Passage
Titre : Passage
Autrice : Connie Willis
Éditeur : J’ai lu
Date de publication : 2007 / 2016
Synopsis : A l’hôpital Mercy General, la psychologue Joanna Lander s’est spécialisée dans les EMI, les expériences de mort imminente. Elle tente de rassembler les bribes d’éléments que ramènent ceux qui, pendant quelques minutes, sont passés de l’autre côté. Hélas, les sujets sont rarement assez lucides pour fournir des données fiables. Lorsqu’un brillant neurologue, le docteur Richard Wright, lui propose de travailler sur des EMI artificielles simulées par l’injection d’une drogue psychoactive, elle accepte sans hésiter. Elle ne se doute pas qu’elle vient de s’engager sur une voie qui pourrait bouleverser toutes les théories scientifiques sur les EMI, et sur la mort elle-même.
Mourir, ça c’est une aventure ! (dernières paroles du producteur de Broadway Charles Frohman, citant Peter Pan juste avant de couler avec le Lusitania)
La mort… et après ?
Depuis ma découverte du roman « Le grand livre », rapidement suivi du reste des ouvrages de sa bibliographie, Connie Willis figure en bonne place dans la liste de mes autrices favorites. Son érudition, la fluidité de sa plume, la construction de ses intrigues, l’ampleur de sa documentation… : autant d’aspects que l’on retrouve dans la plupart de ses livres et qui expliquent l’engouement éprouvé pour ces derniers. Dans « Le Passage », on retrouve les mêmes ingrédients, mais le résultat m’a, pour une fois, laissée quelque peu sceptique. Paru en 2001, le roman met en scène une psychologue, Johanna Lander, ainsi que l’hôpital dans lequel elle travaille sur les EMI, les expériences de mort imminente. La scientifique passe donc son temps à arpenter les couloirs du Mercy General pour interroger des personnes dont le cœur s’est arrêté mais qui ont malgré tout été réanimées, et ce afin de savoir quelles sont les images, les sensations ou les sons dont elles se souviennent. Contrairement à son principal confrère travaillant sur le sujet et ayant perdu toute crédibilité à ses yeux après être tombé dans des délires mystiques, le docteur Lander tente de récolter des données objectives dans l’optique d’en tirer de futurs progrès scientifiques. Alors lorsqu’un nouveau collègue, le docteur Wright, lui explique avoir réussi à reproduire des expériences de mort imminente en laboratoire par le biais d’une substance inoffensive, et lui propose de venir étudier avec lui les résultats, cette dernière ne tarde pas à accepter. Et quand les cobayes viennent finalement à manquer, là voilà qui se prête elle-même au jeu, sans se douter qu’elle s’apprête à vivre une expérience qui va bouleverser toutes ses certitudes.
Une construction narrative monotone
Le roman est long, or il n’y avait clairement pas matière à écrire un roman de neuf cent pages. C’est là que réside véritablement tout le problème de cette histoire par ailleurs intéressante, tant au niveau de sa construction, de ses thématiques ou encore des informations historiques qu’elle distille, mais qui reste tout de même beaucoup trop délayée. C’est long, mais long ! Connie Willis a l’habitude de faire tourner ses lecteurs/lectrices en bourrique en retardant régulièrement la révélation d’une information capitale par des procédés très classiques (un coup de fil, l’arrivée d’un tiers…) ou en optant pour une narration en spirale, mais là les deux procédés sont utilisés ad nauseam. On passe ainsi neuf cent pages à courir aux côtés du docteur Lander d’un bout à l’autre de cet hôpital gigantesque dans lequel il est difficile de se repérer et où l’héroïne passe son temps à tenter d’échapper à un tel ou d’en trouver un autre, chaque fois sans succès. En fait on peut identifier sans caricaturer cinq catégories de déplacements que l’héroïne effectue pendant toute la durée du roman : ses fuites pour échapper à son collège mystique, ses courses pour le coiffer au poteau et interroger avant lui une personne ayant fait une EMI, ses passages en cardiologie pour voir une petite patiente gravement malade et fan de catastrophes, ses expériences au labo, et enfin ses échecs répétés pour trouver la personne qu’il lui faut. Échecs qui l’obligent à parcourir tous les services de l’hôpital et la font immanquablement croiser les mêmes indésirables partageant une même caractéristique, à savoir un goût prononcé pour le bavardage, et qui ne font que la retarder ou la distraire chaque fois un peu plus. En soi, chacune de ces scènes n’est pas particulièrement gênante ou inintéressante, mais dans la mesure où le même schéma revient perpétuellement pendant toute la durée des neuf cent pages, on finit dans un premier temps par en avoir le tournis, puis par en être passablement agacé.
Une documentation historique capivante
Alors qu’est-ce qui fait qu’on tient jusqu’au bout ? La réponse tient à mon sens au talent de Connie Willis qui, en dépit d’un schéma narratif redondant à l’extrême, parvient malgré tout à accrocher l’attention des lecteurs/lectrices. Cela s’explique notamment par la capacité de l’autrice à mobiliser quantité d’informations historiques passionnantes sur des sujets divers comme les combats sur mers pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi les plus grandes catastrophes mondiales, de l’éruption du Vésuve à l’incendie de l’aéronef Hindenburg, en passant par le naufrage du Titanic, ou encore les dernières phrases connues prononcées juste avant leur décès par des célébrités ou d’illustres inconnus (certaines sont particulièrement amusantes). Le drame du Titanic, en particulier, est au cœur du roman qui fourmille de dizaines d’anecdotes toutes plus passionnantes les unes que les autres sur le comportement de certain.es passager.es, ou sur la façon dont s’est précisément déroulé le naufrage. On tient, aussi, parce que le mystère, qui consiste tout de même à savoir ce que vivent les personnes ayant frôlé la mort, est alléchant, et qu’on est curieux de connaître la nature de l’explication concoctée ici par l’autrice. Il est d’ailleurs heureux, à ce propos, que Connie Willis ne commette pas l’erreur de l’un de ses personnages et ne sombre pas dans les sempiternel clichés religieux ou mystiques concernant la mort. Au contraire, l’autrice se plaît à jouer avec ces représentations classiques sans pour autant les moquer ou chercher à les décrédibiliser, adoptant ainsi une position d’équilibriste peu évidente mais globalement réussie. On peut enfin souligner son sens du coup de théâtre puisque, quand bien même les rebondissements mettent un temps fou à arriver, ces derniers se révèlent toujours totalement inattendus et parviennent tant bien que mal à relancer l’intérêt porté à l’intrigue.
Avec « Passage », Connie Willis signe un long roman de neuf cent pages consacré à une scientifique étudiant les expériences de mort imminente, soit les expériences vécues par des personnes ayant frôlé la mort. Traité d’un sujet aussi important et aussi tabou était risqué, mais l’autrice parvient à éviter une grande partie des écueils en utilisant de façon détournée tous les clichés (notamment religieux) et en évitant de proposer une réponse ferme et définitive. Là où le bât blesse, c’est au niveau de la longueur, le roman multipliant encore et encore les mêmes scènes avec les mêmes personnages et les mêmes ressorts narratifs. L’ouvrage aurait ainsi mérité un sacré écrémage qui l’aurait rendu plus digeste et aurait évité aux lecteurs/lectrices de décrocher aussi souvent au cours de la lecture.
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