Fantastique - Horreur

Méduse

Titre : Méduse
Auteur : Martine Desjardins
Éditeur : Alto / L’Atalante
Date de publication : 2020 / 2023

Synopsis : On la surnomme Méduse depuis si longtemps qu’elle en a oublié son véritable prénom. Elle marche tête baissée, le visage caché derrière ses cheveux, pour épargner aux autres la vue de ses Difformités. Elle-même n’a jamais osé se regarder dans un miroir. Placée dans un institut pour jeunes filles à la merci d’adultes peu scrupuleux, Méduse n’a de cesse d’accéder à la bibliothèque des lieux, seul moyen pour elle de s’ouvrir à la connaissance du monde. À force de ruse et de prise de conscience des pouvoirs de ses globes oculaires, qu’elle se garde longtemps de dévoiler, elle nous entraîne dans sa croisade contre l’oppression et la honte du corps.

Un mythe grec modernisé

Précédemment édité par les Éditions Alto, « Méduse » de Martine Desjardins vient tout juste d’être republié chez L’Atalante qui présente l’ouvrage comme « un roman d’apprentissage, gothique et féministe ». Forcément ça m’intéresse. Le texte est court (un peu plus de deux cent pages) et, si la lecture est intéressante, le sentiment qui prédomine une fois la dernière page refermée est celui d’étrangeté et de malaise. La première chose qui étonne lorsqu’on entame la lecture est que l’autrice ne nous fournit aucune indication précise quant au lieu et à l’époque auxquels se déroule l’intrigue. Cette absence de repères spatio-temporels instaure dès le départ une ambiance atypique, tout en paraissant revendiquer l’intemporalité du mythe de Méduse, cette fameuse figure issue de la mythologie grecque, changée en monstre par Athéna après avoir été violée par Poséidon et avec laquelle notre héroïne partagent bien des similitudes. L’histoire nous est en effet narrée par une jeune fille surnommée Méduse et qui, pour une raison que l’on ignore, est condamnée à ne croiser le regard de personne au sein de la demeure familiale. Son quotidien se résume à des heures passées recluse dans sa chambre et à de brèves sorties à l’extérieur lorsqu’une tempête incite les voisins à se calfeutrer chez eux. Ses parents comme ses sœurs ne lui manifestent aucune affection et expriment même ouvertement le dégoût qu’elle leur inspire, bien que ses yeux demeurassent toujours cachés ou baissés. Et puis, après un incident de trop, la simple présence de Méduse finit par leur être insupportable. Le père prend alors la décision de la faire interner dans un institut isolé dédié aux filles atteintes de malformations physiques, aussi diverses soit elles. Un institut financé par de mystérieux « Bienfaiteurs » qui demandent fréquemment à rencontrer les pensionnaires pour des soirées privées, et autour duquel règne une aura malfaisante.

Une ambiance glauque au service d’un propos féministe

Le propos de l’autrice dans ce roman est intéressant, et le message féministe assez explicite. Le récit permet de mettre en lumière les violences et l’invisibilisation forcée dont sont victimes de nombreuses jeunes filles, et ce grâce à un procédé narratif habilement utilisé. L’autrice se réapproprie en effet l’une des particularités du mythe de Méduse (le pouvoir pétrifiant de ses yeux) pour le placer au service de son message, et il faut avouer que le résultat est plutôt réussi. Le roman se révèle toutefois franchement glauque, et l’ambiance malsaine qui entoure l’institut et le quotidien des pensionnaires rend parfois la lecture malaisante. Aussi, si aucune scène ne dépeint de façon explicite des violences sexuelles commises à l’encontre des mineures, le lecteur est lui même tenté de faire le rapprochement à partir du moment où l’héroïne commence à relater les soirées passées aux côtés des donateurs de l’institution. Soirées au cours desquelles les jeunes filles, droguées, se voient soumises à des jeux habituellement associés à l’innocence mais qui prennent ici des tours bien cruels. Autant de passages franchement dérangeants qui servent, certes, le propos du roman mais dont la lecture se révèle très inconfortable. Les personnages qui gravitent dans l’entourage de Méduse, qu’il s’agisse de la directrice de l’institut, des bienfaiteurs ou encore des membres de sa famille, sont pour la plupart tout aussi déstabilisants. L’héroïne ne possède en effet aucun véritable allié, tous éprouvant pour elle de la crainte ou une fascination malsaine qui les poussera à tenter de l’asservir. Le seul personnage véritablement humain dans cette histoire est finalement Méduse elle-même, une jeune femme qui peut parfois heurter par le détachement ou la froideur dont elle fait preuve, mais à laquelle on ne peut s’empêcher de s’identifier.

Martine Desjardins signe avec « Méduse » un roman insolite dans lequel elle se réapproprie le mythe grec éponyme en en soulignant le potentiel féministe et émancipateur. L’ambiance qui imprègne le récit est quant elle très particulière et pourra mettre certain.e mal à l’aise dès lors qu’il implique des violences commises à l’égard d’enfants.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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