Récit contemporain

La 25e Heure du Livre, Conférence #1 : Crimes de guerre : femmes, premières victimes

25e Heure du Livre du Mans 2014

 

C’est le Congo qui était cette année à l’honneur à l’occasion de la 25e heure du livre, un salon qui aura réuni plus de 28 000 visiteurs en deux jours et qui se déroulait pour la toute première fois au sein du nouveau théâtre du centre ville. Outre une meilleure visibilité et une plus grande aisance de circulation, la nouvelle formule a également pour gros avantage d’isoler l’espace « Café du monde » réservé aux débats et conférences. Les visiteurs ont ainsi eu la chance de bénéficier d’une meilleure acoustique et de davantage de confort que les années précédentes puisque les interventions se sont toutes déroulées au sein de la plus grande salle du théâtre. Férus de ce type de conférences, les membres du Bibliocosme s’en sont cette année donnés à cœur joie ! Voici donc le premier compte-rendu des quelques débats auxquels nous avons pu assister.

 

Dans une première conférence animée par le romancier Gérard Noiret, les visiteurs du salon ont eu l’occasion d’entendre le témoignage de Louis Guinamard, auteur de « Survivantes » (éditions de l’Atelier), un ouvrage dans lequel l’auteur se fait le porte parole des femmes ayant eu à subir un viol pendant la guerre en République démocratique du Congo, soit 200 000 Congolaises, selon les estimations des Nations Unies. Gerard Noiret commence en expliquant avoir été très éprouvé après la lecture des livres qu’il était chargé de lire afin d’organiser les conférences de cette année, et ce malgré les efforts des auteurs pour laisser entrevoir des pistes d’espoir. Déo Namujimbo, auteur de « Je reviens de l’Enfer », étant finalement absent, la parole revient uniquement à Louis Guinamard qui nous expose avec beaucoup de prudence mais aussi de clarté ce dont il a lui même été témoin.

 

Le Congo étant un pays immense, quel territoire est précisément concerné par les faits rapportés dans « Survivantes » ?

La République démocratique du Congo est en effet l’un des plus grands pays d’Afrique, aussi l’auteur s’est-il surtout intéressé à la région Est du pays, à la frontière avec le Rwanda. Il explique d’ailleurs que le chaos qui règne aujourd’hui encore dans cette région est intimement lié au génocide de 1994 qui a engendré un exode massif des Tutsis, les victimes du génocide, puis des Hutus, les « génocidaires ». C’est cette deuxième vague de mouvement qui pose davantage problème car une grande partie de ces populations se sont disséminées dans les forêts où elles résident toujours aujourd’hui car rejetées à la fois par le Congo et par le Rwanda. Une situation qui dure depuis plus de vingt ans et qui participe beaucoup au maintien de l’instabilité qui règne dans cette région.

Congo carte

 

L’ouvrage présente évidemment le témoignage de nombreuses femmes violées, mais accorde également une place importante aux victimes « indirectes » de ces viols. Mais de qui s’agit-il ?

Pour l’auteur, il y a bien évidemment les personnes qui sont touchées directement, c’est-à-dire ces femmes qui, en plus du traumatisme psychologique, vont souvent développer des séquelles physiques plus ou moins graves (MST, stérilité…). Mais il existe également des victimes indirectes, à commencer par les familles qui assistent au viol. Il existe d’ailleurs une tradition, toujours appliquée dans certaines régions du Congo, qui veut que l’enfant qui a été témoin du viol de sa mère doit ensuite quitter la maison. Parmi les victimes indirectes figurent également les enfants nés de ces viols. Des enfants qui deviennent rapidement des bouc-émissaires pour la société qui les surnomme même les « enfants-serpents ». D’où l’importance du travail des psychologues sur place pour tenter d’encourager à porter un regard positif sur ces enfants afin qu’ils sortent de ce schéma destructeur dans lequel on cherche à les enfermer. Un phénomène qui m’a énormément fait penser à l’excellent et poignant roman de Nnedi Okorafor « Qui a peur de la mort ? » relatant l’histoire d’une de ces enfants du viol dans une Afrique fantasmée.

 

Comment s’est mis en œuvre ce projet de recueillir le témoignage de ces femmes ?

L’auteur a essentiellement travaillé en collaboration avec le Secours catholique dans l’objectif d’exprimer la souffrance de ces femmes et d’exposer la réalité de leur vie. Pour lui, elles sont toutes des survivantes, mais à des degrés divers : il y a celles qui survivent mais ne parviennent pas à dépasser l’horreur de ce qu’elles ont vécu ; il y a celles qui parviennent malgré tout à retrouver le cours de leur vie, retrouvent leur famille, un travail… ; et il y a celles qui, non seulement surmontent leur souffrance mais en plus la subliment, et vont faire de leur épreuve un combat. L’auteur prend l’exemple de cette jeune fille de 16 ans qu’il a rencontré, violée à 12 ans par des soldats et aujourd’hui comédienne de rue dans une troupe de théâtre dans laquelle elle joue le personnage d’une jeune fille violée dans une scène de prévention contre le viol. Elle explique qu’elle revit la scène chaque fois mais qu’elle continuera malgré tout à le faire si cela peut sensibiliser ou aider d’autres femmes.

 

Peut-on parler au Congo de viol employé comme arme de guerre ou crime commandé ?

Pour l’auteur la situation au Congo est beaucoup plus complexe que cela. Il prend l’exemple de la Bosnie où il s’agissait véritablement d’un acte programmé et où, une fois les coupables identifiés et arrêtés, les viols se sont arrêtés. Au Congo, il est impossible de distinguer une chaîne de responsabilité précise. Les chefs locaux et beaucoup d’autres ferment les yeux, mais on ne peut pas véritablement distinguer un commanditaire.

 

Gerard Noiret entame ensuite la lecture d’un extrait dans lequel l’auteur mentionne le travail d’une sociologue qui explique que « le viol est plus qu’une violence, il est a classé dans la catégorie des crimes de souillure » et qu’il « produit la honte avant la souffrance ». Pour l’auteur, le viol est bien plus qu’une atteinte physique, c’est une atteinte à toutes les dimensions possibles de la femme. Atteinte à l’intimité du corps, bien sur, mais aussi à l’estime de soi, au sacré religieux, à la structure sociale (le modèle même de la famille), mais aussi au fonction de reproduction dans le sens où on ne sacralise plus l’importance de la maternité. Par le viol c’est non seulement une femme que l’on traumatise mais aussi une famille, une société et au-delà une culture.

Survivantes

 

Le livre parle également des violeurs eux-mêmes. Comment justifient-ils leurs actes ?

Pour l’auteur, il est important de comprendre le point de vue de tous les acteurs de ce drame et de multiplier les regards. Il a donc rencontré quelques hommes violeurs. Des enfants soldats, d’abord, qui expliquent avoir alors perdu tous repères par rapport à la sexualité et avoir eux-mêmes subis des sévices à caractère sexuel ou avoir agit pour le compte d’un chef de guerre en lui ramenant des femmes au camp. L’auteur a aussi rencontré des hommes mûrs qui expliquent avoir été entraînés dans le système et ainsi n’avoir pas été en mesure de comprendre la portée de leurs actes. Un psychologue dont les travaux ont beaucoup intéressé l’auteur pose la question de la responsabilité pénale de certains de ces hommes, sans bien sur pour autant les décharger de la gravité de leur crime : en France, des hommes vivant dans les mêmes conditions de misère et ayant perdu tous leurs repères, ne seraient-ils pas déclarés malades et donc, d’une certaine façon, pas complètement responsables ? Parmi les mesures à prendre pour régler la situation, il est essentiel pour l’auteur de prendre en compte ce facteur et ainsi, non pas excuser, mais aider à stabiliser ces hommes « malades ».

 

Pourquoi a-t-on si peu d’écho en Europe de ce conflit ? Cela a t-il a voir avec les richesses du Congo dont les puissances occidentales profitent allègrement ?

La région du Congo compte parmi les plus riches du monde en raison de l’abondance de métaux précieux : mines d’or, de diamant… Pour l’auteur, on en entend parler mais on ne veut pas l’écouter car cela pose la question de nos modes de consommation : ces compagnies qui exploitent les richesses du Congo, c’est pour nous, clients occidentaux, qu’ils revoient leur code de déontologie, qu’ils ferment les yeux sur certaines choses inavouables… On a donc tous une responsabilité dans ce qui se passe au Congo.

 

Une conférence passionnante sur un sujet grave et malheureusement trop peu abordé.

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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