Essai

Les socialistes en France de 1871 à 1914, tome 1 : Les tentatives de construction d’un parti de classe (1871-1898)

Titre : Les tentatives de construction d’un parti de classe (1971-1898)
Cycle/Série : Les socialistes en France de 1871 à 1914, tome 1
Auteur : Thomas Rose
Éditeur : Les bons caractères
Date de publication : 2023

Synopsis : Après la défaite de la Commune de Paris de 1871, la France s’industrialise et une classe ouvrière moderne se développe. Les idées de transformation de la société se propagent, ainsi que l’objectif de construction d’un parti ouvrier. Différentes organisations se réclamant du socialisme commencent à émerger. Le socialisme cherche son parti et sa voie. Les premières victoires électorales renforcent l’espoir chez bien des militants socialistes d’une transformation pacifique de la toute récente république en une « république sociale ». Et l’intégration à la vie parlementaire favorise l’électoralisme. La construction d’un parti de classe s’éloigne progressivement.

L’instauration des services publics est subordonnée à la socialisation des moyens de production (…), subordonnée elle-même à la prise du pouvoir politique par le prolétariat et à l’expropriation de la classe capitaliste, ce qui est affaire de révolution. »

Petite synthèse sur l’histoire du socialisme français

Dans ce petit ouvrage, Thomas Rose (enseignant et plusieurs fois candidats aux élections sur la liste de Lutte ouvrière) propose de revenir sur la période s’étendant de 1871 (fin de la Commune de Paris) à 1914 (début de la Première Guerre mondiale) pour analyser la façon dont se sont développés les idées et courants socialistes en France. Composé d’environ 120 pages, le premier tome se veut synthétique et claire, retraçant les principaux événements qui marquèrent l’histoire politique française de la fin du XIXe et qui participèrent à l’implantation du socialisme sous l’impulsion de personnalités telles que Jules Guesde, Paul Lafargue, Auguste Blanqui, mais aussi Vaillant, Brousse, Allemane ou encore Jaurès. L’auteur met ici l’accent sur les particularités du socialisme français par rapport à ses voisins anglais ou allemands. La première spécificité qu’il pointe du doigt réside dans le fait que le socialisme met davantage de temps à s’implanter en raison de la situation économique du pays et de l’organisation même du travail en France (à l’époque les ouvriers sont généralement multi-activités, si bien qu’on est loin du modèle de l’Angleterre avec de grosses concentrations d’usines). Une autre caractéristique du mouvement socialiste français réside dans les nombreuses scissions que connurent les partis ouvriers qui ne cessèrent de s’opposer entre anarchistes, blanquistes, guesdistes ou encore allemanistes. Enfin, parmi les spécificités propres au socialisme en France on peut mentionner un attachement nettement partagé entre toutes les tendances à la République, considérée comme un « système politique supérieur » et comme la clé pour conduire à « la république sociale ». Cette conception, couplée aux succès électoraux des partis ouvriers à partir des années 1890, les amènent à concevoir la conquête pacifique du pouvoir politique par le suffrage universel, abandonnant ainsi leur caractère révolutionnaire.

S’organiser après la chute de la Commune et la victoire des monarchistes

L’ouvrage se compose de trois grandes parties qui retracent les événements de manière chronologique, elles-mêmes divisées en sous-parties qui permettent de mieux cerner les évolutions du socialisme et de retracer les événements marquants du début de cette IIIème République. La première partie se concentre sur les années 1871 à 1881 et traite dans un premier temps des conséquences de la répression de la Commune qui a fauché un nombre important de militants et militantes. La vie politique française est alors marquée par des forces réactionnaires (l’assemblée est majoritairement monarchiste) et il faudra attendre la fin des années 1870 pour que les républicains parviennent finalement à reprendre la main. Ce contexte défavorable n’empêche pas la classe ouvrière de tenter de s’organiser, aussi assiste-t-on à la tenue du premier congrès ouvrier de 1876 qui voit déjà s’opposer deux courants irréconciliables (collectivistes VS coopérateurs). L’auteur insiste également sur l’importance du rôle du journaliste Jules Guesde, à l’origine de la création du premier parti ouvrier en France : la Fédération des travailleurs socialistes français (FTSF). Celui-ci se présentera pour la première fois aux élections municipales puis législatives de 1881 et 1882, et l’auteur rappelle à cette occasion des éléments intéressants, notamment en ce qui concerne la répression qui s’abat sur les candidats et même les simples électeurs socialistes qui courent le risque d’être mis sur une liste noire patronale (le bulletin de vote étant à l’époque reconnaissable facilement et les électeurs ne disposant ni d’enveloppe ni d’isoloir). Cette première expérience se solde par des résultats modestes mais permet aux socialistes de s’implanter dans certains conseils municipaux, et même de gagner une ville (Commentry).

Des scissions et une crise économique

La seconde partie concerne les années 1881 à 1890 et met l’accent sur les trois difficultés majeures auxquelles vont être confrontés les socialiste français pendant les années 1880 : une crise économique (la Grande Dépression) ; le retour des communards après la loi d’amnistie (dont beaucoup qui n’ont pas les mêmes conceptions politiques que celles de la FTSF) ; l’essor d’un courant réformiste, « les possibilistes ». Thomas Rose nous fait ici le récit des principales scissions qui divisèrent les socialistes français, insistant avec clarté sur les points de crispations entre les grandes tendances. L’occasion de se familiariser avec les courants anarchistes, blanquistes ou encore possibilistes et de comprendre les raisons qui conduisirent ces différents courants à s’opposer, qu’il s’agisse d’un désaccord concernant la nécessité de participer ou non aux élections, ou d’une différence d’appréciation sur le rôle de l’état dans l’instauration du socialisme. A partir de 1883, la France traverse une grave crise économique surnommée Grande Dépression qui provoque la dégradation des conditions de vie des classes populaires et place le patronat en situation de force compte tenu de l’explosion du chômage. L’auteur revient notamment ici sur la loi Waldek-Rousseau de 1884 qui autorise les syndicats et explique bien que cette loi, en apparence progressiste, est avant tout une loi policière car elle favorise la répression patronale. Thomas Rose met également en lumière trois événements qui vont influer sur les socialistes français et les forcer à des clarifications politiques, provoquant ainsi davantage de scissions : la grève de Decazeville (janvier 1886 – 109 jours : deux milles mineurs s’opposent à une réduction des salaires et défenestrent leur directeur) ; la crise boulangiste ; la naissance de la IIe Internationale.

Les premiers succès électoraux et un infléchissement idéologique

La troisième partie est consacrée aux années 1890 à 1898. Elle revient sur les stratégies électorales (ou révolutionnaires) des différents courants socialistes et sur leurs évolutions idéologiques. C’est l’occasion pour l’auteur de revenir sur l’adoption du 1er mai comme journée internationale de lutte pour les travailleurs, mais aussi sur les premiers vrais succès électoraux des socialistes, ainsi que sur la vague d’attentats anarchistes qui frappa la capitale au début des années 1890. Cette percée du Parti ouvrier (devenu Parti ouvrier français en 1893) s’accompagne d’un infléchissement idéologique. Les socialistes français de tous bords s’accordent désormais sur le fait que la République est le meilleur moyen d’aboutir au socialisme, et que la révolution ne sera nécessaire que si la bourgeoisie refuse de reconnaître sa défaite électorale. « Par conséquent, tous considèrent qu’il est nécessaire de défendre la République contre ses ennemis intérieurs ou extérieurs ». Ils revendiquent ainsi de moins en moins leur internationalisme. Cela explique que, lorsque les radicaux accèdent pour la première fois au pouvoir en 1895, le gouvernement de Léon Bourgeois reçoit le soutien de tous les députés socialistes. Le socialisme français adopte alors une vision qui correspond finalement à ce que Jaurès appelle un « socialisme d’état », avec l’idée que, contraint, l’état peut transformer la société dans un sens socialiste. Thomas Rose revient, enfin, sur la construction du paysage syndical français, avec notamment la création de la CGT en 1895. Cette partie s’achève sur l’année 1898, le reste devant être abordé dans le second volume, et souligne qu’il existe déjà à la fin du XIXe des signes rapprochements entre les différents courants socialistes dont l’unité ne paraît pas totalement inenvisageable.

Claire et concis, ce premier tome de « Les socialistes en France de 1871 à 1914 » permet de se faire une idée assez nette du climat politique de la fin du XIXe siècle et de cerner les principales caractéristiques du courant socialiste français et de ses principales tendances. Un livre instructif, qui permet de mieux comprendre certaines évolutions idéologiques à gauche de l’échiquier politique.

Voir aussi : Tome 2

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Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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