Fiction historique

Les aiguilles d’or

Titre : Les aiguilles d’or
Auteur/Autrice : Michael McDowell
Éditeur : Monsieur Toussaint Louverture
Date de publication : 2023 (octobre)

Synopsis : Dans le New York de la fin du XIXe siècle coexistent deux mondes que tout oppose. D’un côté, l’opulence et le faste. De l’autre, le vice monnayé et l’alcool frelaté. C’est à leur frontière, au coeur de l’infâme Triangle Noir, qu’une famille fortunée va chercher à asseoir sa notoriété en faisant mine de débarrasser la ville de sa corruption. Les Stallworth, dirigés d’une main de fer par leur patriarche, l’influent et implacable juge James Stallworth, assisté de son fils Edward, pasteur aux sermons incendiaires, et de son gendre Duncan Phair, jeune avocat à la carrière prometteuse, ont un plan impeccable : déraciner le mal en éradiquant une lignée corrompue de criminelles : les Shanks.

Deux familles, deux ambiances

En 2022, les éditions Monsieur Toussaint Louverture publiaient en l’espace de deux mois les six tomes de « Blackwater », une série mi-horrifique mi-fantastique écrite dans les années 1970 par Michael McDoweel, plus connu comme le créateur de Beeteljuice. Sa bibliographie est toutefois loin de se résumer à ces deux œuvres, d’où le choix de la maison d’édition de rééditer dans les années à venir pas moins de cinq romans de l’auteur jusqu’en 2025 (et ce dans un écrin toujours aussi soigné). Parmi elles, « Les aiguilles d’or », un one-shot à mi chemin entre la saga familiale et le roman de société qui se déroule à New York au début des années 1880. C’est là que l’on fait la connaissance de deux familles radicalement différentes tant par leur fonctionnement que par leurs origines sociales, et qui vont se livrer une guerre sans merci. La première, les Stallworth, est issue de la haute bourgeoisie et compte plusieurs hommes puissants, à commencer par le patriarche, un juge inflexible qui entend bien restaurer l’ordre moral dans une ville qu’il considère comme gangrenée par les vices de la frange la plus miséreuse de la population. La seconde, les Shanks, est quant à elle essentiellement composée de femmes qui, pour subvenir à leurs besoins, ont basculé dans l’illégalité et exercent des professions aussi diverses que prêteuse-sur-gages, avorteuse, receleuse ou encore faussaire. Des activités illicites auxquelles le juge est bien décidé à mettre un terme en lançant une grande offensive à la fois médiatique et policière sur le quartier du Triangle noir et ses habitants, mettant par là même en lumière leurs conditions de vie déplorables. Sur le papier, le conflit entre les deux familles semble plié d’avance, les Stallworth disposant d’argent, d’influence politique et de relais tant médiatiques qu’au sein des communautés religieuses (le fils est un influent pasteur). Pourtant, les femmes Shanks vont leur donner du fil à retordre et même, progressivement, ébranler le puissant empire Stallworth.

Un roman feuilleton efficace

On retrouve ici les mêmes éléments qui ont fait le succès de « Blackwater », mais en plus condensés. Le côté feuilletonnant est à nouveau très présent et rend la lecture de ces cinq cent pages particulièrement rapide, chaque chapitre se clôturant par un rebondissement qui donne systématiquement envie de poursuivre un peu plus loin. Le style d’écriture est quant à lui toujours aussi fluide et d’une grande modernité. Parmi les nombreux atouts qui rendent la lecture aussi attrayante il faut évidemment mentionner la qualité des personnages qui, sans être particulièrement sympathiques, sont tous fascinants à suivre. Cette fascination, elle provient en grande partie du talent de l’auteur pour mettre en scène des protagonistes ambivalents convaincants. Tous possèdent ainsi une plus ou moins grande part de cruauté, de noirceur ou de bêtise qui les rend profondément humains et provoque chez le lecteur un mélange d’attraction-répulsion. Tout comme dans « Blackwater », il faut aussi souligner la place prépondérante accordée aux femmes dans le roman qui exercent ici des rôles bien moins stéréotypées que dans la série. Ce sont elles qui sont ainsi à la tête de la famille Shanks (tous les hommes étant morts ou emprisonnés) et qui vont élaborer la machination qui va leur permettre de se venger de la chasse aux sorcières dont elles font l’objet. L’auteur se garde toutefois bien de les présenter comme de gentilles et pauvres criminelles poursuivies par la vindicte d’hommes puissants. Qu’il s’agisse de la matriarche ou de ses filles, aucune n’est particulièrement attachante et, si l’on en vient à souhaiter la réussite de leur entreprise, c’est moins à cause de l’empathie que l’on éprouve pour elles que par réflexe de prendre partie pour les dominés et par volonté de voir l’hypocrisie des Stallworth enfin exposée.

Une belle galerie de personnages

La famille du juge est elle aussi passionnante à suivre, encore une fois non pas par attachement aux membres qui la composent (l’un est cruel et égoïste, une autre superficielle, un autre encore complètement benêt ou bien lâche) mais presque par voyeurisme. On n’attend en effet qu’une chose, c’est de voir leur petite mécanique bien rodée se gripper pour qu’ils soient enfin mis face à leurs contradictions et leurs propres vices, plus discrets mais non moins nocifs que ceux des habitants des quartiers pauvres. Cet aspect en particulier donne à l’ouvrage des allures de roman social, dans la mesure où il met en lumière les profondes inégalités de classes en accentuant toujours un peu plus le contraste entre les décors lisses et feutrés dans lesquels évoluent les Stallworth et la misère sordide qui a toujours constitué le quotidien des Shanks. Si le roman ne fait cette fois pas directement appel à des éléments surnaturels pour faire basculer le récit dans l’horreur, les descriptions sordides des conditions de vie des habitants les plus vulnérables du Triangle noir (corps de nourrissons morts dans les bras de leur mère, vieillards mourant de faim, cadavres exposés aux yeux de tous sans aucune dignité…) participent à instaurer une ambiance poisseuse et oppressante qui n’est pas sans rappeler celle de certaines scènes horrifiques emblématiques de « Blackwater ». L’auteur se garde toutefois de tout manichéisme et, s’il apparaît clairement que les prolétaires sont les victimes dans cette histoire, la grande majorité de ces derniers ne sont pas présentés comme de pauvres individus impuissants mais comme des hommes et des femmes dur.es, prêt.es parfois à tout pour survivre dans un milieu dans lequel la violence est de toute façon omniprésente.

« Les aiguilles d’or » est un roman à mi chemin entre la satyre sociale et la saga familiale que l’on doit à Michael McDowell qui relate ici la guerre à laquelle se livrent une famille de femmes criminelles et une famille d’hommes puissants issus de le haute bourgeoisie. Bien écrit, plein de rebondissements et porté par des personnages pour lesquels on éprouve autant de fascination que de répulsion, l’ouvrage se révèle être un véritable page-turner qui séduit par la modernité de son écriture comme de ces thématiques. A lire !

Voir aussi : Blackwater

Autres critiques : ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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