Science-Fiction

Les nomades du fer

Titre : Les nomades du fer
Auteur/Autrice : Eleanor Arnason
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2023

Synopsis : Tandis que la Terre peine à se relever de la pollution et de la surexploitation de ses ressources, Lixia, une anthropologue, est envoyée vers une planète qui orbite autour de l’étoile Sigma Draconis. Elle et son équipage sont chargés d’observer les sociétés qui s’y sont développées sans interférer avec les populations locales. Nia, quant à elle, est une artisane parmi celles et ceux que l’on nomme le Peuple du Fer. Marginalisée parce qu’elle a autrefois aimé un homme, c’est elle qui est choisie pour guider les terriens sur son monde où, au prix d’une séparation entre les hommes et les femmes, guerre et violence n’ont ni sens ni existence. Toutefois, voilà qu’au sein de l’équipage divisé du vaisseau, la colère gronde et les conflits se multiplient, au risque de tout détruire. L’amitié naissante entre Nia et Lixia résistera-t-elle à ces dissensions ?

Plongée dans une société matriarcale

Paru pour la première fois en 1991, « Les nomades du fer » est un gros roman écrit par Eleanor Arnason, une autrice américaine plutôt prolifique et souvent comparée à Ursula Le Guin mais dont l’œuvre n’avait, à ma connaissance, jusqu’à présent jamais été traduite. Le roman met en scène deux femmes issues de deux cultures et milieux très différents. La première, Lixia, est une jeune anthropologue envoyée sur une planète inconnue pour y étudier sa population. La seconde, Nia, fait justement partie des autochtones mais a été rejetée de son clan après avoir transgressé un tabou. Les deux personnages vont évidemment être amenés à se rencontrer et, ensemble, elles vont se lancer dans un long périple au cours duquel elles vont croiser quantité de clans aux modes de vie très différents. Au premier abord, deux aspects semblent véritablement trancher avec la façon dont fonctionne notre propre civilisation : l’absence de guerres (il y a certes des conflits et des combats mais ces derniers se limitent à des affrontements périphériques n’opposant généralement que deux personnes) et la stricte séparation entre les hommes et les femmes. Eleanor Arnason nous décrit une société matriarcale dans laquelle se sont les femmes qui sont aux commandes, et pour cause, puisque les hommes sont sommés de quitter la communauté grosso modo à la fin de l’adolescence. On estime en effet qu’une fois adultes, ces derniers deviennent un danger pour la société en raison de leur violence et de leur incapacité à se conformer aux règles du clan. Lorsqu’ils sentent le moment venu, ils vont donc partir et se choisir un territoire loin des leurs et s’y installer, seuls. Leurs seules interactions résideront dans leurs rencontres avec d’autres hommes en vue d’un échange ou d’un combat, ou bien avec une femme venue chercher quelqu’un avec qui s’accoupler.

Une réflexion politique intéressante

Le roman d’Eleanor Arnason a le mérite d’essayer de nous faire sortir de notre cadre de pensée et d’imaginer une société fantasmée dans laquelle le patriarcat a tout bonnement disparu. On prend plaisir à découvrir en détail la façon dont vivent les habitants de cette planète, d’autant que la stricte séparation des sexes et l’exercice du pouvoir par les femmes sont loin d’être les seules particularités de cet univers. L’autrice met en effet en scène des peuples majoritairement nomades et dont le degré de développement technique reste relativement peu élevé, et en dépit de la présence de quantité de métaux rares qui ne manquent pas d’attirer la convoitise des explorateurs. Ces derniers n’ont cependant rien à voir avec des colonisateurs avides de s’approprier par la force les ressources d’autres planètes. Les individus envoyés sur place sont au contraire des chercheurs, des scientifiques et on comprend vite qu’ils proviennent d’un futur dans lequel notre société a radicalement changé. L’autrice mentionne en effet souvent des théories socialistes et insiste sur le fonctionnement démocratique du vaisseau et de la prise de décision en général. Par petites touches, elle brosse ainsi le portrait d’une Terre ayant manqué d’être détruite par le réchauffement climatique mais qui s’en est sorti et a désormais à cœur de ne pas reproduire les erreurs du passé. Les bribes d’informations que l’on parvient à glaner sur notre planète laissent entrevoir un monde totalement remodelé et éparpillé en plusieurs petites utopies très variées à propos desquelles il est d’ailleurs un peu frustrant de ne pas avoir davantage d’information.

Sexisme et longueurs

Je ressors toutefois de cette lecture avec un sentiment très mitigé. Difficile en effet de ne pas se rendre compte que le roman a été écrit il y a plus de trente ans tant certaines réflexions paraissent dater. C’est notamment flagrant en ce qui concerne la relation entre Lixia et l’un de ses collègues anthropologues amené à la rejoindre sur le terrain. Ce dernier se comporte en effet d’une façon tout à fait exaspérante car carrément sexiste, ce qui n’est pas sans poser problème dans la mesure où le roman cherche justement à promouvoir une vision féministe. L’héroïne est ainsi constamment infantilisée et rabaissée par son compagnon qui ne cesse d’ailleurs de s’adresser à elle en l’appelant « chérie ». Ça passait sûrement dans les années 1990, mais aujourd’hui c’est assez insupportable à lire. C’est d’autant plus dommage que le reste de l’oeuvre cherche au contraire à dénoncer en sous texte la domination masculine, que ce soit en mettant en avant une société purement matriarcale, mais aussi en abordant frontalement la question des violences exercées contre les femmes, à commencer par le viol. On peut toutefois critiquer la vision assez simpliste des comportements masculins et féminins et des rapports de genre véhiculés ici, avec notamment la mise en scène d’une masculinité très caricaturale. Il ne s’agit d’ailleurs pas du seul bémol dont souffre ce roman au rythme très inégal. Certains passages sont en effet franchement intéressants, mais peuvent ensuite suivre de longues pages assez ennuyeuses qui émoussent considérablement l’attention des lecteurices.

« Les nomades du fer » est un roman écrit dans les années 1990 et mettant en scène la rencontre entre des anthropologues venus de la Terre et les habitants d’une planète ayant opté pour un fonctionnement matriarcal. L’ouvrage comporte de nombreuses réflexions intéressantes et dresse un portrait très riche d’une civilisation radicalement différente de la notre. Le récit souffre tout de même de plusieurs défauts, notamment un côté daté en ce qui concerne la mise en scène des relations hommes/femmes, preuve que les choses ont tout de même pas mal évolué ces dernières années.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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