Les quinze premières vies d’Harry August

Titre : Les quinze premières vies d’Harry August
Auteur/Autrice : Claire North
Éditeur : Bragelonne
Date de publication : 2015 / 2022
Synopsis : Harry August se trouve sur son lit de mort. Une fois de plus. Chaque fois qu’il décède, il naît de nouveau, au lieu et à la date exacts auxquels il est venu au monde la première fois, possédant tous les souvenirs des vies qu’il a déjà vécues. Et quelles que soient les circonstances de sa mort, le monde qui l’entoure demeure identique. On assiste toujours au même mouvement de rébellion en 1917, la guerre éclate toujours en 1939, Kennedy se fait toujours assassiner et les trains sont toujours en retard. Au crépuscule de sa onzième vie, une petite fille apparaît à son chevet, qui pourrait bien tout bouleverser.
Un excellent rappel de cette très vieille vérité : pour prospérer, une tyrannie n’a besoin que de la complicité des braves gens.
Et ça continue encore et encore
Après avoir été bluffée par la trilogie « La Maison des jeux » parue dans la collection Une Heure Lumière du Bélial, j’ai décidé de me plonger dans le reste de la bibliographie déjà bien fournie de Claire North. Cela m’a permis de découvrir « Le chant des déesses », une série dans laquelle l’autrice propose une réécriture féministe de l’histoire de Pénélope d’Ithaque dont le troisième tome est encore à paraître mais que j’ai adoré. Et puis, dernièrement, je me suis plongée dans « Les quinze premières vies d’Harry August », un roman de science-fiction dans lequel Claire North met en scène un immortel d’un genre un peu particulier. En effet, si Harry August, enfant illégitime né à la fin du XIXe, ne pas techniquement pas mourir, il est aussi condamné à renaître toujours au même moment et au même endroit. Comme tous ceux de son espèce, le kalachakra est ainsi condamné à rester bloqué à la même période et à revivre son enfance après chaque mort, avant que les souvenirs de ses vies précédentes ne lui reviennent vers l’âge de cinq ou six ans. Autour de lui, le monde ne change pas. Un crack boursier explose toujours en 1929, la Deuxième Guerre mondiale éclate toujours en 1939, et il en va de même de tous les autres événements qui ont marqué notre histoire. Du moins était-ce le cas, jusqu’à ce qu’un message passé d’enfant à vieillard ne remonte la ligne temporelle pour prévenir que des changements majeurs ne cessent d’advenir et qu’ils provoquent immanquablement la fin du monde, et ce de plus en plus tôt à chaque réveil. Il faudra plusieurs vies au protagoniste pour identifier quel autre kalachakra est en train de jouer avec le temps, et quelles sont les motivations qui l’animent. Il lui en faudra de nombreuses autres pour mettre au point un plan efficace pour tenter de l’empêcher d’arriver à ses fins. Force est de constater que ce n’est pas cette fois encore que Claire North me décevra ! Le roman revêt en effet des allures de véritable page-turner et se lit avec un plaisir égal de la première à la dernière ligne. Pas de temps mort, pas de lassitude, pas de déception.
Paradoxes temporels à la pelle
L’autrice entreprend dans un premier temps de nous présenter les spécificités de ces kalachakras en se focalisant sur le parcours d’Harry August qui endosse ici le rôle de narrateur. Le protagoniste nous relate par le menu le déroulement de sa première vie puis, à sa plus grande stupéfaction, de ses vies suivantes, le tout de façon non chronologique. Les personnages linéaires gravitant autour du narrateur étant cependant grosso modo les mêmes d’une vie à l’autre, les lecteurices n’ont aucun mal à se repérer dans une intrigue qu’on accepte sans sourciller de suivre sans savoir où elle va nous amener, avant de se rendre compte qu’elle est déjà progressivement en train de se complexifier et qu’un fil rouge se dégage. Harry August est ainsi loin d’être le seul à posséder cet étrange pouvoir et, une fois la pilule avalée, ce dernier va être amené à côtoyer plusieurs de ses semblables réunis pour l’essentiel au sein du Cercle Cronus. Un cercle dont l’objectif se limite à s’assurer qu’aucun immortel ne décide de s’amuser à faire n’importe quoi avec le temps. Inutile donc de chercher à tuer Hitler, d’avancer la découverte des antibiotiques ou de tenter de prévenir le réchauffement climatique, l’histoire revenant toujours à son point d’origine. Pourquoi, alors, ne pas tenter l’expérience de déplacer tel ou tel curseur à chaque vie jusqu’à trouver une meilleure version ? Et bien pour la simple et bonne raison que, si le monde se réinitialise toujours de la même manière, les mortels qui l’habitent, eux, n’ont qu’une vie, et qu’ils n’ont donc pas à servir de cobayes à des immortels en pleine crise d’hubris. Sauf que, évidemment, c’est tout ce même assez tentant. Si vous êtes amateurices de voyages temporels, le roman de Claire North vous plaira sûrement tant l’autrice a pris soin de réfléchir au fonctionnement du système qu’elle a imaginé et à ses répercussions. La question des paradoxes temporels est par exemple abordée avec astuce, et cela m’a beaucoup fait penser à ce que Connie Willis a pu faire dans ses romans comme le dyptique « Blitz » ou encore « Le grand livre » dans lesquels elle se livrait à une passionnante réflexion sur le voyage temporel et ses conséquences.
Vivre éternellement au début du XXe
Le roman a également comme point fort celui de nous faire découvrir le monde de la première moitié du XXe siècle, et ce par plein d’aspects et de points de vue différents. Harry August ne fait en effet pas les mêmes choix à chaque vie (ce qui deviendrait vite rébarbatif pour lui comme pour les lecteurices), aussi est-on amené à voyager un peu partout et à revivre de nouvelles variantes d’événements connus. Si l’autrice ne cherche pas à reconstituer la période par le biais d’une abondante documentation comme ce que peut faire Connie Willis, elle a néanmoins fait des recherches qui lui permettent de nous plonger dans des ambiances d’autant plus différentes qu’elles s’accompagnent dans la deuxième partie d’anachronismes dus à la volonté d’un immortel de changer le cours de l’histoire. On passe ainsi d’une base militaire secrète au fin fond de la Russie au temps de la Guerre froide à l’Amérique des années 1950 et son capitalisme débridé, sans oublier les intérieurs cosys des universités anglaises, ou encore les paysages d’Orient inlassablement arpentés par le narrateur. L’aspect le plus documenté tient sans doute à tout ce qui relève de la psychiatrie et de la spiritualité. Pas facile en effet de ne pas perdre la tête lorsqu’on découvre qu’on est condamné à ressusciter encore et encore et à revivre toujours la même période, sans possibilité de jamais voir ce qui se passe après. Les passages du narrateur en hôpital psychiatrique font ainsi froid dans le dos (on est alors dans les années 1950 ou 1960), alors que la façon dont le héros procède à un passage en revue critique des différents courants spirituels un peu partout dans le monde se révèle plus amusant. Le narrateur choisit également de se spécialiser dans des domaines différents à chaque vie, là encore pour éviter l’ennui, si bien qu’on le découvre tour à tour médecin, professeur d’université, mystique, voyageur infatigable ou encore chercheur en physique.
Un narrateur éminemment sympathique
Si le roman se lit aussi vite et aussi bien, c’est aussi justement en raison de l’attachement que l’on porte au narrateur, le fameux Harry August. Un personnage loin d’être parfait mais qui ne cherche pas à se donner le beau rôle ou à édulcorer les actes répréhensibles qu’il a pu commettre. Bref, nu personnage honnête, humble et sympathique. C’est la raison pour laquelle, alors que le personnage ne peut techniquement pas vraiment mourir, ce qui devrait nous empêcher de nous inquiéter pour lui, on ne peut s’empêcher de trembler face aux périls qui le guettent. Car oui, Harry August revient toujours à la vie, mais cela ne l’empêche de souffrir comme n’importe quel mortel, aussi sa mort peut-elle se révéler particulièrement douloureuse ou ignominieuse. Ce sera d’ailleurs le cas dans certaines de ses vies, si bien qu’on ne peut s’empêcher d’éprouver tout au long de la deuxième partie une pointe d’appréhension à voir le personnage se jeter dans la gueule du loup, dans la mesure où on sait ce dont le loup est capable. Et puis, il existe tout de même deux façons de faire disparaître définitivement un kalachakra : en faisant avorter sa mère (raison pour laquelle tous gardent précieusement le secret de leur origine), ou en le soumettant à l’Oubli, une procédure qui ne l’empêchera pas de se réveiller mais lui aura fait oublier tous les souvenirs de ses autres vies. Harry est donc loin d’être invincible, et on suit avec beaucoup de nervosité ses péripéties. Le roman atteint un niveau de tension presque insoutenable dans le dernier tiers, et offre une conclusion parfaitement à la hauteur qui nous permet de refermer le récit avec une intense satisfaction (et aussi une petite pointe de regret à l’idée de ne plus recroiser la route de ce héros attachant).
Comme « La Maison des jeux » ou « Le chant des déesses », j’ai été enthousiasmée par « Les quinze vies d’Harry August », un page-turner dans lequel Claire North met en scène un homme qui meurt et renaît perpétuellement. Porté par un narrateur particulièrement attachant, le roman se dévore d’une traite et aborde sous un jour intéressant la question des paradoxes temporels tout en parvenant à maintenir un rythme haletant du début à la dernière page, Un tour de force dont Claire North est coutumière, si bien que je vais m’empresser de continuer à découvrir les ouvrages restants de sa bibliographie (dommage que certains soient malheureusement épuisés aujourd’hui).
Autres critiques : ?


5 commentaires
Baroona
Bien d’accord avec tout ce que tu en dis, j’avais aussi adoré. Je l’avais trouvé totalement dans l’esprit de « La Maison des jeux », le même plaisir. J’avais vu d’autres avis un peu plus mitigés, ça me fait d’autant plus plaisir de voir quelqu’un d’autre s’enthousiasmer. ^^
Boudicca
Pareil pour moi, c’est vraiment une autrice talentueuse, j’ai adoré tout ce que j’ai découvert d’elle jusqu’à présent !
Tachan
J’adore les paradoxes temporels quand ils sont bien maîtrisés.
J’avais eu du mal avec les novellas de l’autrice qui ne m’avaient pas embarquées comme souhaité, alors ce roman était redescendu dans ma PAL. Ton avis le fait clairement remonter !
Merci 😀
Boudicca
Avec plaisir 😉 En espérant que tu sois aussi convaincue que moi !
Tigger Lilly
Je fais partie de la team moins enthousiaste mais je reconnais à ce livre des qualités indéniables : l »histoire est en effet très solidement construite et c’est plutôt prenant, mais j’avais trouvé parfois que ça trainait en longueur. Je l’ai lu en audio, le lecteur était vraiment bien.