Science-Fiction

84K

Titre : 84K
Autrice : Claire North
Éditeur : Bragelonne (poche)
Date de publication : 2022

Synopsis : Théo Miller connaît la valeur de la vie humaine – jusqu’au dernier centime. Au Bureau d’audit des crimes, son rôle consiste à évaluer chaque dossier qui lui est confié et à s’assurer que les criminels paient intégralement leur dette à la société. Mais lorsque son amour d’enfance est assassinée, tout change. Cette mort est la seule qui ne peut se résumer à une ligne de plus dans un bilan annuel. Car si les puissants de ce monde peuvent tuer en toute impunité, il arrive parfois que le compte n’y soit pas.

Le coût d’une vie humaine

Claire North est une autrice que j’affectionne particulièrement depuis ma lecture de ses trilogies « La maison des jeux » (de la fantasy mettant en scène des jeux type échecs ou cache-cache grandeur nature) et « Le chant des déesses » (une réécriture féministe de l’histoire de Pénélope d’Ithaque, la femme d’Ulysse). J’ai également pu découvrir plusieurs de ses one-shot (même si plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui en rupture d’édition) comme « Les quinze premières vies d’Harry August » ou « Sweet Harmony », et enfin « 84K », ma seule et unique déception parmi la bibliographie de l’autrice. Le pitch avait pourtant l’air intriguant et reprend les principaux codes de la dystopie : une société futuriste peu enviable poussant à son paroxysme un ou plusieurs des pires travers de notre époque et une personne qui va prendre conscience de l’injustice du système et tenter de tout faire sauter. Le roman met ainsi en scène un homme appelé Théo Millier travaillant au bureau d’audit des crimes, une institution officielle dont les agents sont chargés d‘estimer le coût de chaque crime ou délit. Le total est calculé en fonction de la nature du crime, mais aussi de l’identité de la victime et de l’intérêt qu’elle représente pour le reste de la société. Dans cette société hyper-hierarchisée, les plus riches peuvent évidemment se payer le luxe d’un petit crime de temps en temps puisqu’ils ont les moyens financiers de payer le dédommagement. Les plus pauvres, eux, tout comme celles et ceux qui refusent de se plier aux règles, sont envoyés au hachoir, des camps de travail où l’espérance de vie ne dépasse pas quelques années et dont la plupart ne reviennent pas.

Une dystopie poisseuse et oppressante

C’est dans ce contexte pour le moins glauque que l’on fait la rencontre de Théo, un homme qui vit sous une fausse identité et qui, pour cette raison, a érigé la discrétion au rang d’art : rien ne doit jamais le faire sortir du lot, ni en bien, ni en mal. Son quotidien terne et tranquille vole toutefois en éclat lorsque sa route croise celle de son amie d’enfance qui lui demande de l’aide pour sauver sa fille. Lorsque la jeune femme est assassinée après avoir affirmé détenir des informations compromettantes pour la Compagnie (l’entité qui a phagocyté peu à peu l’état et s’est arrogé tous les pouvoirs), Théo décide de reprendre son enquête. L’intrigue est intéressante et la société futuriste imaginée par Claire North pour le moins saisissante. L’autrice nous dépeint ici un capitalisme poussé à son paroxysme et qui a finit par gangrener tous les aspects de la vie, y compris la mort. Poisseuse et oppressante, l’ambiance du roman est très particulière et ne nous offre que peu de lueurs d’espoir. Tout est sombre, corrompu et surtout monétisé, y compris des enfants qu’on sponsorise dès le plus jeune âge, le seul moyen pour la plupart d’entre eux de s’élever dans la société (même si cela veut dire se mettre à la merci d’un prédateur convaincu d’avoir tous les droits). On ne ressort pas indemne de notre plongée dans cette dystopie qui figure sans aucun doute parmi les pires futurs non désirables dans lesquels j’ai pu me plonger dernièrement. La raison pour laquelle je ne suis pas parvenue à apprécier le roman ne réside donc pas dans la qualité de l’intrigue ou du décor, mais dans les choix narratifs opérés par l’autrice. Le récit mélange en effet plusieurs lignes temporelles entre lesquelles on alterne sans aucune rupture dans la narration. On se rend ainsi compte subitement qu’on a changé de lieu et d’époque seulement à la mention d’un personnage dont on sait qu’il n’apparaît que plus tard dans l’histoire, avant de revenir aussi subitement en arrière.

Tics d’écriture et personnages

Ces allers-retours incessants sont très déstabilisants et rendent dans un premier temps difficile l’immersion dans le récit qu’on ne peut s’empêcher de trouver brouillon. Le second gros problème réside dans un tic d’écriture de l’autrice et qui consiste à ne presque jamais faire terminer leurs phrases aux personnages. « Donc ce n’est pas un… » ; « Ils mangent leur déjeuner et c’est très bon. Merci c’est très… Je n’ai pas grand chose vous savez mais c’est… » Voilà un petit aperçu du style de narration ou de dialogues qui pullulent dans le roman et qui m’ont rendue la lecture ardue. Tous ces non dits impliquent évidemment beaucoup d’implicite que l’autrice manie suffisamment bien pour parvenir à nous faire comprendre les enjeux, mais pas assez pour nous permettre de cerner les personnages. Théo est notamment un protagoniste auquel il est difficile de s’identifier dans la mesure où cela fait des années qu’il fait tout pour ne rien éprouver et étouffer la moindre émotion. Certes, son apparence placide n’est qu’une façade et ses retrouvailles avec son amie d’enfance va peu à peu l’obliger à se replonger dans des souvenirs douloureux et venir fissurer son armure, mais pas suffisamment. Les personnages secondaires sont du même acabit, on a du mal à les cerner et à se sentir concerner par leur sort, ce qui est d’autant plus dommage que la plupart possèdent un potentiel certain, à commencer par les femmes qui gravitent autour du héros et auraient mérité d’occuper une place plus importante dans l’histoire.

« 84K » est une dystopie glaçante dans laquelle tout est monétisé, de la vie d’une victime de meurtre ou de viol à l’avenir d’un enfant. Le roman relate la quête de rédemption d’un homme cherchant à venger une amie d’enfance et ayant mis la main sur des informations explosives pour le régime. Si l’ambiance se révèle prenante, on finit par suffoquer dans cet univers dans lequel aucune lueur d’espoir ne semble possible. Les choix narratifs réalisés par l’autrice m’ont quant à eux déstabilisés, de même que l’absence d’empathie ressentie pour les personnages. Lecture en demi-teinte, donc, la première de la bibliographie de Claire North qui reste malgré tout une autrice à découvrir.

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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