Fantastique - Horreur

Ainsi naissent les fantômes

Ainsi naissent les fantômes

Titre : Ainsi naissent les fantômes
Nouvelles : Rêves captifs ; L’heure en plus : Le Remède ; Ma pathologie ; Mezzo-tinto ; La fiancée du dragon ; Le vieux Monsieur Boudreaux
Auteur : Lisa Tuttle
Éditeur : Dystopia / Folio SF
Date de publication : 2011 / 2014
Récompenses : Grand Prix de l’Imaginaire 2012 (meilleur recueil)

Synopsis : Une petite fille séquestrée par un pervers parvient à lui échapper, niais personne ne la croit. Pour enfin parvenir à écrire, une femme s’aménage un bureau dans une pièce qui n’existe pas. Une génération entière d’enfants est dans l’incapacité d’apprendre à parler. Un homme féru d’alchimie fait un bébé d’un genre particulier à sa maîtresse. Une gravure mystérieuse semble surgie de nulle part. Sans trop savoir pourquoi, une étrange jeune femme, obnubilée par les dragons, refuse de se rendre en Angleterre. Une dame de quatre-vingt-seize ans se meurt paisiblement sur un lit d’hôpital à Houston, en pensant à son bon ami, le vieux M. Boudreaux.

Note 4.5

Ainsi naissent les fantômes, dans le sillage d’un rêve éveillé, d’un amour contrarié ou d’un souvenir perdu. Dans le désir, la frustration, le réveil de pulsions pas très avouables, mais si communes, en fin de compte.

 

S’il y a bien une auteur française qui s’est imposée ces dernières années dans le domaine du fantastique, c’est bien Mélanie Fazi. Alors quand celle-ci accepte de se charger de l’élaboration d’un recueil regroupant les meilleurs textes de celle qu’elle considère comme son inspiratrice, difficile de résister à la tentation. Et on comprend en effet très vite l’influence qu’a pu avoir Lisa Tuttle sur le genre en général et sur cet auteur en particulier. Toutefois, si chez Mélanie Fazi le fantastique peut à certaines occasions se révéler plus réconfortant qu’effrayant (voire l’excellente nouvelle « Trois renards »), on bascule presque systématiquement dans l’horreur dans le cas de Lisa Tuttle. Les sept nouvelles au sommaire de ce recueil sont donc pour la plupart très anxiogènes mais d’une qualité littéraire indéniable. L’auteur met essentiellement en scène des personnages féminins qui, par amour, par devoir, par curiosité ou tout simplement par hasard vont se retrouver confrontées à des événements surnaturels qui vont évidemment complètement chambouler leur quotidien et leur comportement « Rien n’est ici plus dangereux qu’une femme amoureuse ou une victime devenue bourreau », nous prévient Mélanie Fazi dans sa préface. L’auteur accorde un soin tout particulier aux émotions de ses personnages mais le décor revêt lui aussi une grande importance, qu’il s’agisse d’une nature sauvage comme celle de la campagne anglaise ou du bayou américain, ou tout simplement d’une maison reflétant la personnalité (ou du moins l’étrangeté) de ses occupants.

Attardons nous à présent sur chacune de ces sept nouvelles. La première chargée d’ouvrir le recueil, « Rêves captifs », nous décrit le clavaire d’une petite fille peinant à faire croire aux circonstances de son évasion de la maison dans laquelle un pervers l’avait séquestré. Un texte très oppressant car très immersif et doté d’une chute tout bonnement glaçante. La nouvelle suivante, « L’heure en plus », est sans doute la nouvelle la moins anxiogène du recueil et aussi celle qui m’a le plus touchée. Elle met en scène une mère de famille se désolant de ne pas avoir assez d’heures dans une journée pour concilier sa vie de famille et son désir d’écrire et qui se voit offrir l’accès à une pièce coupée du monde et du temps dans laquelle elle peut laisser libre court à sa créativité. Le texte prend la forme du journal intime de cette écrivaine en herbe à laquelle on s’identifie sans mal tant ses préoccupations parleront à n’importe quel lecteur : qui n’a jamais rêvé de n’avoir ne serait-ce qu’une petite heure de plus dans la journée ? Difficile également de ne pas s’identifier aux deux jeunes femmes de la nouvelle « Le remède » basée sur une idée géniale mais terrifiante : et si le langage était un virus que notre système pourrait un jour décider d’éliminer ? Avec « Ma pathologie » Lisa Tuttle s’attaque ensuite à un thème récurrent dans ses écrits : la grossesse. Le texte met en scène une jeune femme s’éprenant d’un certain Daniel, un féru d’alchimiste, avec qui elle entame une relation passionnée qui ne va toutefois pas tarder à tourner au drame.

Les trois dernières nouvelles sont sans doute celles qui m’ont le moins marqué, bien que j’ai également pris beaucoup de plaisir à les découvrir. Dans « Mezzo-tinto » une jeune femme venue s’installer dans la maison d’enfance de son amant y découvre un jour l’existence d’une étrange gravure qu’elle n’avait jamais remarqué. Un bel hommage à l’auteur M. R. James et une angoisse qui ne fait que monter au fil des pages tant on sent bien que quelque chose cloche avec cette maison, et ce malgré l’aspect à priori tout à fait banal du couple. On retrouve cette même tension et ce même sentiment d’oppression dans « La fiancée du dragon ». La nouvelle met en scène une jeune femme qui, après un voyage en Angleterre datant de son enfance mais dont elle ne se rappelle pas, refuse de remettre les pieds en Albion. Sa rencontre avec un jeune homme et la mort de l’un de ses proches vont toutefois la forcer à revoir ses positions. Un texte plus long que les autres et qui n’est pas sans quelques défauts mais que j’ai personnellement trouvé intéressant et qui laisse cette fois la parole à un personnage masculin. Le recueil se clôt avec une nouvelle un peu plus douce, « Le vieux Monsieur Boudreaux », dans laquelle une femme se rend au chevet de sa mère mourante qui lui fait promettre de veiller sur le compagnon de sa grand-mère censé être mort il y a des décennies. Un beau texte, plein de mélancolie mais dont la fin est peut-être un peu trop abrupte. L’ouvrage comprend également en bonus un entretien entre Mélanie Fazi et Lisa Tuttle qui nous en apprend un peu plus sur son travail d’écriture.

 

« Ainsi naissent les fantômes » est donc un excellent recueil qui ne manquera pas de ravir les amateurs de fantastique qui apprécieront certainement le délicieux frisson d’angoisse que leur procureront ces sept histoires horrifiques signées par l’une des auteurs les plus marquantes du genre. A découvrir !

Autres critiques : Blackwolf (Blog-O-Livre) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Lune (Un papillon dans la lune) ; Mariejuliet (Les lectures de Mariejuliet) ; Ptitetrolle (Lectures trollesques) ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Critique réalisée dans le cadre du Challenge ABC Littératures de l’Imaginaire 2016

Challenge ABC littératures de l'imaginaire 2016

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

5 commentaires

Répondre à La Critiquante Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.