L’Homme aux semelles de foudre
Titre : L’Homme aux semelles de foudre
Auteur : Yal Ayerdhal
Éditeur : Les Moutons électriques (Hélios) (fiche officielle)
Date de publication : 4 juin 2015 (1ère édition en 2000 chez Flammarion, Quark Noir)
Synopsis : Voir son frère de cœur devenir ennemi public n°1, il y a de quoi vous saper le moral. Se voir chargé de l’arrêter pour le livrer à qui de droit, ça tourne carrément au cauchemar.
Un cauchemar bien réel pour Mark Sidzik : Markus Weinmar, son ami et son frère, l’apôtre de l’éthique des énergies, s’est transformé en machine à tuer. Et lui seul peut le retrouver. Faire couler le sang des pollueurs ne relève déjà plus de l’écologie. Mais comment expliquer que les foudres de Markus s’abattent, de préférence, sur les champions de l’énergie propre ? À ce stade, ce n’est pas la folie qu’il convient d’invoquer. C’est une manipulation géante…
Ayerdhal est l’un des grands auteurs contemporains de thriller et de science-fiction. Il a signé des chef-d’œuvre tels que Transparences, Demain une oasis ou Bastards. Avec un imaginaire qui se situe le plus souvent entre le rythme des thrillers les plus haletants et une science-fiction des plus spéculatives, et qui dans cette intrigue mêlant polar et écologie est plus pertinente que jamais — et même : impertinente, dans la manière dont elle aborde certains sujets.
On continue à crever de faim au Biafra, comme on crève de faim en Erythrée, et des dictateurs de pacotille s’en mettent plein les comptes en Suisse en refilant des concessions aux multinationales pour que celles-ci vendent aux nations riches de l’essence vaguement moins polluante ! Ou alors on pollue le golfe de Guinée pour que les bagnoles roulent plus propre à Paris, à Londres ou à New York ! Le tout en interdisant aux nations en voie de développement de polluer la précieuse planète des pays industrialisés.
Encore un Hélios dans la poche ! Les Moutons électriques, dans cette collection partagée entre les Indés de l’Imaginaire (ActuSF, Mnémos et donc les Moutons électriques), nous proposent une réédition en poche (et donc en Hélios Noir) d’un thriller de Yal Ayerdhal paru en 2000 chez Flammarion (dans la collection Quark Noir), L’Homme aux semelles de foudre.
Attardons-nous un petit peu sur l’objet. Sylvie Chêne livre pour cette réédition en poche une couverture très énigmatique où s’esquisse l’idée d’écologie à conquérir entre le tout petit animal noyé dans une ambiance pneumatique. En tout cas, cela s’incorpore efficacement à la charte graphique des Hélios avec une couverture stylisée et l’initiale de l’auteur en surbrillance, mais encore plus à celle du label Hélios Noir, puisque les polars et thrillers y voient plus spécifiquement leurs teintes extérieures s’assombrir. Personnellement, j’aime beaucoup la volonté des Indés de l’Imaginaire d’orienter une partie de leurs Hélios vers la littérature policière et polardeuse ; ce projet l’associe efficacement aux littératures de l’imaginaire (science-fiction, fantasy, fantastique, horreur).
L’Homme aux semelles de foudre met en scène en personnage central, Mark Sidzik, agent de WER, World Ethics and Research, chargé d’une nouvelle enquête. Nouvelle, pourquoi ? Parce que ce Mark Sidzic est/était en fait un personnage partagé par plusieurs auteurs au sein de la collection Quark Noir de Flammarion. Ainsi, Jean-Pierre Andrevon, Pierre Bordage et plusieurs autres ont donné à cette personnalité un flot de missions normalement complémentaires.
Or, ici, Mark Sidzik a un léger souci : on lui attribue l’enquête chargée d’élucider des actes terroristes à travers le monde envers des entreprises liées de près ou de loin aux enjeux des énergies renouvelables, mais surtout le premier suspect est son ami de toujours, Markus Weinmar. Ajoutez-lui une grand-mère, Joanna, plus dynamique que la moyenne, un ami fidèle mais trop curieux, Fred Cailloux, une « presque petite amie », Lanh, particulièrement collante et une bombe destructrice (oui, je sais) en la personne de Nathalie, sorte de Nikita ayerdhalienne (type de personnage qui semble être traditionnel chez Ayerdhal), et vous aurez un bon petit panel de relations tissées autour du personnage principal. Il faut dire qu’en ce qui concerne ses personnages Ayerdhal a bien esquissé les choses : en quelques mots, il est facile de retenir leur trait de caractère principal et ce qui va retenir notre attention chez eux. C’est un procédé simple, mais pas simpliste, et surtout il est efficace, ce qui est bien la moindre des choses dans un thriller de cet acabit.
Dès le départ, d’ailleurs, Yal Ayerdhal pose un style particulier : percutant et franc du collier, on reconnaît sa patte assez vite, par exemple dans une phrase du premier chapitre comme « La moto est noire, le casque est noir, mais son humeur les rend pâlots. », c’est tout bête, mais on s’y retrouve ; ensuite, il multiplie les descriptions des moindres faits et gestes, on a affaire à un focus cinématographique mais bien fait (car ce style « ciné » a, désormais, été largement galvaudé par de mauvais descripteurs) ; ici, l’auteur pose directement son premier objectif : laisser de côté cette possibilité de l’imagination du lecteur pour focaliser l’attention de celui-ci sur le contenu en lui-même : la dénonciation des grandes compagnies de biocarburants qui favorisent la déforestation de territoires entiers et paupérisent une bonne part du tiers monde. Dans ce contexte, notons d’ailleurs que cet Hélios Noir propose une version corrigée par l’auteur, notamment afin d’actualiser quelques références comme la catastrophe de Fukushima.
Indubitablement, l’intention de l’auteur que retiendra le lecteur est la vertu réflexive de ce thriller en matière d’écologie. En effet, le quatrième de couverture se confirme très rapidement : Ayerdhal se fait encore plus impertinent qu’à son habitude dans ce thriller haletant. Les interventions en ce sens ne sont que très rarement subtiles, car nous avons affaire à quelques longs passages pédagogiques en la matière, mais c’est efficace et il est facile de sentir que l’auteur ne s’est pas inventé des convictions pour l’occasion, loin de là. Tout y passe, ou presque : les multinationales occidentales qui pillent les autres continents en affirmant dépolluer massivement, les aficionados des énergies renouvelables qui polluent davantage que celles qu’elles ont remplacé, les congrès plus politiques que scientifiques, mais aussi les services secrets de tout pays et les impérialismes qu’ils représentent.
Certaines confusions viendront sûrement émailler l’esprit du lecteur, malgré tout. Déjà pourquoi avoir deux Mark en têtes d’affiche ? Certes, cela crée de fait une petite piste de réflexion sur la relation entre les deux – les hypothèses de connivence entre eux deux peuvent aller très loin chez certaines lecteurs acharnés aux complots littéraires de toute sorte – mais ce n’est pas pratique quand les dialogues ne précisent plus la différence. Ensuite, comment comprendre ce titre « L’Homme aux semelles de foudre » ? Au cours d’une action terroriste en particulier, la foudre vient s’abattre sur un projet qui en était tout à fait protégé : le lien semble évident ; pourtant, j’ai beau faire, l’assemblage de ces trois entités (Homme, semelles, foudre) reste nébuleux après lecture et ne me satisfait toujours pas. Enfin, si le contenu est étayé et les personnages bien vivants, l’intrigue mérite-t-elle un détour franc et sincère ? Pas complètement, car au fond nous suivons une chasse à l’homme assez simple avec des étapes choisies de façon étrange (les escales en Allemagne et en Corse, par exemple) et qui donnent surtout l’impression unique de vouloir rôder du côté de l’aventure « à la James Bond », dirait-on désormais (une ville, une fille, une baston). En tout cas, on dézingue bien comme il faut, avec un certain sens du détail encore une fois… L’alternance se révèle donc parfois bizarroïde entre quelques discours pompeux sur des enjeux cruciaux pour notre avenir et des scènes d’une violence « défouloir », comme pour nous faire culpabiliser de savoir mais de ne rien faire. Pour notre bien de lecteur, laissons donc de côté ces facilités et ces gros sabots.
C’est en somme à un thriller très axé sur le politico-écologique auquel vous devez vous attendre en attaquant L’Homme aux semelles de foudre. Avec une pensée de fond travaillée et des personnages bien campés, Ayerdhal réussit à nous faire passer un agréable moment.
2 commentaires
Sandrine
Pas facile quand on milite pour quelque chose de ne pas avoir, à un moment ou à un autre et d’une certaine façon, un ton « moralisateur » (du genre « voyez comme c’est mal »). Généralement, Ayerdhal s’en sort bien…
Dionysos
Oui, oui. Comme je dis il peut être parfois un peu forcé dans le pédagogique, mais cela passe bien.