Science-Fiction

L’automate de Nuremberg

Titre : L’automate de Nuremberg
Auteur : Thomas Day
Éditeur : Le Bélial (Une Heure Lumière)
Date de publication : 2024 (août)

Synopsis : En ce 13 septembre 1824, après la chute de Moscou et le traité de Niji signé avec le tsar Alexandre Ier, protecteur de toutes les Russies, l’empereur Napoléon règne sur l’Europe. Un continent à genoux, exsangue, vidé de sa substance par un trop-plein de guerres et d’horreurs, un territoire à feu et à sang que le stupéfiant Melchior Hauser, tout juste libéré de son statut d’esclave, va cependant entreprendre de parcourir. Car il lui faut retrouver Viktor Hauser, celui qu’on surnomme le de Vinci de Nuremberg, et lui poser une question. Unique, toute simple, mais qui revêt à ses yeux une importance cruciale : « Père, ai-je une âme ? ».

Le tsar a fait de moi un automate libre, mais je ne serai vraiment libre que le jour où je n’aurai plus besoin d’être remonté. Ah, mon père, vous que les grands de ce monde ont surnommé le de Vinci de Nuremberg, vous avez fait un miracle, mais un miracle d’immense faiblesse.

Un automate et son créateur

Réécriture d’une novella précédemment publiée dans la revue « Bifrost », « L’automate de Nuremberg » est paru pour la première fois en 2007 et est aujourd’hui réédité par les éditions Le Bélial dans leur très prestigieuse collection « Une Heure Lumière ». Auteur prolifique ayant occupé pendant plusieurs années le devant de la scène de l’imaginaire français, Thomas Day nous y propose un récit beaucoup plus sage que ce à quoi il avait pu nous habituer (on est bien loin d’un « Stairways to hell » ou même de « L’instinct de l’équarrisseur »). Ni violence insoutenable, ni scènes de sexe glauques ! L’auteur préfère cette fois nous offrir un genre de petit conte philosophique, sans pour autant renoncer à la noirceur et la cruauté qui constituent sa marque de fabrique et qui caractérisait déjà sa précédente novella parue dans la même collection (« Dragon »). Soucieux de dévoiler à ses lecteurs une autre de ses facettes, Thomas Day met ainsi en scène un automate, Melchior Hauser, conçu par un inventeur de génie au début XIXe siècle. Réalisé à la seule fin de mener à bien des parties d’échecs, l’automate se révèle toutefois être bien davantage qu’une simple machine. Aussi, lorsque sa liberté lui est enfin rendue, celui-ci décide de partir en quête de son créateur afin de trouver la réponse à la question qui le hante : Est-il possible pour un automate tel que lui de posséder une âme ?

Voyage dans une Europe du XIXe uchronique

Comme dans beaucoup de ses romans, Thomas Day choisit de replacer son récit dans une trame historique. En à peine plus de cent pages, l’auteur parvient ainsi à nous dresser un portrait convainquant d’un XIXe siècle uchronique où Napoléon serait finalement parvenu à venir à bout de la Russie et de son tsar, forcé de présenter sa reddition à l’empereur. Des territoires slaves aux comptoirs français du Sénégal en passant par l’Allemagne et l’Angleterre, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur nous fait voir du pays ! A cela s’ajoutent de nombreuses références bibliques parsemées ça et là au fil du récit, l’apparition de figures historiques bien réelles telles que l’ingénieur anglais George Stephenson (considéré aujourd’hui comme l’inventeur du chemin de fer moderne), ainsi que la réutilisation d’un célèbre fait divers ayant défrayé la chronique dans l’Allemagne du XIXe siècle (il s’agit de la remarquable histoire de Kaspar Hauser, enfant perdu de Nuremberg, dont on ignore encore aujourd’hui s’il s’agit d’un simple inconnu, du fruit d’une cruelle expérience ou bien, accrochez-vous, de l’héritier de la famille royale de Bale !).

Quête spirituelle et matérielle

Outre le soin porté au décor et les nombreux clins d’œil historiques, on peut également saluer l’originalité du traitement d’un sujet fréquemment abordé en science-fiction et qui truste le devant de l’actualité depuis plusieurs années maintenant, celui de l’intelligence artificielle. A travers l’histoire de cet automate en proie au doute et avide de comprendre sa véritable nature, Thomas Day se concentre sur des questionnements d’ordre non seulement philosophique (A quel moment la machine cesse de n’être que ferraille pour devenir être ? A quoi tient la présence ou l’absence d’âme ?) mais aussi technique. Car il ne s’agit pas là d’un de ces robots ultra sophistiqués comme on peut en fabriquer aujourd’hui. Nous avons ici affaire à un automate du XIXe siècle, avec toutes les failles et lacunes que cela implique. Et celles-ci sont légion : impossibilité de porter une lourde charge ou de voir à plus de quelques mètres, limitation du nombre de mots et langues parlées, présence d’un mécanisme à ressort, l’obligeant à être remonté régulièrement par un tiers… Or c’est justement là que réside l’originalité du roman, car, s’il semble rapidement évident pour le lecteur que l’automate dispose d’une intelligence exceptionnelle et d’une personnalité qui lui est propre, la quête spirituelle du protagoniste se trouve également doublée d’une quête d’ordre plus matérielle visant à améliorer ses capacités physiques, sensorielles et intellectuelles

« L’automate de Nuremberg » est un texte incontestablement à part dans la bibliographie de l’auteur qui réussit ici le tour de force de mettre en scène un univers consistant, une intrigue assez étoffée et des personnages attachants en seulement cent-vingt pages. Une réédition bienvenue donc, qui permet de (re)découvrir l’un des textes majeurs de Thomas Day.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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