comme une véritable claque. Tom, son mari, est particulièrement horripilant en raison de sa lâcheté et a le don d’éveiller chez le lecteur une froide colère, preuve de l’intensité du lien créé entre celui-ci et l’héroïne.

Il y a encore en moi une étincelle de colère. Mon côté rancunier se demande : est-ce qu’il s’imagine que ça suffit ? Une journée de son précieux temps dans un été de routes poussiéreuses pleines d’ornières ? J’essaie de ne pas entendre la voix méchante. L’amour est patient, l’amour est généreux. L’amour ne connaît pas l’envie. Je me récite la litanie. Il supporte tout, croit tout, espère tout, résiste à tout. L’amour ou la bêtise, c’est l’un de ces deux-là.

Une ode à la nature

L’élément surnaturel du roman pourrait dans un premier temps paraître totalement anecdotique tant la première partie se concentre sur les déboires intimes du personnage, et pourtant la présence de ce faune prend tout son sens au fur et à mesure du récit. Loin de susciter le malaise, l’ambiguïté de la nature de Pan ajoute au contraire au charme et à la complexité de la relation qui se noue progressivement entre l’humaine et le faune. Il est d’ailleurs surprenant de constater la facilité avec laquelle on s’attache à ce personnage compte tenu du peu d’informations que nous fournit l’autrice à son sujet. Le contraste entre la petite vie bien rangée de la fermette familiale et la liberté et la sauvagerie de la forêt constitue l’un des plus beaux tour de force de ce roman qui nous livre, en plus de l’histoire d’une libération, une très belle ode à la nature. De la même manière que l’autrice parvient à nous captiver tout en nous faisant pourtant clairement ressentir le caractère fastidieux des journées passées à la ferme par l’héroïne, la description des excursions de celle-ci au cœur de la forêt est absolument passionnante. L’enthousiasme du personnage est contagieux et permet au lecteur de se familiariser de manière ludique avec la faune et la flore locale, tout en gardant toujours en tête le côté insaisissable et intraitable de cette nature. Ainsi, si les incursions de la jeune femme dans la forêt sont vécues comme de véritables bouffées d’air frais dans la première partie du roman, la seconde met d’avantage l’accent sur le caractère résolument hostile et inaccessible de ce décor pour les humains, et ce quelque soit l’amour qu’on lui porte. La dernière partie du roman comporte quelques longueurs, qu’on pardonne cela dit bien vite tant on est réticent à quitter non seulement les personnages mais aussi ce décor forestier remarquablement dépeint. Douce amère, la conclusion convient tout à fait à l’ambiance du récit et nous fait refermer l’ouvrage sur une note mélancolique, mais aussi et surtout avec la satisfaction d’avoir participé à un très beau conte.

Avec « Le dieu dans l’ombre », Megan Lindholm / Robin Hobb démontre qu’elle est aussi à l’aise pour écrire du fantastique que de la fantasy. Si le roman n’est pas exempt de défauts et court le risque de perdre certains lecteurs en raison de l’apparente passivité de son héroïne ou de la lenteur du rythme, il serait pourtant dommage de passer à côté de ce récit qu’on est tenté d’apparenter à une parenthèse enchantée et qui nous livre un beau portrait de femme, d’amante et de mère. Une excellente découverte.

Autres critiques :
Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel)
Blackwolf (Blog-O-livre)
Célindanaé (Au pays des cave trolls)
Les Chroniques du Chroniqueur
Pause Earl Grey

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

11 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.